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Jours tranquilles à Paris
23 janvier 2020

Récit - Emmanuel Macron en promenade spirituelle sur les lieux saints de Jérusalem-Est

macron colere

Par Cédric Pietralunga, Piotr Smolar, Jérusalem, envoyés spéciaux

La visite du président français a été marquée, mercredi, par un léger incident avec des agents de la sécurité israélienne qui le gênaient pour entrer dans l’église Sainte-Anne, territoire français dans la vieille ville.

Vertige délicieux de l’improvisation. Sourire aux lèvres, sans se presser, Emmanuel Macron s’est promené dans la vieille ville de Jérusalem-Est, mercredi 22 janvier. Là où chaque pierre est un contentieux, là où chaque mur dit un conflit, là où le rire pénètre si peu car chacun vit à l’ombre d’un dieu, le président français a décidé de rendre hommage aux trois monothéismes. A sa façon : par sa seule volonté, en bousculant le protocole, en jouant de l’effet de surprise et d’image. L’église du Saint-Sépulcre, puis l’esplanade des Mosquées, et enfin le mur des Lamentations. Autant de sites non prévus au programme. « En ce petit lieu, tant de grands jaillissements ! », a noté le chef de l’Etat. Le message était la promenade en soi, itinérance spirituelle dont chaque étape était une carte postale pour l’histoire. Les mêmes étapes que celles parcourues par Jacques Chirac, en octobre 1996.

Emmanuel Macron aurait pu laisser les lieux parler, se contenter de quelques questions à ses guides successifs. Chrétiens, musulmans et Juifs, ceux-ci lui ont ouvert, chacun à leur tour, le livre de leur histoire. Mais le président a aussi apprécié le bain de foule, les mains tendues, les interpellations, s’arrêtant parfois devant les micros. « Président ! », « Gilets jaunes ! », « Justice pour Sarah Halimi ! » ou « Allez l’OM ! », criaient quelques croyants juifs francophones, au pied du Mur, là où tant de prières murmurées ou muettes sont adressées, un jour ordinaire.

« J’ai voulu marcher librement », a expliqué le président, qui a salué de nombreux commerçants et visiteurs avant de découvrir le Saint-Sépulcre dans le quartier chrétien, accompagné de représentants religieux. Les touristes, éberlués de le croiser, étaient aussi agacés de ne pouvoir accéder au lieu. La police israélienne, elle, maîtresse de cette vieille ville conquise en 1967, a paré au plus pressé, dans ces ruelles si sensibles où aucun débordement n’est toléré.

Mardi soir, dans l’avion, Emmanuel Macron a confirmé à son entourage qu’il souhaitait arpenter la vieille ville. C’est à la mi-journée mercredi, au moment où il se rendait à son rendez-vous avec Benny Gantz, le chef de Bleu et Blanc (opposition), que les détails logistiques furent fixés, précise un conseiller. Une gageure. Les Israéliens n’aiment guère les visites de dignitaires étrangers sur l’esplanade des Mosquées. Quant à la coordination avec le Waqf, la fondation pieuse jordanienne qui gère le troisième lieu saint de l’islam, elle réclame généralement des contacts nourris. Mais que valent les habitudes, lorsqu’on peut les bousculer d’un pas léger ? La police israélienne explique au Monde que la promenade était « planifiée à l’avance », sans détailler. Leurs officiers ont dû s’adapter en permanence, avec une certaine retenue.

En milieu d’après-midi, la seule certitude qu’avaient les suiveurs du président était que l’agenda implosait. Arrivé à pied devant Sainte-Anne, l’un des quatre domaines nationaux français en Terre sainte, Emmanuel Macron, pourtant de tempérament pondéré, s’est mis en colère. Des agents de la sécurité israélienne tentaient de pénétrer en même temps que lui dans le domaine, au mépris de la souveraineté française. Décalque complet, que ne pouvait ignorer le président français, de la colère mémorable de Jacques Chirac, en 1996. A l’époque, les policiers israéliens, qui le serraient de trop près, l’avaient empêché de saluer des commerçants arabes.

« C’est la France ici »

« Je n’aime pas ce que vous avez fait devant moi. Sortez ! », a crié Emmanuel Macron en anglais, pointant du doigt un agent israélien. Quelques heures plus tôt, celui-ci avait déjà tenté d’entrer et avait été refoulé. « S’il vous plaît, respectez les règles établies depuis des siècles, elles ne changeront pas avec moi, je peux vous le dire (…). C’est la France ici, et tout le monde connaît la règle », a ajouté le chef de l’Etat, agacé, tout en remerciant un responsable israélien en civil pour leur « travail merveilleux », précédemment, à partir du Saint-Sépulcre.

