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Jours tranquilles à Paris
25 septembre 2019

Brexit : la Cour suprême inflige un camouflet judiciaire majeur à Boris Johnson

boris44

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Les juges ont annulé la suspension du Parlement décrétée par le premier ministre conservateur, plongeant le royaume dans une nouvelle tourmente politique.

Historique. Le mot n’est pas trop fort. La Cour suprême britannique a pris une décision historique, mardi 24 septembre, qui va trouver sa place dans les annales politiques du Royaume-Uni. En déclarant illégale, à l’unanimité de ses onze juges, la décision du premier ministre, Boris Johnson, de suspendre cinq semaines (entre le 9 septembre et le 14 octobre) le Parlement britannique, et en ajoutant que cette suspension n’avait pas eu d’effet et que le Parlement pouvait siéger à nouveau immédiatement, la plus haute juridiction du pays a infligé un énorme camouflet à Boris Johnson.

Mardi, 10 h 30. Ponctuels, les onze juges de la Cour suprême ont pris place derrière leur bureau en demi-cercle. Malgré la pluie, les caméras de télévision s’agglutinent déjà sur le parvis du bâtiment néogothique qui sert de siège à l’institution, à un jet de pierre du Parlement de Westminster. La présidente, Lady Hale, 74 ans, est d’abord inaudible : les micros ne fonctionnent pas, le site Web de la Cour est en panne. Cette jeune institution (elle siège depuis 2009) n’a guère l’habitude d’une telle attention médiatique.

Recommandation « illégale »

Vite, le son revient. Très calme, Lady Hale rappelle d’abord le calendrier des faits : 28 août, Boris Johnson décide la « prorogation » du Parlement et recommande cette suspension à la reine, qui l’approuve. Il est d’usage que le souverain ne s’oppose pas aux décisions du gouvernement. Dans la foulée, les premières plaintes sont déposées : devant la Haute Cour écossaise, par un groupe d’une soixantaine d’élus, et devant son équivalent pour l’Angleterre et le Pays de Galles, par l’activiste anti-Brexit Gina Miller.

Pédagogue, la présidente Hale déroule ensuite son raisonnement. Oui, la Cour a jugé qu’elle pouvait prendre position sur le caractère légal ou non de la recommandation de Boris Johnson à la reine. Début septembre, la Haute Cour anglaise avait pourtant estimé que sa décision de suspendre le Parlement était par « essence politique » et que les juges n’avaient pas à s’en mêler.

Lady Hale ajoute surtout que cette recommandation « était illégale » car « elle a eu pour effet d’entraver la capacité du Parlement à exercer ses fonctions démocratiques, et ce, sans justification rationnelle ». Fin août, M. Johnson avait expliqué avoir besoin de temps pour concocter un programme de réformes, qu’il comptait présenter aux élus le 14 octobre. Mais il n’avait fourni à la Cour aucune déclaration sous serment confirmant ses intentions.

Les plaignants, qui contestaient la suspension, et surtout sa longueur, accusaient le premier ministre d’avoir voulu bâillonner les élus à un moment crucial, à quelques semaines seulement du Brexit, prévu théoriquement le 31 octobre. Lady Hale et ses dix collègues leur ont donné raison sur toute la ligne. « L’effet sur les fondements de notre démocratie » de cette suspension, empêchant les élus d’exercer leur devoir de surveillance de l’exécutif, « ont été extrêmes », a asséné la présidente.

« LE VERDICT D’AUJOURD’HUI CONFIRME QUE NOUS SOMMES UN PAYS SOUMIS À LA LOI ET QUE PERSONNE N’EST AU-DESSUS DE LA LOI »

A l’issue, la semaine dernière, de trois jours de plaidoiries éprouvantes pour les avocats du premier ministre, ses nombreux détracteurs espéraient bien que les juges le mettraient en difficulté. Mais ils n’attendaient pas une décision aussi maximaliste de la Cour, qui plus est, prise à l’unanimité.

« Le verdict d’aujourd’hui confirme que nous sommes un pays soumis à la loi et que personne n’est au-dessus de la loi, y compris le premier ministre. Le Parlement n’a pas été suspendu ! », s’est félicitée Mme Miller au sortir de la Cour. Mardi, cette femme d’affaires déterminée enregistrait ainsi une deuxième victoire : c’était elle, déjà, qui avait décroché une décision décisive de l’institution, fin 2016, contraignant le gouvernement de Theresa May à donner aux députés le dernier mot sur le déclenchement du Brexit.

La conférence annuelle du Labour écourtée

A Brighton, les chroniqueurs politiques des grands médias britanniques, venus dans la station balnéaire couvrir le congrès des travaillistes, n’en reviennent pas non plus.

Dans la salle pleine à craquer de délégués, Jeremy Corbyn prend le micro des mains de sa shadow secrétaire à l’industrie, que plus personne n’écoute. Tout sourire, il appelle Boris Johnson à la démission immédiate. « Il ne peut pas s’asseoir sur la démocratie ! Il va devenir le premier ministre au mandat le plus court de l’histoire », se réjouit le leader du Labour, trop heureux que l’attention des journalistes se détourne de son parti miné par les divisions autour du Brexit. « Johnson out ! Johnson out ! », scandent les délégués à ses pieds.

