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Jours tranquilles à Paris
10 octobre 2019

Griveaux et Villani, les frères ennemis en pleine bataille à Paris

municipakl

Par Denis Cosnard

Pour l’emporter, chacun des deux rivaux macronistes tente d’obtenir le ralliement de Pierre-Yves Bournazel et le soutien du MoDem.

Drôle de coïncidence. Samedi 12 octobre, Benjamin Griveaux et Cédric Villani réunissent l’un comme l’autre leurs troupes pour les galvaniser et les lancer à l’assaut de Paris, à cinq mois des municipales. Et surprise, les frères ennemis du macronisme ont choisi pour l’occasion deux lieux distants d’à peine 300 mètres, au bord du canal Saint-Martin, un quartier branché du nord-est parisien. Comme des jumeaux jamais loin l’un de l’autre.

Les angles d’attaque des deux candidats en compétition semblent néanmoins diamétralement opposés. Samedi, Benjamin Griveaux a donné rendez-vous aux 240 « relais de quartier » de La République en marche (LRM). Un pour chacun des micro-quartiers identifiés par Mounir Mahjoubi, l’ex-concurrent de Griveaux devenu son allié dans la course à l’Hôtel de ville. « C’est à cette échelle-là que demain, nous pourrons agir pour améliorer la propreté, la sécurité ou renforcer la solidarité, en redonnant du pouvoir aux maires d’arrondissement », affirme Mounir Mahjoubi.

Dès à présent, c’est à ce niveau-là que les militants du parti présidentiel sont incités à mener campagne. Avec l’aide d’un site internet lancé jeudi et d’une appli spécifique (Quorum), ils vont tenter de recruter de nouveaux partisans, et d’établir un diagnostic ultra-local : quels sont les lieux de deal, les coins de rue à mieux nettoyer, etc. ?

Cédric Villani a au contraire choisi de voir « Paris en grand ». Après avoir sondé les maires de communes voisines, il veut débattre samedi de l’extension de la ville avec des experts et 350 militants, tester sur eux ses propositions. A ses yeux, Paris intra muros n’est plus l’échelon pertinent pour traiter les problèmes des transports ou de la pollution. Comme en 1860, « Paris a vocation à s’agrandir encore, en intégrant des communes limitrophes en tant que nouveaux arrondissements », déclarait-il dès avril. Aujourd’hui, il souhaite ainsi « renouer avec la grande histoire de Paris ».

Deux salles, deux ambiances, deux visions des priorités pour la capitale. Il va falloir s’y habituer : entre les deux députés LRM qui briguent le fauteuil d’Anne Hidalgo, la confrontation est partie pour durer. Sans doute jusqu’au premier tour des municipales, le 15 mars 2020. Voire jusqu’au deuxième, où les triangulaires et les quadrangulaires sont autorisées.

Curieuse cohabitation

Curieuse cohabitation entre figures du même parti. Globalement, les deux hommes se réclament de valeurs identiques (progressisme, lutte contre la pollution…), même si Cédric Villani est un peu plus marqué à gauche que Benjamin Griveaux. L’un joue à fond la carte du scientifique de haut vol, capable de moderniser la ville avec des solutions innovantes, prêt à choisir certains de ses colistiers par tirage au sort. L’autre se veut pragmatique, terre à terre, mais connaissant à fond ses dossiers.

En public, ils se refusent à dire du mal l’un de l’autre, d’autant que leur idole commune, Emmanuel Macron, a fait de la « bienveillance » une valeur clé. Derrière, leurs équipes se lâchent. « Villani n’a pas de programme, pas d’idée, il serait temps qu’on puisse saisir le sens de sa démarche », tacle un proche de Benjamin Griveaux. « Son équipe est composée de beaucoup d’ex-socialistes et de militants frustrés de ne pas avoir eu le poste qu’ils visaient », ajoute un autre. Et quand le candidat officiel de LRM préconise de mieux réguler les trottinettes, le porte-parole de Villani le corrige illico : « La première mesure à prendre sur l’écologie n’est certainement pas de réduire les mobilités douces ».

