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Jours tranquilles à Paris
15 janvier 2020

Enquête - Hong Kong : Rester ou partir, le dilemme des expats

SOUTH CHINA MORNING POST (HONG KONG)

En proie à une crise sans précédent, Hong Kong n’est plus le pays d’expatriation idéal pour le business. Pour les Français sur place, la question se pose : faut-il quitter le pays ?

Les manifestations antigouvernementales ont convaincu une expat installée de longue date à Hong Kong – elle souhaite rester anonyme afin que son nom ne soit pas associé aux manifestations – de faire une liste des affaires à emporter au cas où la situation tournerait au vinaigre. Elle a recensé tous les objets à réunir au cas où elle aurait à fuir rapidement, a rangé cette liste dans le tiroir de son bureau, et y a trouvé un certain réconfort.

“Ce n’est pas long, comme liste, explique-t-elle. Les bijoux de ma mère, mon passeport et quelques photos, c’est à peu près tout.” Mais le fait de coucher cette liste sur le papier, confie-t-elle, lui a donné l’impression d’être à peu près préparée au cas où le conflit la pousserait à fuir la ville où elle a posé ses valises voilà 28 ans.

Elle fait partie de ces étrangers qui représentent près de 10 % des 7,5 millions d’habitants de Hong Kong. Beaucoup jaugent en ce moment les risques de rester dans une ville jusque-là connue pour sa stabilité et désormais la proie des troubles depuis des mois.

Plans d’urgence et lignes jaunes

Pour autant, on ne relève jusqu’à présent aucun signe d’exode. Les chiffres de l’immigration donnent 731 082 étrangers installés à Hong Kong en novembre 2018. Un an plus tard, ce chiffre s’élève à 726 032. Il comprend les aides ménagères, originaires pour la plupart des Philippines et d’Indonésie, soit environ 400 000 personnes, selon les statistiques des services de l’immigration.

Les étrangers qui travaillent dans le secteur de la finance ou qui dirigent des entreprises à Hong Kong se posent des questions sur leur sécurité et celle de leurs enfants à l’heure où les gaz lacrymogènes, les briques, les balles en caoutchouc et les cocktails Molotov remplacent le tourisme et le lèche-vitrines dans les rues de la ville.

Les plans d’urgence et les “lignes jaunes” divergent d’une personne et d’une famille à l’autre, mais beaucoup reconnaissent avoir eu des discussions animées avec un conjoint ou la famille restés au pays au sujet de la meilleure décision à prendre depuis que les manifestations globalement pacifiques de juin contre un projet de loi sur l’extradition ont dégénéré en batailles rangées entre la police et des manifestants radicaux.

Un banquier de 33 ans originaire de Nouvelle-Zélande, qui souhaite également rester anonyme, n’a pas établi de liste mais a amplement discuté avec sa femme, et tous deux ont décidé d’aller chercher du travail ailleurs, après quatre années passées dans la ville. “On constate que Hong Kong a changé radicalement, ce n’est plus le centre d’affaires que c’était”, relève-t-il.

Il y a les confiants…

Un autre expat, un courtier originaire de Corée du Sud, témoigne : partir ne fait pas partie des options pour ce trentenaire et sa famille. Son épouse, hongkongaise, et lui viennent d’avoir un bébé qu’ils ont bien l’intention d’élever à Hong Kong. Mais si la ville est plus intéressante pour lui professionnellement, il n’en a pas moins une ligne jaune.

L’histoire de la Corée du Sud est émaillée de mouvements antigouvernementaux lancés par les étudiants, par exemple dans la ville de Gwangju en 1980, où l’usage de la force par l’armée s’était soldé par la mort de plusieurs centaines de personnes : “Sauf événement grave de cette ampleur, je resterai à Hong Kong, même si le risque est toujours là – on sait tous que la Chine peut prendre des mesures radicales”, observe-t-il, réclamant à son tour l’anonymat en échange de son témoignage.

