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Jours tranquilles à Paris
8 janvier 2020

Récit - Carole Ghosn, une épouse sans concessions

carlos18

Par Simon Piel, Eric Béziat, Laure Stephan, Beyrouth, correspondance

Depuis l’arrestation de l’ex-PDG de Renault-Nissan au Japon, jusqu’à sa fuite au Liban, sa compagne s’active pour le réhabiliter. A tel point que l’influente épouse se trouve désormais dans le collimateur de la justice nippone.

Depuis l’arrivée de Carlos Ghosn à Beyrouth, le 30 décembre, lui et son épouse, Carole, guettés par les ­photographes, évitent les sorties. Mais ne s’interdisent pas de recevoir leurs amis. Lors d’un des tout premiers dîners que le couple a donné, ils étaient huit. Chaque convive n’avait qu’une question à la bouche : comment Carlos, l’ancien magnat de l’automobile, est-il parvenu à s’échapper du Japon, où il était assigné à résidence ? Mais aucun n’ose la poser. Ce serait malvenu. Alors, on parle de la famille, des enfants, et, surtout, on dit à Carlos que le vin d’Ixsir qu’il sert ce soir-là, produit, dans le nord du Liban, par les vignes dans lesquelles il a investi, est vraiment excellent.

Depuis les retrouvailles avec son époux, Carole Ghosn reste discrète. Certes, elle a remué ciel et terre pour son mari, au cours des mois précédents, interpellé Emmanuel Macron ou Donald Trump, multiplié les interviews, mais sans jamais rien laisser échapper d’elle. « Belle », « intelligente », « une battante », « un couple très amoureux », voilà tout juste ce que confient ceux qui la connaissent. Car l’important pour l’establishment libanais est de rester prudent, de ne ­surtout pas faire de gaffe. L’« affaire Ghosn » n’est pas finie. Et Carole est maintenant au cœur de la tourmente : la justice japonaise a émis un mandat d’arrêt contre elle mardi 7 janvier.

Née en 1966 au Liban, Carole Nahas, de son nom de jeune fille, a toujours vécu dans un milieu aisé. Sa mère appartient à une famille libanaise provenant de la grande bourgeoisie syrienne. Carole Ghosn a trois enfants de son premier mariage avec un financier, qui vit entre New York et Beyrouth. Diplômée en sciences politiques, la Libano-Américaine a passé une grande partie de sa vie aux États-Unis, évoluant dans la haute société de la diaspora libanaise. C’est « à New York, lors d’un gala de bienfaisance, qu’elle et Carlos Ghosn se rencontrent », raconte le journaliste libanais Ricardo Karam. Leur relation devient publique en 2013.

« Ce n’est ni l’executive woman insupportable ni la bimbo »

Quand elle entre dans la vie de Carlos, une foule de petits détails commencent à changer chez le patron de Renault-Nissan : les cravates se font discrètes, les costumes plus cintrés, le cheveu est plus discipliné et en même temps plus rock’n’roll avec un discret allongement des pattes. Cela ne fait de doute pour personne, Carole a ajouté sa touche au look de son amoureux. Elle-même ne manque pas d’allure. Elle a le style de la New-Yorkaise élégante, le chic sans sophistication.

Le couple se marie en 2016 à Paris, dans l’intimité. Peu après, il y aura cette fête flamboyante pour l’anniversaire de Carole au Grand Trianon du château de Versailles, dont le financement fait aujourd’hui l’objet d’une enquête. « Ce n’est ni l’executive woman insupportable ni la bimbo. Et ce n’est pas l’intrigante qui a tiré le gros lot », assure Anne Méaux, la patronne d’Image 7, devenue sa communicante.

« MALGRÉ UNE DÉTRESSE PALPABLE, ON NE L’A JAMAIS ENTENDUE MURMURER LE MOINDRE REPROCHE OU EXPRIMER LE MOINDRE DOUTE ENVERS SON MARI », UN TÉMOIN

La seconde épouse du grand patron restait plutôt à distance des activités professionnelles de son mari. La garde rapprochée du big boss ne la voit jamais aux assemblées générales des groupes ou dans les grands salons de l’industrie automobile. En revanche, elle fait quelques apparitions lors d’événements festifs : au carnaval de Rio ou encore au Festival de Cannes. Elle sera beaucoup plus présente auprès de l’équipe de communication de crise de Renault lors des semaines qui suivront l’arrestation de son époux au Japon, le 19 novembre 2018. « Elle est passée par tous les états lors de ces journées de tension, de l’abattement le plus total à la plus grande combativité, raconte un témoin. Néanmoins, malgré une détresse palpable, on ne l’a jamais entendue murmurer le moindre reproche ou exprimer le moindre doute envers son mari. »