A sa sortie du domaine, détendu, M. Macron mène l’essaim autour de lui vers l’entrée réservée aux musulmans sur l’esplanade de Haram el-Cherif, le « noble sanctuaire » qui abrite la mosquée Al-Aqsa et le dôme du Rocher. Egalement nommé mont du Temple par les juifs, ce lieu est le plus sensible qui soit au Proche-Orient. Bras dessus, bras dessous avec deux représentants du Waqf, Emmanuel Macron prend le temps de balayer du regard l’esplanade humide, tandis que la voix mélodieuse du muezzin s’élève. « Je ne veux pas déranger l’office », dit le président en anglais, lorsqu’on lui propose de pénétrer dans le dôme. Il le fait néanmoins, le temps d’un bref passage.

Le temps file vite, le plaisir s’étire. Avant de descendre par la passerelle vers le mur des Lamentations, M. Macron organise un stupéfiant conciliabule avec son chef du protocole et Emmanuel Bonne, son conseiller diplomatique. Il y a un problème. Où caser Mahmoud Abbas dans l’agenda bouleversé ? Le président de l’Autorité palestinienne devait recevoir son homologue français à 17 heures, à Ramallah. Il est 18 heures. « On va trouver, on y arrive toujours », lance M. Macron, épanoui dans ce chaos. Mercredi matin, alors ? Abbas n’est pas un lève-tôt. Finalement, un rendez-vous est fixé à 22 h 30.

Au cours de cette longue promenade dans la vieille ville, le député de la 8e circonscription des Français de l’étranger, Meyer Habib, a serré le président de près, aux côtés de Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale, imperturbable même bousculé. Ami personnel de Benyamin Nétanyahou, dont il est le premier avocat en France, M. Habib se maintint en première ligne, essoufflé, ravi ou énervé, haranguant les policiers israéliens qui prétendaient encadrer la marche de M. Macron. Face aux caméras, M. Habib cherchait à se placer juste dans le dos du chef de l’Etat. A l’arrivée devant le mur des Lamentations, il jurait : « ça fait deux heures qu’on est chez les musulmans, on peut rester cinq minutes au Kotel ! »

Cette arithmétique n’intéressait pas Emmanuel Macron. Entraîné par son propre mouvement, se recueillant un bref instant en kippa devant le Mur, il continuait son itinérance vers le site archéologique situé sur le flanc gauche de l’esplanade. Un lieu controversé, chéri par la droite messianique israélienne. Les conseillers du président tentaient de se rassurer, en se disant qu’aucun officiel israélien n’accompagnait M. Macron sous terre pour voir les excavations.

Gestes à l’attention de toutes les communautés

Le dirigeant français avait accompli des gestes à l’attention de toutes les communautés, n’en froissant aucune. Une annonce était destinée aux chrétiens d’Orient : la création d’un fonds voué à aider les écoles tenues par les différentes congrégations, où 400 000 enfants suivent un enseignement en français. « Quand la France aide ces écoles, elle aide aussi à la réconciliation de toutes ces communautés qui parfois pourraient se diviser », a-t-il dit, sur ce sujet prisé par ses opposants de droite.

La puissance des images, au cours de cette journée, fut telle qu’elle écrasa le reste, les rencontres politiques. Sur ce plan, la marge de manœuvre française semblait bien plus restreinte que dans la vieille ville. Pour cette première visite officielle en Israël, le président Macron avait des obligations. Il a rencontré le président israélien, Réouven Rivlin, son hôte à l’occasion du 5e Forum mondial sur l’Holocauste. La lutte contre l’antisémitisme fut au cœur de leur prise de parole publique. Le chef de l’Etat vit aussi Benyamin Nétanyahou. Le premier ministre en exercice a évoqué la montée en puissance régionale, inquiétante à ses yeux, de l’Iran et de la Turquie, carte à l’appui. M. Macron a réitéré son approche complète sur l’Iran, qui passe par un sauvetage de l’accord sur le nucléaire tout en élargissant la discussion à la sécurité régionale.

Dans un contexte hautement inflammable au Moyen Orient, où le conflit israélo-palestinien est relégué loin dans les priorités, la conversation avec « Bibi » a figé les désaccords, sans surprise. Le premier ministre, inculpé pour « corruption », s’avance vers une troisième élection en un an, en rêvant d’échapper aux poursuites judiciaires. L’heure n’est pas aux gestes d’ouverture. A moins qu’on ne compte la promenade du président français parmi ceux-ci.

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