… et les nostalgiques

Les qualités qui séduisent les étrangers à Hong Kong – la sécurité, la stabilité et les loisirs – ont du plomb dans l’aile. Hong Kong est un des principaux centres financiers du globe, mais l’instabilité et la violence contrebalancent désormais la perspective de salaires juteux et de carrières alléchantes.

“On attend de voir. Ça dépendra de ce qui se passe à Noël ; beaucoup de gens retourneront voir leurs familles et se demanderont ce qu’ils vont faire”, remarque Tara Joseph, présidente de la chambre de commerce américaine à Hong Kong.

“Les gens se demandent s’ils ont pris la bonne décision”

Certains ont déjà décision prise. Un ancien militaire américain installé à Hong Kong explique qu’il n’a pas envie de vivre dans une ville où “la violence [est] tolérée” et prévoit d’émigrer à Singapour. “Je ne veux pas que mon enfant et ma femme vivent dans la peur”, justifie ce cadre américain de 39 ans, né à Hong Kong. “Quand vous avez deux régimes politiques différents, il y aura forcément une fusion, mais ça va prendre du temps. Personnellement, je n’ai pas le temps d’y prendre part… Ce n’est pas mon combat.”

La plupart des étrangers que j’ai interrogés disent comprendre l’opposition au projet de loi sur l’extradition et soutenir les appels à la démocratie lancés par les manifestants, mais dénoncent la violence et le vandalisme. D’autres s’inquiètent de la gestion des troubles par l’État et la police. Tous sont dans le flou.

Président du Forum des travailleurs indiens de Hong Kong, Anurag Bhatnagar s’y est installé en 1995, et ce n’est pas le premier mouvement social d’envergure auquel il assiste. “Ce qui m’a surpris, quand même, c’est la violence – que les choses aient pu déraper comme ça”, confie-t-il, précisant qu’il s’agit ici de son opinion personnelle, et non de celle de son organisation.

Ce négociant en matières premières et fondateur d’une société technologique explique que beaucoup de gens, dans son entourage, s’inquiètent du tour que prennent les manifestations et déplorent le manque de volontarisme du gouvernement. “Finalement, tous les expats qui se sont installés à Hong Kong y sont venus pour des raisons à la fois professionnelles et personnelles. Quand l’avenir devient flou, politiquement, les gens se demandent s’ils ont pris la bonne décision”, fait-il remarquer.

Des devis de déménagements en hausse

Si beaucoup d’entreprises sont impactées, les sociétés de déménagement observent quant à elles une multiplication des demandes de devis et s’attendent à une année 2020 chargée. Dans la plupart des cas, les manifestations ne sont que l’élément déclencheur du déménagement, et non la cause profonde, observe Lars Kuepper, directeur commercial de la société de déménagement Relosmart :

Ce n’est pas vraiment à cause des manifestations, même si elles ont servi d’élément déclencheur – ce sont des gens qui envisageaient de déménager depuis un certain temps à cause du coût de la vie et des frais de scolarité pour les enfants, et les derniers événements ont précipité leur prise de décision.”

L’entreprise a assuré 125 déménagements en octobre, soit deux fois plus que l’année précédente, dont près de la moitié pour des expatriés, précise-t-il. “C’est du sept jours sur sept en ce moment”, poursuit Lars Kuepper.

Les employeurs tranchent

Si on ne voit aucun signe d’exode, on constate en revanche un ralentissement du recrutement international. Certaines banques et multinationales cherchent également à répartir le risque en délocalisant certaines activités hors de Hong Kong.

“Ça ne veut pas dire qu’elles vont délocaliser l’ensemble de leurs activités, mais elles font une liste et voient ce qui doit impérativement rester à Hong Kong et ce qu’elles pourraient éventuellement mettre ailleurs”, constate Stephen West, directeur commercial du cabinet de conseil Quartermain Alpha à Hong Kong.

Il précise qu’il n’est pas inhabituel que les entreprises revoient leur stratégie de maîtrise du risque, mais qu’une fois installées ailleurs les chances de retour sont faibles.

