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Jours tranquilles à Paris
26 septembre 2019

Brexit : Boris Johnson retourne au Parlement dans une ambiance explosive

boris281

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Hurlements, échanges au vitriol et députés menacés : le climat politique à Londres est toujours plus délétère, après le camouflet infligé par la Cour suprême au premier ministre, mardi.

A quoi ressemble un Parlement britannique, rouvert en urgence à la suite d’une décision historique de la Cour suprême ayant déclaré « illégale » sa suspension par le premier ministre ? A un vrai champ de bataille.

Mercredi 25 septembre, le spectacle était donc au rendez-vous, à la Chambre des communes, pour le premier face à face entre un Boris Johnson humilié par la plus haute juridiction du pays, et une opposition surexcitée par une victoire judiciaire sans précédent.

Il y a eu des hurlements, quantité d’échanges au vitriol, d’incessantes interruptions de séance et des « oooordeeer » en pagaille. Mais sur le fond, sur la question de savoir comment sortir de l’impasse du Brexit, le débat n’a pas avancé d’un pouce. Boris Johnson a refusé de s’excuser pour sa prorogation illégale, a continué à promettre un divorce avec l’Union européenne (UE) pour le 31 octobre, malgré l’explosion en vol de sa stratégie d’un Brexit « do or die » début septembre. Jeremy Corbyn, le chef de l’opposition, a réclamé de nouveau sa tête, mais refusé une fois de plus des élections générales immédiates.

Rentré précipitamment de New York, où il avait dû écourter sa présence à l’Assemblée générale annuelle des Nations Unies, c’est un Boris Johnson combatif, agressif même, qui est rentré dans l’arène du Parlement, mercredi soir. Mais toujours aussi évasif, sur ses intentions, voire sur son engagement à respecter les règles. La décision, prise à l’unanimité des onze juges de la Cour suprême la veille ? Le gouvernement « la respectera » assure le premier ministre ; mais il continue à dire qu’il n’est « pas d’accord » avec elle et même qu’elle « a eu tort » de se prononcer « sur une question politique ».

Le peuple contre le Parlement

S’en tiendra t-il à la loi « anti-no deal » votée par le Parlement début septembre, l’obligeant à réclamer fin octobre un décalage de trois mois du Brexit en l’absence de nouvel accord avec Bruxelles ? « Oui », mais « je réaliserai le Brexit le 31 octobre ».

Comment résoudra-t-il cette contradiction ? En décrochant un « deal », évidemment. Où en sont ses discussions avec les Européens ? On négocie « à fond » jure M. Johnson, alors que tout indique à Bruxelles que les négociations piétinent.

Prenant constamment à témoin « les gens qui nous regardent » (les débats sont retransmis en direct sur le site Web des Communes), Boris Johnson a joué de nouveau sa partition, maintenant bien rodée, du peuple contre le Parlement. Ce Parlement est « paralysé », « la vérité, c’est qu’il ne veut pas le Brexit », l’opposition « sabote » ses négociations avec Bruxelles, mais lui, et son gouvernement « ne vont pas trahir les gens », qui réclament juste que le référendum de juin 2016 soit respecté.

En début d’après midi, Geoffrey Cox, envoyé en éclaireur aux Communes, avait lâché des coups encore plus violents. Ce Parlement « est une honte », « il ne devrait plus siéger, il n’en a moralement pas le droit », avait accusé l’attorney general. Il faut dire que la veille au soir, la chaîne Sky News révélait que, consulté par Boris Johnson, M. Cox avait considéré fin août que la prorogation du Parlement était « en ligne avec la Constitution »… Les députés de l’opposition ? « Ils ont eu déjà deux fois l’occasion de voter la dissolution du Parlement, mais ils ne l’ont pas fait. Ce sont des lâches », ajoutait M. Cox, hors de lui.

Impasse

Boris Johnson a déjà échoué deux fois, début septembre (juste avant le début de la prorogation du Parlement), à décrocher une majorité des deux tiers de la Chambre pour aller vers des élections générales, dont il semble penser qu’elles sont le seul moyen, pour lui et pour son parti, de sortir de l’impasse. Mais mercredi, là encore, les paramètres du débat n’ont pas varié d’un pouce.

« Si, je veux des élections générales », a répondu Jérémy Corbin, le leader des travaillistes, pris à partie par M. Johnson, qui l’accusait d’avoir « peur de les perdre ». « Evidemment que je les souhaite. Mais c’est bien simple : ramenez-nous [de Bruxelles] un décalage de la date du Brexit, et on ira aux élections ! », a ajouté le patron du Labour. Dans son sillage, les députés travaillistes et SNP (indépendantistes écossais), ont réclamé le départ de M. Johnson, ou du moins, des « excuses publiques » pour cette prorogation déclarée illégale.

Le moment le plus pénible de cette soirée, qui n’en a pas manqué, fut sans doute celui où, à l’élue Labour Paula Sherriff, qui lui demandait de modérer ses propos, expliquant qu’elle recevait des menaces de mort, Boris Johnson a répondu « n’avoir jamais entendu de telles sornettes ». Mme Sherriff était une amie de Jo Cox, députée travailliste assassinée par un forcené d’extrême droite une semaine avant le référendum de 2016.

Profonde crise nationale

Elle avait les larmes aux yeux, mercredi soir, tout comme Anna Soubry, ex-députée conservatrice passée chez les indépendants, qui a raconté les menaces dont étaient victimes son compagnon et sa mère. Ou Jo Swinson, la chef des Libéraux démocrates, qui a avoué, juste après le départ de M. Johnson de la Chambre, avoir dû appeler la police un peu plus tôt dans la journée, à la suite de menaces proférées contre son enfant.

Grave, John Bercow, le président de la Chambre, a conclu cette séance encore plus frustrante et délétère que d’habitude en donnant raison à ces élues : « Je suis conscient que les femmes et les députés issus de minorités sont tout particulièrement ciblés par les menaces. » Traîtres, menteurs, capitulation… Dans cette période de profonde crise nationale, « chacun d’entre nous doit user de mots avec responsabilité, et montrer le plus de respect possible pour l’autre camp », a ajouté le speaker, dans un climat enfin apaisé. Mais pour combien de temps ?

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