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Jours tranquilles à Paris
28 février 2020

Procès Assange : la défense dénonce «un abus de procédure»

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Par Amaelle Guiton, envoyée spéciale à Woolwich (Royaume-Uni)

Au deuxième jour de l’audience près de Londres, le fondateur de WikiLeaks est apparu éprouvé. Ses avocats ont démenti qu’il ait incité sa source américaine Chelsea Manning à divulguer des documents.

Un procès tel que celui qui se déroule depuis lundi au tribunal de Woolwich (Royaume-Uni), à l’issue duquel la justice britannique va devoir statuer sur la demande d’extradition émise par les Etats-Unis à l’encontre de Julian Assange, ne peut d’évidence être un long fleuve tranquille. Mardi matin, peu avant 10 heures, les couloirs du tribunal bruissent d’un incident signalé notamment sur Twitter par la directrice du bureau de Reporters sans frontières (RSF) à Londres, Rebecca Vincent : le journaliste islandais Kristinn Hrafnsson, actuel rédacteur en chef de WikiLeaks et bras droit de l’Australien, s’est vu empêcher d’accéder à la tribune du public. Après protestations et intervention des avocats d’Assange, il pourra finalement y suivre les débats. Croisé en milieu de journée, il nous expliquera avoir reçu des «excuses» pour ce qui lui a été présenté comme une «erreur», mais pas d’explications à proprement parler.

A la reprise des débats, à 10 heures, ce sont les conditions de détention du principal intéressé à la prison de haute sécurité de Belmarsh, adjacente au tribunal, qui font l’objet d’une déclaration de son équipe de défense. «[Lundi], M. Assange a été menotté onze fois, mis à nu deux fois» et «placé dans cinq cellules différentes», dénonce Edward Fitzgerald, qui demande à la juge Vanessa Baraitser d’intervenir auprès des autorités pénitentiaires. Celle-ci répond que ses pouvoirs sont «limités» en l’espèce, et suggère une saisine directe. Quant à l’avocat de l’administration américaine, James Lewis, il vient en appui à la partie adverse : le chef de file de WikiLeaks, souligne-t-il, doit faire l’objet d’un «procès juste et équitable» - le contraire risquerait de fragiliser la procédure.

«Abus»

Outre-Atlantique, Assange, sous le coup de 18 chefs d’inculpation, risque jusqu’à 175 ans de prison - dont 170 au titre de la loi sur l’espionnage, pour avoir obtenu et publié au début des années 2010 des documents secrets de l’armée américaine, des câbles diplomatiques et des documents sur les prisonniers de Guantánamo. La veille, l’avocat des Etats-Unis s’est montré très offensif : «Julian Assange n’est pas un journaliste», a-t-il asséné, et si Washington veut le traduire en justice, c’est pour avoir «incité» Chelsea Manning à s’emparer d’informations classifiées, et «mis en danger des sources» de l’administration américaine en Iran, en Irak et en Afghanistan par la publication de documents non expurgés. Toute la journée de mardi, l’un des avocats d’Assange, Mark Summers, s’attelle donc à démontrer que l’accusation américaine n’est ni «juste» ni «exacte» - «des mensonges, des mensonges, et encore des mensonges», affirme-t-il. Objectif : convaincre la juge que la demande d’extradition doit être rejetée au titre de l’«abus de procédure».

assange

Summers passera notamment un long moment sur l’accusation portée contre Assange d’avoir, par ses publications, mis des vies humaines en danger. Il décrit, à l’inverse, un processus de partage des documents avec des rédactions, un peu partout dans le monde, qui a permis de caviarder des noms de personnes, y compris, souligne-t-il, sur suggestions du département d’Etat américain. Et quand WikiLeaks décide en septembre 2011, soit près d’un an après le début des premières publications de câbles diplomatiques, d’en mettre en ligne l’intégralité dans leurs versions non expurgées, c’est à l’issue d’un enchaînement complexe qui a d’abord vu des journalistes du Guardian publier au printemps un livre contenant le mot de passe permettant de déchiffrer l’archive, des tiers (dont le média allemand Der Freitag) y accéder, et un autre site web, Cryptome.org, la mettre en ligne. Summers fait aussi valoir qu’Assange avait alerté le département d’Etat de cette fuite - c’est d’ailleurs cet épisode qui ouvre Risk, le documentaire que l’Américaine Laura Poitras a consacré au chef de file de WikiLeaks.

Perdu

En réponse, James Lewis accuse à son tour la défense d’Assange de «travestir» les inculpations américaines et de «déformer» les faits reprochés à l’Australien. Et de remettre en avant une formule extraite d’un échange entre Manning et Assange : la première signale qu’elle n’a plus de documents à transmettre, le second lui répond «les yeux curieux ne se dessèchent jamais», ce qui pour Lewis constitue la preuve de l’incitation. Au-delà, il fait valoir qu’il n’appartient pas au tribunal britannique de se prononcer sur le fond du dossier.

Assis sur un banc derrière des vitres, le regard parfois perdu dans le vague, Julian Assange sera apparu, tout au long de ce mardi, de plus en plus fatigué. «Il a du mal à se concentrer et ne peut communiquer avec son équipe de défense», explique l’avocate Gareth Peirce lorsque la juge lui demande si son client est en état de poursuivre l’audience. A l’issue des débats, la représentante britannique de RSF, Rebecca Vincent, s’est déclarée «préoccupée» par la santé d’Assange. Et a de nouveau appelé la justice britannique à refuser la demande d’extradition américaine.

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