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Jours tranquilles à Paris
25 février 2020

Vu du Royaume-Uni - Avec Julian Assange, la liberté de la presse devant la justice

assange 21

THE GUARDIAN (LONDRES)

L’Australien, fondateur de WikiLeaks, va voir la demande d’extradition des États-Unis à son encontre examinée par un tribunal de Londres, à partir du lundi 24 février. Un moment crucial pour l’avenir du journalisme, estime ce chroniqueur.

À partir du 24 février, un journaliste va passer devant un tribunal londonien et risque d’être extradé vers les États-Unis, où il passera le reste de sa vie en prison. Les 18 chefs d’accusation pour lesquels il est poursuivi sont la conséquence directe de révélations dont la plupart sont liées aux guerres américaines menées en Irak et en Afghanistan.

Ces révélations comprenaient par exemple la vidéo nommée “Meurtre collatéral” où l’on voit l’équipage d’un hélicoptère américain tuer dix-huit personnes à Bagdad en 2007, dont deux correspondants de [l’agence de presse] Reuters, Namir Noor-Eldeen et Saeed Chmagh.

Parmi les dossiers se trouvaient des milliers de rapports militaires et des câbles diplomatiques qui ont permis à des gens dans un grand nombre de pays de mieux comprendre les relations entre leur gouvernement et les États-Unis. Ces documents montraient également comment les diplomates américains avaient cherché à récolter des informations sur deux secrétaires généraux de l’ONU.

Un travail incroyable

Sans surprise, les journaux et les différents médias du monde entier se sont fait un plaisir de publier et de diffuser ces révélations. Parler de scoop est bien en dessous de la réalité pour décrire l’ampleur impressionnante de ces révélations. Tous les journalistes s’accordaient à dire qu’il s’agissait d’un travail incroyable, qui a d’ailleurs permis à Julian Assange de remporter plus d’une dizaine de prix.

On pourrait donc croire que ce héros de la liberté de la presse, désormais détenu dans la prison de haute sécurité de Belmarsh [à l’est de Londres], jouit du soutien indéfectible et unanime de la presse britannique avant son procès. Pourtant, jusqu’à présent, la couverture de cette épreuve a été mise en sourdine. Pourquoi ?

Image négative forgée

Le problème est que notre héros n’est autre que Julian Assange, l’homme qui a refusé de comparaître pour éviter d’être extradé vers la Suède pour une affaire de viol, qu’il continue de nier, et qui a trouvé refuge à l’ambassade équatorienne pendant sept ans jusqu’à ce que la police soit autorisée à y entrer et à l’arrêter en avril dernier.

De nombreux mensonges ont circulé sur Assange quand il était réfugié à l’ambassade, notamment des histoires bizarres disant qu’il étalait ses excréments sur les murs, avait ruiné le parquet en faisant du skateboard et torturait un chat.

Ces histoires, et bien d’autres du même acabit, ont contribué à forger une image largement négative d’Assange et du site Internet qu’il a fondé, WikiLeaks. Une campagne de dénigrement orchestrée en grande partie par le gouvernement américain à la suite de la diffusion, en 2010, de la vidéo sur la bavure de l’armée américaine et l’arrestation de la lanceuse d’alerte, Chelsea Manning, responsable des fuites.

Plusieurs accrochages avec des alliés

Au Royaume-Uni, la réputation d’Assange a pâti de ses accrochages avec différentes personnes qui admiraient son travail, notamment The Guardian, qui avait publié des articles à partir de documents de WikiLeaks. Comme le souligne le rédacteur en chef de l’époque, Alan Rusbridger : “La relation avec Assange était tendue… Je le trouvais lunatique, pas très fiable et très antipathique : je crois que c’était réciproque.”

Je n’ai rencontré Assange qu’une fois, quand il est venu pour une conférence à l’université de Londres. Je n’avais pas trop apprécié son arrivée triomphale et j’avais trouvé qu’il cherchait surtout à épater la galerie. Mais, comme Rusbridger, je pense que l’impression de chacun sur la personnalité d’Assange doit être mise de côté. Les enjeux de ce procès sont trop importants pour l’avenir du journalisme.

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Le spectre d’un précédent

Assange est poursuivi pour 17 chefs d’inculpation en violation de la loi sur l’espionnage américaine de 1917, et encourt pour chaque infraction une peine de prison de dix ans. Il est aussi accusé de complot en vue de commettre un piratage informatique, puni d’une peine de cinq ans maximum. Il pourrait donc être condamné à cent soixante-quinze ans de prison.

Ces poursuites ne concernent peut-être qu’un seul homme mais, si elles aboutissent, elles vont créer un terrible précédent. Leur objectif étant d’empêcher les lanceurs d’alerte de dire la vérité, et les journalistes de leur donner une chambre d’écho.

Ce que Manning et Assange ont fait ne peut pas être assimilé à de l’espionnage. Ils ont mis au jour les secrets douteux du gouvernement américain, et, dans le cas de la vidéo de la bavure, montré jusqu’où ce dernier était prêt à aller pour couvrir ce massacre. C’est du journalisme à 100 %.

Mettre ses sentiments de côté

Ce qui veut dire que la liberté de la presse est en danger, et que nous ne devrions pas nous laisser convaincre de regarder ailleurs parce que nous n’aimons pas le type impliqué.

J’ai d’ailleurs été rassuré de voir que les rédacteurs en chef des journaux nationaux ressentaient apparemment la même chose que moi, comme en témoignent leurs réponses à mes questions sur le sujet par e-mail la semaine dernière.

Chris Evans du Daily Telegraph a dit que, s’il était “très mitigé” sur Assange, il était très inquiet des “implications pour le journalisme” en cas d’extradition. Le rédacteur en chef du Daily Express, Gary Jones, a “du mal à considérer Assange comme un journaliste”, mais il pense qu’il a “étalé au grand jour de très sérieux abus de pouvoir et cas de corruption” et pense que “le gouvernement devrait arrêter la procédure d’extradition”.

Peu d’espoir en cas de condamnation

La rédactrice en chef du Guardian, Katharine Viner, est catégorique : “L’État ne devrait jamais se servir de son pouvoir pour réprimer les actions des lanceurs d’alerte et de journalistes qui enquêtent sur des sujets de toute évidence dans l’intérêt général.”

La demande d’extradition des États-Unis de Julian Assange est une atteinte très inquiétante à la liberté de la presse et au droit à l’information du public.”

Selon moi il n’est pas exagéré de faire le parallèle entre le cas Assange et l’affaire Dreyfus, cet officier d’artillerie juif accusé à tort d’espionnage par l’armée française dans les années 1890. Au moins Dreyfus a fini par être libéré et a pu quitter l’île du Diable [où il était détenu]. Si les États-Unis mettent la main sur Assange, il y a peu d’espoir qu’il en réchappe.

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