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Jours tranquilles à Paris
11 octobre 2019

Chronique « Trump a déclaré la guerre (économique) à Xi. L’affrontement va au-delà de la bataille de tarifs »

Par Alain Frachon

Une partie de notre avenir est entre les mains d’un Donald Trump au bord de la crise de nerfs et d’un Xi Jinping qui semble menacé par l’hubris, s’inquiète, dans sa chronique, Alain Frachon, éditorialiste au « Monde ».

Les deux hommes les plus puissants au monde nous inquiètent. L’un, Donald Trump, paraît au bord de la crise de nerfs, l’autre, Xi Jinping, semble menacé par l’hubris, l’ivresse du pouvoir. Au moment où ce dernier célébrait, mardi 1er octobre, dans l’impériale vastitude de la place Tiananmen, à Pékin, l’accession de son pays au rang de géant militaire, le premier, sous le coup d’une procédure en destitution à Washington, affichait un comportement encore un peu plus erratique qu’à l’habitude. L’un trop fort, l’autre déséquilibré ? Une partie de notre avenir est entre les mains de ces deux-là.

La scène la plus étonnante de ces derniers jours a eu lieu jeudi 3 octobre à la Maison Blanche, devant la presse, quand le républicain Trump, élu d’une formation où l’on a toujours pourfendu les « rouges », a appelé le Parti communiste chinois (PCC) à son secours. La situation était d’autant plus baroque que les Etats-Unis sont engagés dans une guerre commerciale à la vie à la mort avec la Chine. Ainsi va Trump.

L’Américain demandait aux dirigeants chinois d’enquêter sur la famille de Joe Biden, le potentiel rival démocrate de Trump à l’élection de novembre 2020. Explication : le fils de Joe, Hunter Biden, a ouvert un bureau de consultant à Pékin quand son père était vice-président. Gros conflit d’intérêts, suggère Trump – qui, lui, n’a pas jugé bon, une fois élu à la Maison Blanche, de couper les liens avec son empire immobilier (confié à la gestion de ses enfants).

Toujours devant les journalistes, le président répétait mot pour mot ce qui a conduit la majorité démocrate à la Chambre des représentants à ouvrir une enquête aux fins de le destituer. C’est vrai, avoue-t-il, il a bien demandé, le 25 juillet, à l’Ukraine d’enquêter sur les affaires de Hunter à Kiev – et sur le rôle que le père de celui-ci, Joe Biden, a pu y jouer. Curieuse contre-attaque qui, consistant à reconnaître les faits, relève d’une sorte « d’autodestitution », écrit l’excellente Susan Glasser dans l’hebdomadaire The New Yorker. La Constitution américaine interdit à tout candidat à une élection de solliciter la moindre assistance à l’étranger.

Trump dégrade la démocratie américaine

La procédure en cours fait ressortir ce qu’il y a de pire chez Donald Trump : insultes renouvelées contre les institutions, accusations répétées de « trahison » ou « d’espionnage » contre ses adversaires, fantasme sur un « coup d’Etat » ou un complot fomenté par « l’Etat profond », début de paranoïa et langage de guerre civile – l’ensemble de la panoplie verbale qui précède en général la violence physique. Trump dégrade la démocratie américaine, dont il se refuse par ailleurs à promouvoir les valeurs.

La même semaine, à Pékin, Xi fêtait le 70e anniversaire de la République populaire de Chine en organisant un défilé militaire sans précédent. La vedette, tout en noire rondeur, en était un missile intercontinental, porteur de dix têtes nucléaires, capable de frapper en trente minutes n’importe quel objectif aux Etats-Unis. L’engin s’appelle le Dongfeng 41. Son exhibition place Tiananmen était une façon d’adresser un message de force au monde entier et de rivalité aux Etats-Unis. « Aucune force ne pourra ébranler le statut de notre puissante nation, aucune ne pourra arrêter sa marche en avant », a dit le président Xi.

Il a salué, à juste titre, la performance, sans égale dans l’histoire, réalisée par la Chine : en moins d’un siècle, le passage de la plus abjecte pauvreté au rang de grande puissance économique, scientifique, technologique et militaire. La vérité imposerait de dire que cette transition est le fait de la période courant de 1976 à aujourd’hui – de 1949 à 1976, le PCC, sous la houlette de Mao, a martyrisé et éreinté la Chine.

Xi a terni l’image de la Chine à l’étranger

Mais Xi, patron du PCC, cultivant une étrange nostalgie maoïste, sacralise le parti et l’investit de tous les pouvoirs pour placer près d’un milliard et demi de Chinois sous une cloche idéologique aussi hermétique qu’étouffante. On sait les caractéristiques de l’ère Xi : recrudescence de l’autoritarisme à l’intérieur et affichage à l’extérieur de l’impérieuse puissance montante de la Chine, l’ensemble sur fond de lutte idéologique contre la démocratie libérale « à l’occidentale ».

Cette vision monolithique de la Chine – de l’être chinois – est depuis quatre mois défiée à Hongkong. Xi a eu beau rappeler, le jour du défilé, son attachement à la formule dite « un pays, deux systèmes », censée préserver les libertés des Hongkongais, il n’a cessé depuis son arrivée au pouvoir, en 2012, de les rogner. Jusqu’où ira-t-il pour soumettre le « rocher » ? La deuxième île chinoise, Taïwan, est concernée. Dans la « pensée Xi Jinping », le « rêve chinois » suppose la réunification avec Taïwan d’ici à 2049. Comment ?

Xi a terni l’image de la Chine à l’étranger, où une peur diffuse l’emporte sur l’admiration. Sur une base de reproches un peu caricaturaux mais pas injustifiés – non-respect des règles du commerce international, attaques de hackeurs pilotées par l’Etat, pratiques déloyales en matière d’investissements –, Trump a déclaré la guerre (économique) à Xi. L’affrontement va au-delà de la bataille de tarifs.

Les Etats-Unis appellent à boycotter un nombre croissant d’entreprises chinoises, du chemin de fer à la 5G, et envisagent de les interdire de cotation à New York. Forcené du tweet intempestif, Trump, dans un moment de déprime, a qualifié la Chine de « menace pour le monde ». C’était quelques jours avant que Xi, devant son défilé de missiles, ne dresse l’éloge de la puissance chinoise. Entre la Chine de Xi et les Etats-Unis de Trump, le niveau de conflictualité monte dangereusement.

PS : Pointu et didactique, le mensuel Pour l’Eco, que pilote Stéphane Marchand, consacre sa livraison d’octobre à l’affrontement sino-américain.

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