Selon une enquête publiée [en novembre 2019] par la chambre de commerce et d’industrie japonaise à Hong Kong, plus d’un tiers des 270 entreprises qui y ont répondu envisageaient de rapatrier au Japon les familles de leurs employés sur place, ou l’avaient déjà fait. Seize entreprises faisaient savoir qu’elles relocaliseraient l’ensemble de leurs effectifs au Japon avant la fin 2019, et 90 autres disaient l’envisager. En revanche, d’autres marquaient leur intention de rester sur place.

Des entreprises restent optimistes

Tara Joseph, de la chambre de commerce américaine, assure ainsi que bon nombre de grandes entreprises américaines “tiennent absolument à rester”. Une étude conduite par la chambre de commerce, publiée en octobre, montre que moins d’un quart des entreprises membres envisagent de réduire la voilure ou de quitter Hong Kong.

Le président de la chambre de commerce de l’Union européenne en Chine, Jörg Wuttke, s’est également dit “frappé” par l’optimisme des entreprises étrangères au vu des événements en cours.

Beaucoup d’étrangers installés de longue date ont tissé avec la ville un lien qui n’est pas uniquement financier, mais aussi personnel, et ont hâte de voir Hong Kong se relever de cette épreuve. Bhim Prasad Kafle, vice-président de la chambre de commerce népalaise de Hong Kong, confirme : “[Les deux camps] doivent s’asseoir autour de la table des négociations et trouver une solution. Il le faut, c’est la seule option”, tranche-t-il.

Bhim Prasad Kafle, qui s’est installé à Hong Kong voilà 24 ans pour y faire des études dans l’industrie hôtelière, observe une baisse de 30 % de l’activité de son groupe de restauration situé dans le célèbre quartier [gastronomique] de Soho. Mais il n’en reste pas moins optimiste sur la capacité de la ville à rebondir. “Hong Kong a toujours été comme ça : quand [l’activité] redémarre, c’est sur les chapeaux de roue”, dit-il.

La fin d’une ère idyllique pour les expatriés ?

Le redressement de Hong Kong dépendra des enjeux clés qui ont fait descendre des millions de personnes dans la rue cette année : comment la ville se définira-t-elle dans sa relation au continent ? “Il va falloir que les politiques déploient des trésors de créativité pour redresser la barre et dessiner un projet pour Hong Kong”, prévient Michael Pepper, un avocat d’affaires installé dans la ville depuis plus de vingt ans.

“Il faut vraiment qu’on comprenne dans les cinq ans ce qui nous attend au-delà de 2047”, poursuit-il, faisant référence à la date où prendra fin le principe du “Un pays, deux systèmes” institué par la Déclaration sino-britannique qui définissait les termes de la rétrocession de Hong Kong à la Chine le 1er juillet 1997. L’indépendance du pouvoir judiciaire de Hong Kong avait permis à la ville de se poser en intermédiaire de confiance entre les entreprises étrangères et la Chine continentale.

Tara Joseph, de la chambre de commerce américaine, reconnaît que les troubles qui agitent en ce moment Hong Kong amènent à sérieusement s’interroger sur l’avenir :

Il faut se poser la question honnêtement, et dès maintenant : il y a eu l’époque coloniale, puis la rétrocession voilà de ça vingt ans… et les choses n’ont pas vraiment changé, les expats ont toujours plus ou moins les mêmes privilèges. Peut-être qu’on est on en train d’entrer dans une troisième ère, où les expats resteront sur place, mais avec un niveau de risque accru, où il n’y aurait plus cette coexistence des deux régimes… Ça a été une année riche en émotions. Tout le monde va essayer de digérer tout ça, y compris moi.”

Et vous, où placeriez-vous votre ligne jaune ?

Simone McCarthy

Cet article a été publié dans sa version originale le 27/12/2019.

Source

South China Morning Post

HONG KONG http://www.scmp.com/

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