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Jours tranquilles à Paris
9 janvier 2020

Enquête - Les eaux usées seraient à l’origine de la gastro-entérite des huîtres en Bretagne

Par Benjamin Keltz, Bretagne, correspondance

Quelque 200 conchyliculteurs ont reçu l’interdiction de commercialiser leurs huîtres. Des eaux usées rejetées à la mer ont souillé des milliers de parcs ostréicoles et transmis le virus aux coquillages.

« La nouvelle m’a fait l’effet d’un coup de massue. Vendredi, 19 heures, un client m’a informé qu’un arrêté préfectoral venait de tomber interdisant la vente et imposant le rappel d’une partie des produits élevés dans la baie », grommelle François-Joseph Pichot, dirigeant des Parcs Saint-Kerber, à Cancale (Ille-et-Vilaine).

A peine le combiné raccroché, le professionnel s’est rué derrière son ordinateur pour vérifier l’information. C’était donc vrai. Des coquillages de la baie du Mont-Saint-Michel, cette vallée quadrillée par des milliers de pieux, sur lesquels pullulent les moules, et de tables, où maturent les huîtres dont la production locale a récemment été inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco, ont été contaminés par un norovirus provoquant la gastro-entérite.

Comme les soixante-dix conchyliculteurs du bassin, il s’est mis « en situation de crise ». Le professionnel a multiplié mails et coups de fil à ses clients – grossistes, grandes surfaces, restaurateurs, particuliers… – pour écarter les produits concernés avant de placer en quarantaine les stocks restant. Puis, il a rapatrié des huîtres dormant dans des parcs « sains » et s’est décidé à en acheter à des confrères afin d’honorer ses commandes. Période de grande consommation de mollusques oblige.

« Même si 99,9 % des coquillages sont très certainement sains, on ne peut pas prendre de risque. Les conchyliculteurs ont compris notre décision », constate David Harel, directeur adjoint des territoires et de la mer en préfecture d’Ille-et-Vilaine. En décembre dernier, Santé publique France a recensé 123 cas de toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) suspectés d’être liés à la consommation de coquillages. Au moins 660 personnes ont ainsi contracté la gastro-entérite. Une donnée « exceptionnellement élevée », selon les autorités de veille sanitaire. En moyenne, elles déplorent 70 TIAC par an.

Des eaux usées ont pollué le littoral

Après enquêtes et analyses, des huîtres bretonnes issues de la baie du Mont-Saint-Michel, mais aussi de parcs morbihannais, ont été à l’origine d’une partie de ces intoxications. Sept zones de production en Bretagne sud, sur lesquelles œuvrent 170 ostréiculteurs, ont été condamnées jusqu’à nouvel ordre. Le président du Comité national de la conchyliculture, Philippe Le Gal, dirigeant d’une exploitation morbihannaise, réclame une « enquête » au gouvernement pour « comprendre ».

« Les huîtres se nourrissent en filtrant l’eau de mer. Certains mollusques ont capté le norovirus. Une fois logé dans les tissus à la manière d’un micrograin de sable, il peut intoxiquer qui l’ingérera », expliquent Soizick Le Guyader et Jean-Côme Piquer, biologistes à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). « Ce virus est présent dans le milieu naturel parce qu’il y a été rejeté par l’homme. » Comment ? Pour les scientifiques, pas de doute, des eaux usées ont pollué le littoral et contaminé les coquillages.

Ces dernières semaines, la Bretagne a souffert d’une épidémie de gastro-entérite ainsi que de fortes précipitations, l’équivalent de 75 % de la pluviométrie annuelle. Cet afflux a inondé les réseaux d’assainissement mêlant par endroits eaux pluviales et domestiques alors chargées en matières fécales. Incapables d’absorber le flux, des stations d’épuration ont rejeté sans traitement ce mélange en mer. Ailleurs, des dysfonctionnements de systèmes d’évacuation individuels non raccordés au tout-à-l’égout ont probablement favorisé la contamination des nappes phréatiques ruisselant jusqu’à la mer. Au large, des navires ont, eux, possiblement vidangé leurs eaux souillées accentuant la pollution.

« Lorsqu’une personne est malade, son vomi ou ses selles contiennent une forte dose de virale, entre dix mille et un million de virus se répandent dans un litre d’eau non traitée. Ils résistent à l’eau et à l’air. Leur champ de contamination peut donc être long et lointain. Il suffit de peu de choses pour contaminer le milieu maritime », insiste l’Ifremer.

« L’image de qualité des produits bretons a été salie »

En préfecture d’Ille-et-Vilaine, on se veut « prudent » sur la définition des causes de la pollution et refuse de répondre de « manière univoque ». Oui, en baie du Mont-Saint-Michel, trois stations d’épuration pourtant aux normes ont « débordé ». Un phénomène « regrettable » mais « admis pour des cas exceptionnels ». Si les services de l’Etat refusent de circonscrire l’origine de la pollution, les élus locaux ne s’y risquent pas davantage.

Sollicité, Denis Rapinel, président de la communauté de communes et maire de Dol-de-Bretagne (UDI) en charge du traitement des eaux sur la zone concernée, a refusé de répondre à nos questions. « Cet épisode infectieux met en évidence l’impact des eaux douces sur notre littoral, reconnaît Elodie Boucher, responsable du syndicat des bassins côtiers de la région de Dol-de-Bretagne. Les problématiques liées à l’assainissement interrogent notre territoire, d’habitude salué pour la bonne qualité de son eau, comme tout le reste du littoral français. »

Le norovirus a d’ailleurs sévi hors de Bretagne. Mardi, deux zones ostréicoles de Charente-Maritime ont été fermées. Le Comité national de la conchyliculture redoute la publication de nouveaux arrêtés préfectoraux dans d’autres départements. Vendredi, une délégation sera reçue au ministère de l’agriculture et de l’alimentation. Philippe Le Gal prévient : « L’image de qualité des produits bretons a été salie. La méfiance du consommateur se répercute sur toute notre filière. On veut comprendre pour ne plus être les dindons de la farce. »

En attendant, aux Parcs Saint-Kerber à Cancale, comme dans toutes les exploitations impactées, on scrute sa messagerie dans l’espoir de l’annonce d’une amélioration de la qualité de l’eau permettant la levée de la quarantaine des coquillages. A défaut de traitement existant, seul le temps peut désamorcer la toxicité du novovirus. Compter au moins vingt-huit jours.

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