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Jours tranquilles à Paris
18 octobre 2019

« Matthias et Maxime », film canadien (Québec) de et avec Xavier Dolan.

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Critique - Dans « Matthias et Maxime », Xavier Dolan filme deux trentenaires à l’heure des choix

Par Thomas Sotinel

Le cinéaste réunit une bande d’amis au Québec au bord d’un lac où va se nouer une intrigue amoureuse qui va bouleverser leurs vies.

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

Un premier film : on peut facilement s’imaginer que Matthias et Maxime soit le premier long-métrage d’un jeune (30 ans) réalisateur surdoué. Le thème – l’adieu à l’adolescence, la cristallisation d’une identité – et l’ambition – ne rien laisser échapper de ce que l’on a décidé de filmer – sont ceux d’un artiste qui met à l’épreuve des pouvoirs qu’il découvre à chaque plan.

Sauf que… Matthias et Maxime, de et avec Xavier Dolan, est le huitième film de son auteur et que les qualités évoquées plus haut sont le fruit d’un long apprentissage fait de triomphes (Mommy) et d’échecs (Ma vie avec John F. Donovan) et que la sensation de nouveauté qui vient à la vision du film tient à la patience, à la douceur qui prennent pour la première fois le dessus dans l’univers du cinéaste québécois. Matthias et Maxime est par ailleurs le plus québécois de ses films.

Identité de classe

Il commence par une version XXIe siècle d’un rituel que les films de Denys Arcand (dont le nom sera évoqué à deux reprises) ont rendu familier : la retraite entre amis, loin de la ville, dans un chalet, au bord d’un lac.

S’y retrouvent autour de Rivette (Pier-Luc Funk), l’héritier des lieux, une bande de garçons qui flirtent avec la trentaine, dont Matthias (Gabriel D’Almeida Freitas), beau garçon employé par une firme prestigieuse, en couple depuis quelques années avec Sarah (Marilyn Castonguay), et Maxime (Xavier Dolan), barman qui s’apprête à quitter le Canada pour l’Australie, histoire d’échapper, entre autres, à sa mère (Anne Dorval), monstre dévorant qui oscille à la frontière de la folie.

L’AMITIÉ ENTRE LES DEUX GARÇONS S’EST CONSTRUITE SUR UNE INTIMITÉ ET UNE PROXIMITÉ HORS DU COMMUN

S’est aussi invitée Erika (Camille Felton), sœur de Rivette, étudiante en cinéma, petite peste qui, pour les besoins d’un court-métrage, fait s’embrasser Matthias et Maxime. Ce baiser vient de loin. Non seulement il y a un précédent, mais l’amitié entre les deux garçons s’est construite sur une intimité (Maxime a trouvé en Francine, la mère de Matthias, un peu de l’amour et de la considération qui lui manquaient à la maison) et une proximité hors du commun. L’ajout (ou plutôt la révélation) de la dimension érotique à cette relation déclenche une réaction en chaîne lente, qui – en l’espace des quelques jours qui précèdent le départ de Maxime – force les deux garçons à trouver leur place d’homme dans le monde.

Pendant que Matthias s’enfonce dans le doute et le dégoût de soi, Maxime va de l’avant. Autant, voire plus, que d’identité de genre, il s’agit ici d’identité de classe. Rongé par l’incertitude, le jeune cadre peut s’offrir le luxe de s’absenter du monde, pendant que le barman doit affronter un à un les obstacles que sa place dans la société élève sur sa route. Fragile et toxique, Gabriel D’Almeida Freitas ne laisse rien ignorer de la face sombre de son personnage.

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Larmes de sang

Xavier Dolan réalisateur a apposé sur le visage de Xavier Dolan acteur une tache de vin que l’on peut voir aussi bien comme le stigmate de son origine sociale que comme la trace des larmes de sang que la vie lui a fait verser.

Il n’avait pas joué dans l’un de ses films depuis Tom à la ferme (2013) et s’il s’offre deux scènes paroxystiques d’affrontement avec sa mère (et Anne Dorval, habituée à ce type de rôle dans les films de Dolan, retourne au combat avec l’allant d’une guerrière infatigable). Il fait preuve ici d’une intériorité, d’une profondeur qui devraient encore plus exciter l’intérêt de ses confrères cinéastes (qui, en plus, en le faisant tourner, neutraliseront un concurrent une fois venu le temps des palmarès).

Xavier Dolan ne veut rien laisser échapper de ce qui arrive à Matthias et à Maxime, à leurs amis, à leurs familles. Alors que le cadre et le mouvement de la caméra (une fois de plus, le réalisateur a fait appel au chef opérateur André Turpin) devraient appeler de longs plans, qui souvent serrent de près les personnages, Dolan – monteur de son film – accélère le rythme, distillant une infinité de notations qui construisent personnages et récit.

Cette tension entre la texture de l’image et le montage lui permet par exemple de célébrer la lumière d’automne au Québec tout en mettant en scène la question linguistique dans sa version la plus moderne, de filmer brièvement des corps amoureux et suivre les dérives de ses personnages dans une ville aussi divisée et contradictoire qu’ils le sont eux-mêmes.

Parmi toutes les voies qu’ouvre Matthias et Maxime, on ne sait celles que suivra Xavier Dolan. De toute façon, il ne pouvait trouver meilleure conclusion que ce nouveau départ à sa prodigieuse première décennie.

« Matthias et Maxime », film canadien (Québec) de et avec Xavier Dolan. Avec Gabriel D’Almeida Freitas, Pier-Luc Funk, Anne Dorval (1 h 59). Diaphana.fr/film/matthias-et-maxime et Facebook.com/diaphana

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