Changement de stratégie

Elle va plonger à corps perdu dans l’affaire, par l’entremise d’un businessman franco-sénégalais d’origine libanaise Abbas Jaber, ami commun d’Anne Méaux et de Carole Ghosn, qui les présente l’une à l’autre lors d’un dîner parisien fin novembre 2018. À l’époque, Carlos Ghosn est en prison et les avocats américains qu’il a embauchés ont donné consigne à son entourage de ne pas s’exprimer publiquement. Les révélations sur les possibles malversations de l’ancien patron se succèdent dans la presse. Carole en est convaincue, Nissan est à la manœuvre derrière ces fuites. À l’issue du dîner chez Abbas Jaber, elle décide de changer de stratégie et de confier la communication à Image 7, la société d’Anne Méaux. Elle part au combat.

Dès janvier 2019, elle prend la parole dans Paris Match. Elle fustige le système judiciaire japonais mais, surtout, assure alors qu’« une des raisons invoquées par ses juges pour maintenir [Carlos] en détention est leur peur de le voir fuir à l’étranger. Je peux vous dire que ce n’est absolument pas le genre de mon mari de se dérober. Carlos est un homme d’une grande intégrité et je sais qu’il va faire face, se battre de toutes ses forces pour son honneur ». Elle sollicitera aussi l’ONG Human Rights Watch. Et d’autres, encore. Puis elle fait changer l’équipe d’avocats de l’ex-PDG de Renault. « C’est elle qui a trouvé les derniers avocats japonais », affirme Anne Méaux.

L’entente entre les deux femmes est si bonne que, en plus des confortables émoluments versés à Image 7, Carole lui offre une tunique de sa ligne de vêtements, co-créée à New York en 2009.

Elles mobilisent tous leurs réseaux. Et au plus haut niveau. Dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, on confirme que l’ex-président de la République l’a rencontrée à plusieurs reprises alors qu’elle menait « un combat solitaire » pour informer de la situation de son époux. Même si les relations furent parfois « raides » avec Carlos Ghosn, quand Sarkozy occupait l’Élysée, c’est ensuite, le 21 octobre, avec l’autorisation d’Emmanuel Macron, que l’ancien chef d’État rend visite à l’homme d’affaires à l’ambassade de France au Japon. Un entretien d’une heure et demie, dont rien n’a filtré.

Son nom apparaît dans un montage financier

À sa façon, Carole Ghosn aussi a pris la fuite quelques mois plus tôt, reconnaît l’entourage du couple. Nous sommes le 4 avril 2019. Après avoir obtenu une libération sous caution, Carlos Ghosn est à nouveau interpellé au petit matin par les autorités japonaises. Il est cette fois soupçonné d’avoir transféré 3,5 milliards de yens (environ 28 millions d’euros) à un concessionnaire omanais, Suhail Bahwan Automobiles. L’argent ne proviendrait pas directement de Nissan mais d’une enveloppe mise à sa disposition par le constructeur nippon et baptisée la « réserve du PDG ».

« C’EST UNE FEMME FORTE, QUI A MULTIPLIÉ LES CONTACTS DANS L’ENTOURAGE PRÉSIDENTIEL AU LIBAN POUR QUE SON MARI NE SOIT PAS LÂCHÉ », UN JOURNALISTE

Prudemment, son épouse décide de quitter l’Archipel. Privée de son passeport libanais par le Japon, elle utilise son titre américain. L’ambassadeur de France l’accompagne à l’aéroport. Les autorités nipponnes auraient souhaité l’entendre notamment parce que son nom apparaît dans le montage financier qui a permis à la famille Ghosn d’acquérir un yacht avec des fonds dont l’origine n’a pas encore été établie.

« C’est une femme forte, qui a multiplié les contacts dans l’entourage présidentiel au Liban pour que son mari ne soit pas lâché », rapporte un journaliste. Une semaine avant sa fuite spectaculaire, Beyrouth avait encore réclamé que le Japon lui remette l’ex-grand patron de l’industrie automobile afin qu’il soit jugé dans le pays de ses ancêtres. Quel rôle a pu jouer Carole Ghosn dans l’évasion de son mari ? Aucun, assure la garde rapprochée du couple. Mais elle a été tenue au courant en temps réel de l’arrivée de Carlos sur le sol libanais. « C’est vrai ? », lui demandent alors ses amis de Paris, New York ou Beyrouth, apprenant la nouvelle par la presse le 30 décembre au soir. « Oui ! », répond-elle simplement. Au cours de l’enquête, les ­procureurs japonais ont été jusqu’à la soupçonner d’avoir contacté, pour son époux, des personnalités liées à l’affaire, notamment au Moyen-Orient. À quelles fins ? Mystère.

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