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Jours tranquilles à Paris
27 février 2020

Procès Fillon : une affaire de famille

fillon47

François et Penelope Fillon sont jugés depuis ce mercredi (hier) pour «détournement de fonds publics» et «abus de biens sociaux». Des dossiers auxquels le couple a mêlé ses enfants.

Repoussé de quarante-huit heures après le renvoi symbolique demandé par les avocats de François et Penelope Fillon en solidarité avec la grève des robes noires, le procès de l’ex-Premier ministre et de sa femme, pour «détournement de fonds publics», et «abus de biens sociaux», débute ce mercredi jusqu’au 11 mars. Retour sur quatre enjeux au cœur du dossier.

A la recherche du travail de Penelope

La défense de Penelope Fillon aura produit pas moins de 300 documents en vue de justifier ses confortables émoluments sur près d’un quart de siècle. «Ils confirment l’abus consistant à qualifier de travail parlementaire la plus anodine des activités», grince l’accusation. Son principal job consistait à recevoir des solliciteurs en son manoir de Beaucé (Sarthe) : demandes de logement, de piston pour un emploi, d’inscription dans une école huppée… Selon le principe qu’il vaut mieux s’adresser à l’épouse du maître des lieux, «jamais très patient pour écouter les sollicitations des uns et des autres», reconnaît Penelope. Sauf que ses authentiques assistants parlementaires étaient également sur le pont. Sur les 1 664 «courriers de sollicitation» reçus par l’équipe Fillon sur son seul mandat de député de Paris (à partir de 2012), seuls 38, soit 2 %, étaient adressés à son épouse. «Elle est au centre de tout, les yeux et les oreilles de François sur place», ont témoigné des fillonistes. «De mon coin de Sablé», confirme l’intéressée. Y compris lorsqu’il cède son siège de député à son suppléant sarthois, entre 2002 et 2007, Marc Joulaud. Un garçon «timide et peu sûr de lui», résume Penelope, à laquelle on renverrait volontiers le compliment.

Pour en avoir le cœur net, les enquêteurs ont sondé la presse locale. Un journaliste du Maine libre a ainsi témoigné : «C’était la femme du Premier ministre et c’est tout. Et avant, c’était la châtelaine qui s’occupait de ses roses. Il n’y avait aucun intérêt à en parler.» L’éditeur de six hebdomadaires locaux, sur une base de 380 000 articles, réussira à en extraire 104 mentionnant son nom ou sa photo. Infime proportion certainement liée à sa pudeur : «Mon intention n’était pas d’être sur la photo ni de me mettre en lumière ou en avant», expliquera-t-elle. Les enquêteurs ont auditionné les anciens préfets de la Sarthe, témoignant de «brefs échanges de courtoisie lors de manifestations officielles». Mais aussi un policier des RG, qui dit «ne lui avoir jamais connu la moindre activité à part femme au foyer», et être «tombé de sa chaise» lors de la révélation de ses émoluments. Et les juges d’instruction de donner le coup de pied de l’âne dans leur ordonnance de renvoi en correctionnelle : la plupart de ses apparitions sur la scène locale «se rattachent à ses domaines de prédilection, comme l’équitation, le jardinage ou la musique baroque».

Une très chère relectrice

En 2012, Nicolas Sarkozy ayant quitté l’Elysée et François Fillon Matignon, ce dernier s’inquiète auprès du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière (MLL) : Penelope risque de «s’embêter»… Déjà en charge du financement du microparti filloniste Force républicaine, il s’exécute. Il en a l’habitude, pour mettre son chalet de Courchevel à la disposition des époux Fillon une semaine par an, distribuant aux enfants des places de concerts aux artistes qu’il produit par ailleurs (Hallyday, Sardou, Bruel), sans même parler d’un prêt de 50 000 euros pour la rénovation du manoir. Il propose de recruter Penelope Fillon au sein de l’agence France Muséums, en charge du Louvre Abou Dhabi, qu’il préside. Mais son directeur général rechigne. Direction sa Revue des deux mondes. Lacharrière se dit alors intéressé par son «œil anglo-saxon» en vue d’internationaliser la revue avec des «couvertures plus agressives».