M. Corbyn leur fait savoir dans la foulée qu’il abrège son séjour à Brighton. Direction Westminster. Car John Bercow, le « speaker » de la Chambre des communes vient de faire savoir qu’il reconvoque les élus dès le mercredi, en fin de matinée. Lui aussi vit une nouvelle heure de gloire, mardi. Depuis des mois, il défend les droits des élus à faire entendre leur voix sur la question du Brexit, et avait qualifié, début septembre, la prorogation « d’outrage constitutionnel ». Comme l’a dit Lady Hale mardi, le Parlement n’a tout simplement « pas été prorogé ». Illégale, la décision de M. Johnson est aussi considérée comme nulle. « Une feuille blanche », a même précisé la présidente de la Cour.

En déplacement à New York, pour l’Assemblée générale des Nations unies, Boris Johnson a été réveillé très tôt par la mauvaise nouvelle. Jouant la sérénité, il avait répondu la veille à des journalistes qui l’interrogeaient sur sa réaction en cas de décision de la Cour en sa défaveur : « Il m’en faut beaucoup pour être nerveux en ce moment. » « Mon gouvernement respectera la loi et les juges », ajoutait-il, précisant qu’il ne comptait pas démissionner.

Mardi, Boris Johnson ne s’est cependant pas contenté d’encaisser la décision des juges : « Je ne suis absolument pas d’accord avec leur conclusion », a t-il protesté, tout en rappelant qu’il la « respecterait ». Réaliser le Brexit le 31 octobre « reste sa priorité » et « clairement les plaignants dans ce cas sont déterminés à stopper le Brexit », a ajouté un premier ministre jouant à nouveau la partition de la volonté du peuple contre celle des élus.

L’autorité du premier ministre gravement entamée

C’est la ligne défendue par son premier conseiller, Dominic Cummings, un des artisans de la victoire du camp du « Leave » en 2016, devenu la tête de turc des « Remainers ». Réputé sans scrupule, il pense que tout ce qui affaiblit son premier ministre dans sa volonté de réaliser le divorce avec l’Europe renforce la colère des « Leavers » à l’endroit des élus et des juges.

« Dominic Cummings doit partir », réclamait le président du parti du Brexit, Nigel Farage, mardi matin. « Drôle de moment : voilà que je suis d’accord avec Nigel », ajoutait dans un tweet le conservateur modéré David Gauke.

Mardi soir, des sources à Downing Street faisaient cependant savoir que M. Johnson abrégeait son séjour new-yorkais, pour apparaître à Westminster mercredi.

Car il y a le feu : l’autorité du chef du gouvernement paraît désormais gravement entamée. « Plus personne ne peut croire ce premier ministre », a asséné M. Corbyn, mardi après-midi, concluant, avec vingt-quatre heures d’avance, la conférence annuelle de son parti.

Boris Johnson a perdu sa majorité début septembre. Sa stratégie d’un Brexit « Do or Die » a été bloquée une première fois par le Parlement juste avant qu’il soit prorogé (une loi l’oblige désormais à réclamer à Bruxelles un décalage de trois mois du Brexit, à janvier 2020, ce qu’il refuse). Quant aux négociations avec Bruxelles pour aboutir à un accord de divorce, elles n’ont pas avancé d’un pouce.

L’opposition va t-elle tenter un vote de défiance ? Elle hésite. N’est-ce pas ce que souhaite désormais M. Johnson pour tenter de sortir de l’impasse dans laquelle il s’est mis tout seul en à peine deux mois à Downing Street ?

Depuis New York, il a réclamé à nouveau une élection générale. Pas sûr que les travaillistes lui fassent ce plaisir, du moins pas dans l’immédiat. Ils sont apparus profondément divisés à Brighton, incapables d’adopter collectivement une franche ligne « Remain ». La priorité, d’ici à fin octobre, « est de bloquer un no deal », a insisté M. Corbyn.

La démocratie parlementaire considérablement sécurisée

Dans cette période tourmentée depuis le référendum de 2016, les onze juges de la Cour suprême ont marqué l’histoire en sécurisant considérablement la démocratie parlementaire britannique et en définissant très clairement la balance des pouvoirs entre le Parlement et le gouvernement.

Dans un pays où la Constitution n’est pas codifiée, ils ont joué en quelque sorte le rôle de juges d’une Cour constitutionnelle. « La souveraineté » et la « responsabilité » du Parlement britannique sont « deux principes fondamentaux de la Constitution britannique », a rappelé Lady Hale.

« Le Parlement produit des lois auxquelles chacun doit se tenir. (…) Le fait que le premier ministre, son gouvernement et son cabinet soient collectivement responsables et redevables devant le Parlement est au cœur de la démocratie de Westminster. »

Et le Brexit dans tout ça ? La décision de la Cour rend encore plus improbable l’hypothèse d’un « no deal » à la fin octobre. Comment, après un tel revers judiciaire, M. Johnson pourrait-il défier la loi parlementaire l’obligeant à réclamer un délai, en l’absence d’accord avec Bruxelles le 18 octobre ?

Pour autant, le Parlement s’est jusqu’à présent montré incapable de faire émerger une majorité pour sortir de l’impasse du Brexit : un nouveau référendum, un nouvel accord avec les Européens, voire une révocation pure et simple du processus du divorce…

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