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Jours tranquilles à Paris
3 janvier 2020

Analyse - En donnant l’ordre de tuer Ghassem Soleimani, Donald Trump choisit l’escalade face à l’Iran

iran214

Par Gilles Paris, Washington, correspondant

Le Pentagone a indiqué que le bombardement qui a coûté la vie au chef des forces Al-Qods des gardiens de la révolution iraniens a été conduit « sur ordre du président ».

En juin, Donald Trump avait dit avoir renoncé à la dernière minute à des frappes de représailles contre l’Iran après la destruction d’un drone américain. Jeudi 2 janvier, la main du président des Etats-Unis n’a cette fois-ci pas tremblé. Dans un communiqué publié peu avant 22 heures (4 heures du matin vendredi heure de Paris), le Pentagone a annoncé que le bombardement qui a coûté la vie au chef des forces Al-Qods, les forces spéciales des gardiens de la révolution iraniens, Ghassem Soleimani, avait été conduit « sur ordre du président ».

« L’armée américaine a pris des mesures défensives décisives pour protéger le personnel américain à l’étranger en tuant Ghassem Soleimani », a indiqué le texte pendant que Donald Trump se contentait de la publication sur son compte Twitter d’un drapeau des Etats-Unis. Le ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a dénoncé « une escalade extrêmement dangereuse et imprudente ».

« Les règles du jeu ont donc changé »

Plus tôt dans la journée, le secrétaire américain à la défense, Mark Esper, avait commenté l’escalade des tensions en Irak qui s’était traduite par le bref siège de l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad par des milices irakiennes pro-iraniennes, mardi et mercredi, en réponse à de premières frappes américaines. « Nous voyons cela depuis deux ou trois mois maintenant », avait-il déclaré à propos des attaques à la roquette qui avaient visé des positions américaines.

« Donc, si cela se produit, alors nous agirons, et soit dit en passant, si nous recevons des informations concernant des attaques ou un certain type d’indication, nous prendrons également des mesures préventives, pour protéger les forces américaines, pour protéger des vies américaines », avait assuré le secrétaire à la défense. « Les règles du jeu ont donc changé et nous sommes prêts à faire le nécessaire pour défendre notre personnel, nos intérêts et nos partenaires dans la région », avait ajouté Mark Esper.

Le communiqué de jeudi affirme que « le général Soleimani élaborait activement des plans pour attaquer les diplomates et militaires américains en Irak et dans toute la région » et qu’il était responsable « de la mort de centaines de membres des forces armées américaines et de la coalition et de milliers de blessés », après l’invasion américaine de 2003.

En dépit de quatre décennies de tensions, parfois très fortes, les Etats-Unis ne s’en étaient jamais pris frontalement, avant jeudi, à un responsable militaire iranien de l’envergure de Ghassem Soleimani. L’autorité de ce dernier dépassait de beaucoup son grade de général deux étoiles. Il symbolisait depuis plus d’une décennie l’axe iranien mis patiemment en place dans la région à la faveur des troubles du Moyen-Orient, de l’effondrement de l’Etat baasiste irakien à la guerre civile syrienne qui ont à chaque fois donné les coudées franches au régime iranien, au grand dam des puissances arabes du Golfe alliées de Washington.

Une revendication à double tranchant

La revendication américaine des frappes qui ont tué Ghassem Soleimani, dont la mort a été bruyamment saluée par les sénateurs « faucons » Lindsey Graham (Caroline du Sud), Marco Rubio (Floride) et Tom Cotton (Arkansas), est d’ailleurs à double tranchant. Intervenant moins d’un an après la désignation du corps entier des gardiens de la révolution comme entité terroriste, elle peut apparaître comme un succès incontestable pour l’armée américaine, soucieuse d’instaurer une dissuasion à court et moyen termes dans cette poudrière incertaine.

En éliminant le chef des forces Al-Qods, Washington entend signaler à Téhéran qu’il ne fixe aucune limite à sa politique de « pression maximale » qui vise officiellement à contraindre l’Iran à se soumettre aux conditions américaines pour ce qui relève de ses ambitions nucléaire et balistique ou de son influence régionale. « Au gouvernement iranien : si vous en voulez plus, vous en aurez plus », a ainsi menacé Lindsey Graham, qui a ajouté que « si l’agression iranienne se poursuit et que je travaillais dans une raffinerie iranienne de pétrole, je songerais à une reconversion ».

Mais le bombardement de jeudi et une éventuelle riposte iranienne peuvent également présenter, moins d’un an avant l’élection présidentielle américaine de novembre 2020, un risque pour Donald Trump. Parce qu’il rend illusoires dans l’immédiat des concessions iraniennes, il peut obliger le président à rompre avec son double engagement de sortir les Etats-Unis de « guerres sans fin » et de se désengager de la région. Depuis que la nouvelle montée des tensions entre Téhéran et Washington consécutive à la suppression en avril des dernières dérogations qui permettaient à l’Iran de vendre une partie de son pétrole, les Etats-Unis ont d’ailleurs au contraire renforcé leur dispositif militaire sur place.

Ce risque a d’ailleurs été pointé jeudi par le favori de la course à l’investiture démocrate, l’ancien vice-président Joe Biden, sans doute le plus aguerri en matière de politique étrangère. Tout en notant que les Etats-Unis ne porteraient pas le deuil du général iranien, Joe Biden a noté que si l’objectif de Donald Trump « est de dissuader les futures attaques de l’Iran » contre des intérêts iraniens, « cette action aura presque certainement l’effet inverse ». « Le président Trump vient de jeter un bâton de dynamite dans un baril de poudre, et il doit au peuple américain une explication de la stratégie et du plan pour garder en sécurité nos troupes et le personnel de l’ambassade (…). Je crains que cette administration n’ait démontré à aucun moment la discipline ou la vision à long terme nécessaires » face à une telle situation, a ajouté l’ancien vice-président.

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