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Jours tranquilles à Paris
23 septembre 2019

A Hongkong, les manifestations continuent, en brûlant, en cassant et… en chantant

Par Florence de Changy, Hongkong, correspondance

Alors que le seizième week-end de tensions à Hongkong a été marqué par de nombreuses actions, parfois très ponctuelles, les manifestants ont de plus en plus souvent recours à un nouveau chant, « Gloire à Hongkong », pour exprimer leur colère.

Dimanche, sous couvert « d’aller faire des courses », le code pour occuper les centres commerciaux, quelques milliers de manifestants se sont retrouvés à Shatin, une « ville nouvelle » des années 70 située au cœur des nouveaux territoires, où ils ont ciblé les magasins soupçonnés de sympathies chinoises, étiquetés donc « à boycotter » par des autocollants avec un chariot de supermarché barré…

Les manifestants ont également profané un drapeau chinois érigé, puis mis le feu à des barricades et saccagé la station de métro. La veille, de nombreuses altercations eurent également lieu notamment autour de murs, transformés en mosaïques de notes adhésives militantes, que les anti-manifestants souhaitaient « nettoyer ».

En toutes circonstances, les manifestants ne manquent plus une occasion de chanter leur nouveau cri de ralliement, Gloire à Hongkong, un chant vibrant et passionné, une musique originale sur laquelle des paroles ont été écrites de manière collective. Des tutoriels pour bien le chanter ont également été postés sur YouTube.

« J’ai beaucoup écouté “La Marseillaise” »

Le jeune compositeur du morceau, soucieux de rester anonyme, n’est connu que sous son nom de guerre : Thomas dgx yhl (sic), un « charabia » qu’il assume et duquel il n’exclut pas un sens caché… Il cite parmi les hymnes nationaux qui l’ont inspiré, celui des Etats-Unis, de la Russie et du Royaume-Uni ainsi que le Gloria in excelsis Deo de Vivaldi.

« J’ai également beaucoup écouté La Marseillaise. Les paroles et la musique de la première phrase sont un chef-d’œuvre », nous affirme-t-il, par messagerie cryptée interposée. Jusque-là, il n’avait jamais composé que de la musique pop. En 2014, lors de la « révolte des parapluies », premier grand mouvement de désobéissance civile pro-démocratie, Thomas avait déjà songé à composer. Mais à l’époque, l’ambiance n’était pas aussi grave. Les neuf suicides de manifestants (qui ont officiellement associé leur acte de désespoir au mouvement actuel) pèsent lourdement sur l’humeur globalement sombre.

Un air classique lui a paru en outre plus approprié à l’ambiance « champ de bataille » et plus facile à chanter par une foule.

« C’est une marche solennelle et digne écrite pour les manifestants. De mon point de vue, les mots “Libérer Hongkong, Révolution de notre temps” [le slogan phare de la révolte par lequel s’achève l’hymne] veulent dire que Hongkong a changé, que les Hongkongais ne sont plus seulement intéressés par l’argent, qu’ils aspirent à des valeurs plus nobles et moins égoïstes. Et c’est pour cela que nous, les Hongkongais, marchons dans les rues », explique-t-il.

Glory to Hongkong a ensuite été joué par un véritable orchestre, puis diffusé sur les réseaux sociaux sous forme d’un clip, vu plus d’un million au premier jour de sa mise en ligne.

« Dès que j’ai entendu le morceau, j’ai voulu monter une version orchestrale », nous affirme « S » (c’est ainsi qu’il se présente) le chef d’orchestre. Il a accepté de nous rencontrer accompagné de « C » et de « V », les deux producteurs de la vidéo ; non sans certaines précautions pour garantir leur anonymat, dont un bref jeu de piste pour les retrouver, à une heure avancée de la nuit dans une gargote japonaise où la serveuse, de mèche, nous désigne du doigt la table des artistes.

En noir de la tête aux pieds, la couleur du mouvement, ils ont entre 27 et 30 ans. « Notre seul but est d’unir et de donner courage et espoir aux participants à ce mouvement alors que nous sommes tous ensemble au fond des ténèbres », raconte « S ». « Trouver 150 musiciens qualifiés n’a pas été difficile. On a même dû choisir à cause de la taille du studio », ajoute « C ». L’enregistrement eut lieu clandestinement et toute l’opération ne prit que quelques heures car « on ne pouvait pas exclure une perquisition de la police ou que les triades [mafias] viennent faire un casse dans le studio »…

Duels de chants

« La qualité de l’interprétation musicale [dans la version avec chœur et orchestre] est de très haut niveau », juge Mak Su-yin, professeure de musique à l’université chinoise de Hongkong, qui rappelle que la plupart des Hongkongais apprennent la musique et le chant dès leur plus jeune âge.

Dans la vidéo, les musiciens sont en grande tenue de manifestants, avec masques à gaz et casques de chantiers, et des fumées blanches, qui évoquent les gaz lacrymogènes mais symbolisent la terreur [qui se dit « terreur blanche », en chinois] se répandent entre eux. « J’aime que l’on voit des chanteurs avec des masques à gaz car les artistes voient leurs libertés se restreindre à Hongkong », commente « V », la coproductrice du clip.

Depuis l’émergence de cet « hymne à Hongkong » – dont une version en anglais est en préparation – on a assisté, tant dans les centres commerciaux que dans les stades de foot, à des duels de chants, entre manifestants pros et antigouvernementaux chantant à qui mieux mieux, les uns, l’hymne national chinois, les autres, ce nouveau Gloire à Hongkong… Ce chant a sans doute été d’autant mieux accueilli qu’il offre une alternative aux Hongkongais qui huent régulièrement l’hymne national chinois, notamment lors des matchs de foot ou de rugby.

Une attitude « intolérable » du point de vue de Pékin qui ne supporte pas les attaques aux symboles nationaux. Un projet de loi, obligeant de respecter le drapeau et l’hymne national est d’ailleurs en cours à Hongkong mais la seconde lecture du texte, prévue fin juin, avait prudemment été repoussée par le président du Parlement, qui avait invoqué les « circonstances peu favorables »…

« Le chant a un pouvoir important en Chine »

En fait, plusieurs chants accompagnent le mouvement depuis ses débuts, notamment L’Alléluia de Taizé et le chant du film Les Misérables. Un tube de Maria Cordero, chanteuse populaire pro-gouvernement, a également été détourné avec sarcasme pour se moquer des policiers, par les plus jeunes qui hurlent en riant : « Frappez les journalistes ! frappez les députés ! frappez les jeunes ! frappez les femmes ! »…

« Le chant a toujours eu un pouvoir important dans tous les mouvements révolutionnaires, mais encore plus en Chine qu’ailleurs », rappelle le violoncelliste Laurent Perrin, qui estime qu’un hymne comme celui-là « risque d’inquiéter Pékin bien davantage que les cocktails Molotov des manifestants ».

Mais le comble du succès de ce nouvel hymne, c’est que le camp pro-Pékin l’a immédiatement détourné. « Pour les larmes que nous versons sur cette Terre », entonnent les uns ; « Pour ce paradis qui est en cours de destruction », entonnent les autres…

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