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Jours tranquilles à Paris
8 janvier 2020

Le dossier « Charlie », symbole d’une justice antiterroriste sous pression

Par Elise Vincent

Cinq ans après les attentats contre « Charlie Hebdo », juges et enquêteurs sont soumis à un rythme soutenu d’enquêtes et de procès.

Il a fallu du temps, des centaines d’écoutes téléphoniques et des milliers de procès-verbaux. Mais, cinq ans après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de Vincennes, qui ont causé la mort de 17 personnes et brutalement fait entrer, entre le 7 et le 9 janvier 2015, la France dans sa plus importante vague de terrorisme d’après-guerre, l’enquête est officiellement close. Les dates du procès sont fixées. Les audiences auront lieu du 4 mai au 10 juillet 2020. Et le dossier « Charlie » incarne, à sa façon, beaucoup des nouveaux enjeux de la justice antiterroriste.

Quatorze personnes sont renvoyées aux assises, chiffre considérable. La plupart sont accusées d’« association de malfaiteurs terroriste ». Certaines devront se défendre du chef encore plus grave de « complicité », chose rare. Sur la liste officielle des accusés, on trouve notamment Hayat Boumedienne, l’épouse religieuse d’Amedy Coulibaly, l’auteur de l’attaque contre l’Hyper Cacher. Présumée morte dans la zone irako-syrienne, elle était, en 2015, l’un des premiers visages féminins du djihad hexagonal…

Le dossier « Charlie » demeure aussi une énigme partiellement non résolue. Alors que les attaques ont été revendiquées à la fois par Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) et par l’organisation Etat islamique (EI), l’enquête concernant le commanditaire présumé des attentats a dû être disjointe. Peter Cherif, vétéran du djihad de 37 ans, et ex-cadre d’AQPA, a été interpellé fin 2018 à Djibouti, puis extradé. Mais, à cette date, l’enquête principale était déjà close, un nouveau volet des investigations a donc été ouvert.

Peter Cherif est, depuis le début, la pièce manquante du dossier. Considéré comme l’un des mentors des frères Kouachi, auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo, il est soupçonné d’avoir facilité, à l’été 2011, l’intégration de l’un d’entre eux dans les rangs d’AQPA. En juillet, il a été mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle », mais le volet de l’enquête le concernant risque de ne pas être achevé d’ici au procès prévu cet été. Au mieux, il pourra être entendu comme témoin, au grand dam des parties civiles.

Explosion des saisines

Pour le nouveau Parquet national antiterroriste (PNAT), créé à l’été 2019, le dossier « Charlie » est à ce titre l’un des principaux ­événements à l’agenda 2020. Le tout dans un contexte tendu. Après cinq années marquées par une explosion des saisines, le PNAT doit désormais mener à bien tous les procès des dossiers accumulés depuis 2014-2015. Au mois de novembre, selon des chiffres que Le Monde a pu se procurer, plus de 417 informations judiciaires étaient encore en cours, ainsi que 221 enquêtes préliminaires, ce qui couvrait environ 500 personnes mises en examen.

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Sur l’année 2019, plus de 75 dossiers ont par ailleurs été jugés en correctionnelle. Sans compter 12 affaires jugées aux assises entre l’automne 2019 et la fin d’année. « Du jamais-vu », confiait un ­magistrat avant la trêve de Noël. Ce rythme soutenu mêlant de front enquêtes et procès devrait se poursuivre tout au long de 2020. Au premier semestre, plus de dix dossiers sont d’ores et déjà programmés aux assises. Pour le PNAT, l’enjeu plus discret des « sortants de prison » s’avère aussi une charge croissante : selon nos informations, 42 individus doivent être remis en liberté en 2020, et 55 en 2021.

Le nouveau PNAT bénéficie toutefois de l’expérience accumulée ces dernières années par l’ensemble de la chaîne judiciaire. Entre 2015 et 2017, au moins trois lois renforçant les moyens des services d’enquête ont été votées, sans compter – malgré les débats suscités – l’état d’urgence. Ces textes ont systématiquement été adossés à des hausses budgétaires et d’effectifs. La coopération entre le monde judiciaire et celui du renseignement a par ailleurs connu une révolution de palais. Alors que la méfiance régnait, les échanges ont été nettement améliorés.

L’UNE DES DIFFICULTÉS ACTUELLE EST LA MULTIPLICATION DES DOSSIERS CONCERNANT DES VELLÉITÉS DJIHADISTES DE FAIBLE ENVERGURE

L’une des difficultés actuelle pour la justice et les services ­enquêteurs est la multiplication des dossiers concernant des velléités djihadistes de faible envergure. En cinq ans, les projets de départs pour la zone irako-syrienne ont presque disparu. Le démantèlement de cellules terroristes n’est plus vraiment à l’ordre du jour, et les gros dossiers d’attentats déjoués ou réussis sont en fin d’instruction.

Les profils des mis en cause ont beaucoup évolué, et la frontière entre apologie du terrorisme, crime inspiré par le rigorisme religieux ou troubles psychiatriques est devenue parfois délicate. Le cas de l’attaque au couteau, vendredi 3 janvier à Villejuif (Val-de-Marne), entre dans cette catégorie, tout comme celle de Mickaël Harpon, à la Préfecture de ­police de Paris, le 3 octobre 2019.

Ce constat s’adosse depuis 2018 à une réorientation progressive de la politique de prévention de la radicalisation. Une prévention qui se veut à la fois sécuritaire et sociale. Fin novembre, le ministère de l’intérieur a aussi officialisé sa volonté de lutter contre « l’islamisme », vocable désormais utilisé pour désigner le militantisme religieux (salafiste, frériste ou tablighi) soutenant la charia, dans lequel les services de renseignement redoutent que le djihadisme trouve un nouveau point d’appui.

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