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Jours tranquilles à Paris
19 décembre 2019

Affaire Delevoye : la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a décidé de saisir la justice

delevoye55

Par Anne Michel, Samuel Laurent

La Haute Autorité chargée de contrôler la probité des responsables publics, réunie mercredi pour statuer sur le cas du haut-commissaire aux retraites démissionnaire, a transmis le dossier au procureur.

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a décidé de saisir la justice dans « l’affaire Delevoye », mercredi 18 décembre, lors d’une réunion de son collège, pour manquements aux obligations déclaratives découlant de la loi de 2013 relative à la transparence.

Cette saisine du procureur s’est faite sans contradictoire, ce qui signifie que l’ancien haut-commissaire aux retraites n’aura pas la possibilité de se défendre dans le délai de quinze jours habituellement prévu après de telles délibérations. Le règlement général de la HATVP accorde, en effet, un tel délai aux déclarants pour présenter leurs contre-arguments et explications.

Dans un communiqué, la HATVP précise que M. Delevoye avait adressé sa déclaration d’intérêts avec « plus de dix jours de retard et seulement après avoir été alerté ». Un « dialogue confidentiel » a été mené avec lui par l’Autorité, alors que l’examen de sa déclaration se poursuivait. Au terme de cet examen, la HATVP « considère que les omissions dans la déclaration initiale de M. Delevoye, en raison de leur nombre, de la nature de certains intérêts omis et des risques de conflits d’intérêts avec ses fonctions gouvernementales, sont susceptibles de caractériser l’infraction d’omission substantielle d’une partie de ses intérêts ».

Le caractère exceptionnel de l’affaire aura donc poussé l’autorité administrative indépendante, chargée du contrôle de la probité des responsables publics, à agir vite.

L’article 40 du code de procédure pénale oblige toute autorité ou officier public à signaler au parquet tout crime ou délit dont il aurait connaissance. Cette décision était attendue, y compris par M. Delevoye. Il savait qu’il aurait à payer le prix de ce qu’il appelle sa « légèreté coupable » et ses « multiples erreurs » dans sa déclaration d’intérêts de haut-commissaire aux retraites, publiée le 7 décembre. La loi du 11 octobre 2013 prévoit une peine allant jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende en cas de fausse déclaration auprès de la Haute Autorité.

« Montant sous séquestre »

Pour l’ex-ministre des retraites du gouvernement d’Edouard Philippe, à la sanction politique, déjà effective, s’ajoute la menace d’une sanction judiciaire.

M. Delevoye a démissionné, lundi 16 décembre, à la suite des révélations concernant les irrégularités commises dans sa déclaration d’intérêts. L’ancien « Monsieur retraites » du gouvernement y avait omis dix mandats au total, pour l’essentiel bénévoles, comme l’avait révélé Le Monde samedi 14 décembre. Il indiquait, en outre, avoir perçu une rémunération comme président d’honneur d’un think tank, alors qu’il était en poste au gouvernement, un cumul strictement interdit par l’article 23 de la Constitution.

Les révélations dans la presse ont rendu le départ de M. Delevoye inévitable. Ce dernier était lucide sur ce point dès le 15 décembre, confiant au Monde avoir « immédiatement pris les décisions qui s’imposaient : j’ai demandé les textes et fait vérifier l’incompatibilité par des experts et j’ai décidé de démissionner de ce mandat en remboursant l’argent indûment perçu. J’avais déjà remboursé 7 000 euros dès le 10 décembre », poursuivait-il. « Pour le reste, je vais demander le calcul des sommes que le groupe IGS m’a versées avant mon entrée au gouvernement, depuis 2017, et je mettrais ce montant sous séquestre le temps d’une expertise juridique plus poussée », précisait-il encore.

Après l’avoir dans un premier temps soutenu et avoir plaidé « la bonne foi » et « l’erreur » d’un homme, la majorité a opéré une volte-face complète en début de semaine, l’accusant finalement d’avoir dissimulé une série d’éléments aux services du premier ministre.

Or s’il reconnaît sa faute, l’ancien haut-commissaire affirme n’avoir jamais caché son cumul de fonctions au moment d’accepter le poste consacré à la réforme des retraites, en 2017. Selon les investigations du Monde, M. Delevoye a effectivement déclaré à la HATVP son mandat privé de conseiller au délégué général du groupe IGS dès le 20 octobre 2017. Le Monde a pu consulter la déclaration d’intérêts et d’activités signée par celui qui vient alors de prendre les fonctions de haut-commissaire : elle mentionne bel et bien ce point.

« Faiblesse considérable de nos services »

Les services du premier ministre soutiennent pourtant mordicus n’avoir jamais été informés de ce cumul qui a, de fait, échappé à l’enquête conduite préalablement à l’arrivée d’un nouveau ministre au gouvernement.

« Cela voudrait dire que, dans notre pays, on nommerait des ministres sans s’informer de leur situation fiscale privée avant, ce qui me paraît invraisemblable. Si c’était vrai, ça témoignerait d’une faiblesse considérable de nos services », notait mercredi sur Europe 1 l’ancien député de l’Aisne et spécialiste des finances publiques René Dosière.

La HATVP précise à ce sujet que M. Delevoye « avait indiqué dans sa déclaration d’intérêts du 20 octobre 2017 (…) avoir cessé son activité de “conseiller du délégué général” du groupe IGS au mois de septembre 2017 ». Ce n’est donc « qu’à la réception de la déclaration d’intérêts déposée le 15 novembre 2019 que la Haute Autorité a pris connaissance d’une nouvelle activité professionnelle de “président du think tank Parallaxe”, débutée en janvier 2018 et donnant de nouveau lieu à une rémunération par le groupe IGS ». Elle rappelle que « ce cumul n’entre pas dans le champ de compétence de la Haute Autorité. Pour autant, la Haute Autorité s’apprêtait à l’alerter, à l’issue de l’examen de sa situation par le collège, sur le risque d’incompatibilité ». Jean-Paul Delevoye ayant démissionné, elle n’aura pas eu à le faire.

Le départ de M. Delevoye, remplacé par le député (La République en marche) du Nord et ancien responsable ressources humaines du groupe Auchan, Laurent Pietraszewski, tombe au plus mal pour le gouvernement, en plein bras de fer avec les syndicats autour de la réforme des retraites. A peine nommé, M. Pietraszewski a dû se justifier d’une somme de 71 000 euros perçue à l’été 2019 de son ex-employeur, le groupe de distribution Auchan, et figurant sur sa déclaration d’intérêts datée du 6 octobre 2019.

Auchan a indiqué que cette somme correspondait à des indemnités pour « licenciement économique », accordées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi voté en février. Le poste de M. Pietraszewski, qui s’était mis en « congé sabbatique » de son entreprise peu après son élection comme député, en juillet 2017, avait alors été supprimé, selon le grand distributeur.

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