Après l’investiture accordée à son poulain Benjamin Griveaux, Emmanuel Macron a bien tenté de dissuader Cédric Villani d’entrer en dissidence. Peine perdue. Le candidat malheureux des primaires est désormais parti sous sa propre bannière. Sans le soutien d’un appareil partisan, il s’est doté d’une équipe de campagne, d’un siège prêté par un généreux bienfaiteur sur l’île de la Cité, de relais dans tous les arrondissements – le dernier comité local, celui du 8e, vient d’être constitué. « Cédric continue à organiser des dîners pour lever des fonds, et l’argent rentre », ajoute son directeur de campagne, Baptiste Fournier.

Un temps, les hiérarques de LRM ont espéré que Cédric Villani finirait par rentrer dans le rang. Benjamin Griveaux lui a tendu la main, ouvert les bras. Aujourd’hui, il n’y croit plus. Les sondages de septembre, attribuant à Villani 15 % des intentions de vote et le plaçant en troisième position derrière la maire socialiste sortante et le candidat officiel de LRM, ne peuvent qu’inciter le mathématicien à poursuivre l’aventure. De même que l’absence de sanction du parti. Et chaque jour qui passe rend plus chimérique le parachutage d’un « troisième homme » qui amènerait les deux adversaires macronistes à s’effacer. D’autant que le premier ministre Edouard Philippe a refusé d’endosser ce rôle.

Guerre de positions

Dans les deux camps, chacun espère sans y croire que le candidat adverse chutera dans les sondages, et se retirera. Pour l’heure, les partisans de Benjamin Griveaux observent avec plaisir les débuts de campagne un peu chaotiques de Villani, les yeux parfois hagards, incapable de formuler un discours clair sur le logement, évoquant les « Guignols de l’info » pour célébrer la mémoire de Jacques Chirac. « Son équipe le surprotège, ils ont peur de ce qu’il peut lâcher en public », cingle un proche de Griveaux. L’ancien porte-parole du gouvernement n’est pas à l’abri des dérapages pour autant. Et il sait qu’il pâtit d’une image difficile à corriger d’homme arrogant, parfois violent : celui qui, en privé, traite ses concurrents d’« abrutis », de « fils de pute », etc.

Dans cette guerre de positions, qui prendra l’ascendant sur l’autre ? Peut-être celui qui suscitera des ralliements. C’est l’enjeu des semaines à venir. Les deux macronistes mènent actuellement une intense campagne de séduction auprès du MoDem. Le mouvement de François Bayrou n’a pas encore fait son choix pour Paris. « On finalise d’abord notre projet, on discutera ensuite », indique Maud Gatel, la présidente du parti dans la capitale. « Le Modem fait partie de la majorité présidentielle et souhaite l’alternance à Paris, il a donc vocation à rejoindre Benjamin Griveaux, veut croire un de ses soutiens, le sénateur LRM Julien Bargeton. C’est le candidat le plus sérieux pour battre Anne Hidalgo. »

Pierre-Yves Bournazel a droit lui aussi à une double danse du ventre. Depuis plusieurs mois, ce député juppéiste rallié à Macron avance sous ses propres couleurs. Rêvant de devenir maire de Paris, il fait équipe avec plusieurs élus de droite qui ne se reconnaissent plus dans Les Républicains, comme le maire du 15e Philippe Goujon. Mais les sondages n’accordent pour l’heure à ce troisième candidat macroniste que 5 % à 6 % des intentions de vote.

Si la courbe ne se redresse pas, il pourrait renoncer. Sans précipitation. « Pour se retirer, il faut être certain de ne plus être une solution », confie-t-il. Nul ne sait s’il rejoindrait alors Cédric Villani ou Benjamin Griveaux. Les deux ne cessent de lui faire passer des mots doux, et semblent prêts à lui laisser la tête de liste dans son fief, le 18e. Lui qui se voyait comme l’homme capable de gagner Paris en réconciliant centre droit et centre gauche pourrait, à défaut, jouer les faiseurs de roi.

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