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Jours tranquilles à Paris
10 novembre 2019

« Le racisme le plus profond, c’est celui qui refuse le métissage »

Par Julia Pascual

Le démographe et historien Hervé Le Bras bât en brèche l’idée d’un « grand remplacement ».

Le « grand remplacement » est un concept fallacieux. Et le Français de souche n’existe pas. La population mondiale, autant que française, a toujours procédé d’un métissage. « On est en train de découvrir qu’Homo sapiens était mixte parce qu’il a une petite partie du génome de Neandertal et une petite partie de l’homme de Denisova. » Hervé Le Bras va puiser loin ses arguments, chez les paléontologues, lorsqu’on soumet à sa critique les théories de l’invasion en vogue à l’extrême droite.

Le démographe et historien a publié, le 7 novembre, une note pour la fondation Jean-Jaurès sur « La réalité des migrations en France ». Il y défend l’idée que l’« erreur de raisonnement » consubstantielle à la théorie dite du grand remplacement est de « faire croire » que les populations immigrées et non immigrées sont « fermées, séparées », « qu’il n’existe aucun mélange comme dans l’apartheid en Afrique du Sud » et que, par conséquent, si la part de la première augmente, c’est au détriment de la seconde. Or, démontre-t-il, c’est tout autre chose qui se produit. « Le grand remplacement est conçu en niant que quand les immigrés arrivent, ils deviennent un peu de nous et inversement, explique M. Le Bras au Monde. Il y a un mélange, une mixité. Le racisme le plus profond, c’est celui qui refuse ce métissage, c’est l’idée de la pureté de la race. »

A l’appui de sa démonstration, le directeur de recherche à l’EHESS s’appuie sur l’évolution des naissances en France. D’après les recensements de l’Insee, et par le fruit des unions mixtes, « 30 % des naissances ont dans leur ascendance à deux degrés à la fois des immigrés et des non-immigrés, souligne-t-il. Dans une génération, on sera logiquement à 50 % ».

« Il existe bien un remplacement, concède M. Le Bras dans sa note, celui de Français dont la proche ascendance est seulement d’origine française par des Français dont l’ascendance comprend des Français et des étrangers. » Et d’ajouter : « De toute manière, il en a toujours été plus ou moins ainsi (…) Au cours de l’histoire de France, des Romains se sont mêlés à des Gaulois, des Francs à des Celtes, des Alamans, Bourguignons, Bretons (qui venaient d’Irlande) aux habitants locaux, quelques Vikings à des Normands, des Berbères à des Provençaux et à des Gascons, etc. »

Chaque année, des personnes quittent aussi la France

Le commentaire des récents mouvements migratoires par une partie de la classe politique – qui fait par exemple dire au gouvernement cette semaine qu’il veut « reprendre le contrôle » pour « maîtriser les flux » – alimente l’idée d’une forme de submersion. En matière migratoire, on parle souvent de vague. Mais on oublie plus souvent encore d’en observer le ressac. Or, Hervé Le Bras rappelle que, chaque année, des personnes quittent la France. En 2017, 71 000 immigrés sont sortis du territoire, alors que 262 000 y entraient. Dans le même temps, « 241 000 “non-immigrés” ont quitté le territoire tandis que 108 000 y revenaient ». En rapprochant ces deux catégories de flux, le chercheur révèle un « apport global de la migration de 58 000 personnes », équivalent à « moins d’un millième de la population ».

A son sens, ceux qui prédisent la « ruée vers l’Europe » de la jeunesse africaine, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Stephen Smith, paru en 2018, sont dans le faux. S’il demeure « très difficile » d’anticiper les mouvements de population, M. Le Bras balaye l’argument démographique sur lesquels ces scénarios se fondent. Il prend l’exemple du Niger, pays du Sahel qui cumule une pauvreté élevée, peu de terres cultivables et une fécondité de 7,3 enfants par femme. « En 2016, 6 200 Nigériens vivent en France sur une population de 21 millions d’habitants dans leur pays. Leur nombre a certes augmenté car ils n’étaient que 3 600 en 2011, mais, dans le même temps, la population du Niger s’est accrue de 3,6 millions de personnes. L’accroissement du nombre de Nigériens en France ne représente donc que 0,07 % de l’accroissement de leur nombre en Afrique. »

« En réalité, relativise M. Le Bras, la seule raison d’une augmentation des migrations tient à l’élévation du niveau d’éducation en Afrique et en Asie car plus une personne est éduquée, plus sa probabilité de migrer augmente. » Il rappelle enfin que « 80 % des migrations internationales en Afrique subsaharienne se déroulent à l’intérieur du continent » et sont « majoritairement constituées de ruraux pauvres qui n’ont pas les ressources financières ni psychologiques pour entamer un long et difficile parcours, d’abord à travers le Sahara, puis par la traversée de la Méditerranée ».

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