Pour justifier ce «recrutement», MLL invoque son refus du «syndrome des deux C : conformisme et consanguinité». On est pourtant en plein dedans. Penelope ne publiera que deux notes de lecture, sous le pseudo de Pauline Camille. Qui suscitera ce commentaire par mail entre deux salariées : «J’ai commencé à relire et j’ai arrêté. Vraiment pas bon. Elle peut pas se trouver un amant au lieu de nous faire chier ?» Elle demandera elle-même la fin de sa collaboration fin 2013.

Des enfants qui rapportent gros

Septembre 2005 : évincé du nouveau gouvernement Villepin, Fillon trouve un point de chute au Sénat. Difficile d’y employer sa femme, déjà rémunérée par son député suppléant. Va donc pour les enfants. C’est d’abord l’aînée, Marie, tout juste titulaire d’un DEA : 2 700 euros net mensuels pendant quinze mois. Parallèlement, elle obtient un stage de six mois au sein d’un cabinet d’avocats, au risque d’enfoncer le maximum légal de soixante-dix heures par semaine. Puis Charles, durant six mois en 2007. La questure du Sénat relèvera qu’ils étaient tous deux «au maximum de la rémunération d’un collaborateur familial». «Aucun des travaux revendiqués par Marie et Charles Fillon ne présente un lien évident avec une activité parlementaire», pointe l’accusation.

François tente bien d’expliquer que son fils aurait réellement travaillé, œuvrant pour le futur programme présidentiel de Sarkozy. Avant que le fiston ne ramène son paternel à la raison : «Je ne sais pas pourquoi il a dit ça.» Les enquêteurs s’étonnent aussi que les parents Fillon continuent alors de verser de l’argent de poche à leurs deux aînés en fin d’études (entre 200 et 500 euros par mois). Explication : leurs revenus sénatoriaux étaient illico reversés sur le compte du père. Marie entendait ainsi rembourser son mariage (50 000 euros) financé par papa ; Charles ses études supérieures. Louable renvoi d’ascenseur. Mais pourquoi cette solidarité familiale passerait-elle par des fonds publics ? Si les enfants ne sont pas poursuivis, le paternel devra en répondre pénalement.

Des conseils fort bien monnayés

A partir de 2012, François Fillon doit se conformer à la récente loi sur la transparence de la vie publique. Et donc déclarer ses revenus annexes. De sa petite entreprise, 2F Conseil, il manque un zéro (22 000 euros de revenus déclarés en 2016 au lieu de 220 000). Il plaidera l’erreur matérielle. Les enquêteurs lui accordent un non-lieu dans ce sous-volet, mais pointent «les risques évidents de conflits d’intérêts ou de trafic d’influence». 2F Conseil a été créée en juin 2012, juste avant les législatives : un député a le droit de mener une activité de conseil à condition de l’avoir exercée avant son élection. A cinq jours près, Fillon coche la case. Parmi les premiers clients de 2F Conseil, ce bon vieux MLL : trois missions pour 100 000 euros, dont une étude sur la «réorganisation de l’actionnariat familial».

René Ricol, ex-commissaire général aux investissements, nommé à ce titre sous la double signature de Sarkozy et Fillon, lui fera aussi facturer 290 000 euros entre 2012 et 2017. L’assureur Axa mettra également la main à la pâte, avec 250 000 euros. Son président, Henri de Castries, a initié François aux plaisirs de la chasse. Patrick Pouyanné, patron de Total et ex-directeur de cabinet de Fillon, se démènera, lui, pour ouvrir des portes à un fabricant libanais de pipelines. Les juges d’instruction pointent une «clientèle d’hommes d’affaires qu’il avait eu l’occasion de fréquenter durant sa carrière politique». Mais, pour ne pas «alourdir le dossier», il est donc blanchi sur ce point, mais la lecture des pages que lui consacre l’ordonnance de renvoi est éthiquement désastreuse. Relevant un «mélange des genres entre 2012 et 2017, tout à la fois lobbyiste, intermédiaire, député, chef de parti et candidat à l’élection présidentielle».

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