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Jours tranquilles à Paris
24 septembre 2019

A l’ONU, les grands pollueurs échouent à prendre des engagements pour le climat

Par Audrey Garric, New York, envoyée spéciale

Seules soixante-six nations, essentiellement des pays en développement pesant pour 6,8 % des émissions, se sont engagées, lundi à New York, à accroître leurs efforts d’ici à 2020.

Une fois de plus, elle les a regardés dans les yeux et, sans ciller, leur a reproché leur inconséquence. La jeune suédoise Greta Thunberg, invitée à parler à l’ouverture du sommet exceptionnel des Nations unies (ONU) sur le climat, lundi 23 septembre, a accusé avec fureur les Etats de ne pas agir dans la lutte contre le dérèglement climatique. « Comment osez-vous ? Continuer de nous dire que vous faites assez, alors que les politiques nécessaires ne sont toujours pas réalisées. Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses », s’est emportée la militante de 16 ans à la longue natte, devenue une égérie pour des millions de jeunes. « Le monde est en train de se réveiller et le changement arrive que cela vous plaise ou pas », les a-t-elle prévenus, trois jours après une mobilisation historique de quatre millions de citoyens.

Lors d’une journée marathon où ils ont multiplié véritables avancées et effets d’annonces, une centaine de dirigeants, de chefs d’entreprises ou de représentants de la société civile se sont employés à lui donner tort. Ils ont voulu prouver qu’ils étaient non seulement bel et bien engagés dans la bataille climatique, mais qu’ils étaient en train d’accélérer leurs efforts. Pourtant, le bilan du sommet reste très mitigé, bien en deçà des attentes de citoyens de plus en plus inquiets de la multiplication des ouragans, des canicules ou des sécheresses.

« Le coût le plus élevé est celui de l’inaction »

Ce rassemblement n’a pas, non plus, rempli les demandes de l’hôte de la cérémonie, le secrétaire général de l’ONU, qui avait appelé les Etats à venir avec des « plans concrets et réalistes et non pas des discours » pour réduire drastiquement leurs rejets carbonés et sortir du charbon. « Est-ce que cela a du sens de donner des milliers de milliards aux industries fossiles et à la construction de nouvelles centrales à charbon ? », a interrogé Antonio Guterres en ouvrant le sommet, répétant que « le coût le plus élevé est celui de l’inaction ».

L’enjeu principal de ce grand raout résidait dans la relève de l’ambition des Etats, c’est-à-dire l’accroissement de leurs efforts. Actuellement, les engagements pris par les 196 pays signataires de l’accord de Paris de 2015 mettent la planète sur une trajectoire de réchauffement de 3,2 °C d’ici à la fin du siècle, bien loin des 2 °C, et si possible 1,5 °C, prévus par le traité international. Un cap qui s’éloigne d’autant plus que les émissions mondiales ne cessent d’augmenter.

Les Etats doivent donc soumettre de nouveaux plans de réduction des émissions, censés être plus ambitieux, tous les cinq ans. Alors que la première échéance survient en 2020, année de la mise en œuvre effective de l’accord de Paris, le sommet se voulait un coup d’accélérateur de ce processus. « Antonio Guterres a eu le courage de placer la barre haut, là où elle devait être, mais la réponse des Etats n’est pas à la hauteur. La dissonance est grande », tacle Laurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne pour le climat et architecte de l’accord de Paris.

A New York, où seuls les pays présentant les plans jugés les plus ambitieux s’étaient vus offrir une tribune, aucun gros émetteur de gaz à effet de serre n’a pris d’engagement fort ou nouveau pour le climat. Le président français, Emmanuel Macron, a toutefois apporté son soutien à la relève des objectifs européens, une avancée notable. « Dès 2020, l’Europe doit prendre des décisions très claires pour aller vers – 55 % des émissions en 2030, et rehausser le prix du carbone », a-t-il déclaré.

L’Union européenne (UE), troisième pollueur mondial après la Chine et les Etats-Unis, a échoué, lors d’un conseil de juin, à relever son objectif (actuellement à – 40 %), ainsi qu’à adopter un plan de neutralité carbone en 2050, malgré le soutien de vingt-quatre pays. Le Conseil européen espère obtenir un consensus dans les prochains mois, afin que l’UE puisse présenter à l’ONU sa stratégie à long terme début 2020.

L’Allemagne a, de son côté, réitéré un engagement datant de 2014, celui de réduire ses émissions de CO2 de 55 % d’ici à 2030. Elle a aussi donné les grandes lignes d’un plan dévoilé vendredi : 54 milliards d’euros en quatre ans pour le climat, avec pour objectif d’atteindre deux tiers d’énergies renouvelables en 2030 et de sortir du charbon au plus tard en 2038.

Une apparition de Donald Trump

Quant aux autres principaux pollueurs (Canada, Australie, Brésil ou Afrique du Sud), leurs dirigeants n’avaient pas fait le déplacement jusqu’à New York. Le président américain, Donald Trump, qui avait prétexté un emploi du temps chargé pour sécher le sommet, y a finalement fait une apparition mais sans prendre la parole. Face à des grands émetteurs considérés comme démissionnaires, l’espoir était alors grand de voir deux économies émergentes, encore fortement dépendantes du charbon, s’engager davantage dans la bataille du climat.

Las ! La Chine, représentée par son ministre des affaires étrangères, Wang Yi, s’est bornée à promettre qu’elle respecterait sa contribution à l’accord de Paris, et que « le retrait de certaines parties n’ébranlera pas la volonté collective » – référence à l’annonce par Donald Trump en 2017 de retirer les Etats-Unis du traité. Le premier ministre indien, Narendra Modi, assurant qu’il « vaut mieux agir un peu que beaucoup parler », a annoncé, pour l’essentiel, une augmentation de la part des renouvelables dans le mix énergétique pour atteindre une capacité de 175 gigawatts (GW) d’ici à 2022 et 450 GW à plus long terme.

Seuls un groupe de pays, essentiellement en développement, ont finalement répondu à l’appel d’Antonio Guterres. Dans le détail, soixante-six nations (Chili, Mexique, Argentine, Fidji, Iles Marshall, etc.), pesant pour 6,8 % des émissions, se sont engagées à accroître leurs efforts d’ici à 2020. Et soixante-six pays (pas toujours les mêmes), rejoints par dix régions et cent deux villes, ont promis d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, selon un décompte annoncé par le président du Chili, Sebastián Piñera, qui accueillera la prochaine conférence climat (COP25) en décembre.

« Seuls les petits pollueurs ont saisi l’enjeu du dérèglement climatique, relève David Waskow, chargé de mission au World Resources Institute (WRI), un think tank basé à Washington. Il faudra voir si les gros pollueurs prennent la question au sérieux l’an prochain et si les Etats-Unis reviennent dans le jeu. » La COP26, qui se tiendra à Glasgow (Royaume-Uni) fin 2020, constituera à ce titre le rendez-vous de la diplomatie climatique le plus important depuis la COP21 de Paris.

Plusieurs milliards de dollars débloqués

A défaut d’avoir réussi à convaincre les Etats de s’engager sur des plans nationaux, Antonio Guterres est parvenu à faire bouger les lignes des acteurs économiques. Entre samedi et lundi, le sommet a donné lieu à pléthore d’initiatives sur des sujets thématiques, comme l’adaptation au réchauffement, la sortie du charbon ou la neutralité carbone – auxquelles se sont également joints des Etats. Tandis que 87 entreprises internationales (Danone, Engie, Ikea, L’Oréal, Nestle, Sodexo, etc.) s’engageaient à s’aligner sur l’objectif de limiter la hausse des températures à 1,5 °C, quinze gouvernements (Argentine, Inde, Sénégal, etc.) et dix entreprises (Enel, Saint-Gobain, etc.) promettaient d’accélérer l’efficacité énergétique de 3 % par an.

De nombreux acteurs ont également mis la main au portefeuille, la finance s’avérant le nerf de la guerre des négociations climatiques. La Fondation Bill et Melinda Gates, la Banque mondiale et plusieurs gouvernements ont annoncé débloquer 790 millions de dollars (720 millions d’euros) pour renforcer la résilience de 300 millions de petits exploitants agricoles face à l’augmentation des impacts climatiques. Les vingt-cinq plus grandes banques nationales et régionales de développement, dont l’Agence française de développement, ont pour leur part décidé de financer 1 000 milliards de dollars (910 milliards d’euros) de projets climat d’ici à 2025. Elles ont également lancé un partenariat avec le Fonds vert pour le climat, l’un des mécanismes financiers créés pour mobiliser l’argent des pays du Nord en faveur de ceux du Sud, qui totalise désormais 7 milliards de dollars (6,4 milliards d’euros) pour sa recapitalisation.

Si Andrew Steer, le président du WRI, félicite un « secteur privé et des acteurs infranationaux qui avancent plus vite que les gouvernements nationaux », Jennifer Morgan, directrice de Greenpeace International, voit, elle, « des engagements trop vagues et un manque de crédibilité ». « On n’a plus le temps pour les initiatives volontaires d’entreprises, juge-t-elle. Il faut des réglementations étatiques qui mettent fin aux énergies fossiles et modifient en profondeur les transports ou les bâtiments. »

L’observatrice met toutefois au crédit de ce sommet, « qui ne peut pas être qualifié d’échec », d’avoir remis le climat sur la table des dirigeants. « Nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour remporter cette course », a conclu Antonio Guterres, appelant les pays à être aux rendez-vous des COP25 et CO26. Les jeunes qui défileront une fois de plus dans le monde, vendredi 27 septembre, sauront leur rappeler de joindre le geste à la parole.

Audrey Garric (New York, envoyée spéciale)

Greta Thunberg et quinze autres jeunes intentent une action juridique contre cinq pays. Seize jeunes de 8 à 17 ans, venus de douze pays et emmenés par la Suédoise Greta Thunberg, ont annoncé, lundi 23 septembre, le dépôt d’une plainte visant cinq pays pollueurs : France, Allemagne, Argentine, Brésil et Turquie. Ils estiment que l’inaction des dirigeants est une atteinte à la convention de l’ONU sur les droits de l’enfant, signée il y a trente ans. « Ils n’ont pas tenu leurs engagements », a déclaré Greta Thunberg, en marge du sommet sur le climat de l’ONU. « Chacun de nous a vu ses droits violés et reniés. Nos avenirs sont en train d’être détruits », a ajouté l’Américaine Alexandria Villasenor. Cette plainte inédite a été déposée avec l’aide du cabinet international d’avocats Hausfeld et la bénédiction de l’Unicef. Elle s’inscrit dans le cadre d’un « protocole optionnel » méconnu de la convention : il autorise depuis 2014 des enfants à porter plainte devant le comité des droits de l’enfant de l’ONU, s’ils estiment que leurs droits sont bafoués. Les pays visés avaient ratifié ce protocole.

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