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Jours tranquilles à Paris
3 mars 2020

Au procès Fillon : « Mais quel est le lien avec votre travail d’assistante parlementaire ? »

Par Henri Seckel

L’étude de dizaines de documents fournis par la défense, censés démontrer la réalité du travail de Penelope Fillon auprès de son mari, n’a pas convaincu le tribunal.

On ne peut pas dire que Penelope Fillon n’ait rien fait au côté de son mari lorsque celui-ci était député de la Sarthe. Mais on ne peut pas dire non plus avec précision quelle était la nature ni l’ampleur de sa tâche. Voilà où l’on en est après deux jours d’interrogatoire minutieux du couple qui comparaît depuis le 24 février à Paris pour détournement de fonds publics. On ne peut pas dire que Penelope Fillon n’ait rien fait, mais « la question de ce procès, a résumé le procureur Aurélien Létocart, c’est : est-ce que cela méritait une rémunération dans le cadre d’un contrat de collaborateur parlementaire ? »

Pour avancer vers une réponse, le tribunal a décortiqué, lundi 2 mars, d’épais dossiers constitués par les Fillon et leurs avocats. La présidente de la 32e chambre correctionnelle Nathalie Gavarino a pris le temps – trois heures – d’aborder un par un les dizaines et les dizaines de documents – courriers, photos, mails, articles, discours – censés démontrer que Penelope Fillon n’avait pas été payée jusqu’à 5 900 euros net par mois pour cultiver les roses dans le jardin du manoir sarthois de Solesmes.

Ainsi, au fil des pièces, on apprend qu’elle a participé au vernissage d’une exposition à Asnières-sur-Vègre, remis des récompenses à un concours équestre ou assisté au festival de musique baroque de Sablé-sur-Sarthe, qu’elle accompagnait François Fillon lors de la cérémonie de jumelage de Parcé-sur-Sarthe avec un village gallois, et qu’elle a récolté « des détails et des dates précises » sur la vie d’un maire local décédé pour étoffer l’éloge funèbre lu par son mari à l’enterrement.

« Ça montre votre participation à des événements locaux », conviendra plusieurs fois la présidente, qui se montrera tout de même le plus souvent circonspecte face aux « preuves » avancées par la défense, et demandera fréquemment à l’intéressée : « Mais quel est le lien avec votre travail d’assistante parlementaire ? »

« Je n’ai pas participé »

C’est que pour certains documents, ce lien était difficile à déceler. Ces trois pages d’un agenda de François Fillon de décembre 1981, par exemple, dans lesquelles Penelope n’apparaît pas – mais qui démontrent « la densité » des journées du député, selon la défense. Ou ce mail envoyé en 2013 par une autre collaboratrice de l’ancien premier ministre, demandant à Penelope Fillon de bloquer une date pour un dîner avec le journaliste Franz-Olivier Giesbert.

« Elle a retrouvé ces documents par hasard, s’était excusé son avocat Pierre Cornut-Gentille en préambule, conscient de donner l’impression d’avoir raclé les fonds de tiroirs. Ce sont des exemples anciens de contributions plus ou moins importantes, mais on ne prétend pas que ça rende compte de manière exhaustive de son activité. »

Parfois, cela n’en rend pas compte du tout, comme pour ce courrier d’une dame réclamant à François Fillon une indemnisation pour ses parents déportés, et à laquelle le député a répondu qu’il transmettrait aux anciens combattants. « Comment avez-vous participé, dans ce dossier ?, demande la présidente.

– Je n’ai pas participé. »

La défense insiste sur une attribution majeure de Penelope Fillon : le traitement du courrier. Mais l’a-t-elle traité ou s’est-elle contentée de le faire passer à son époux ou à d’autres collaborateurs ? Impossible d’obtenir une réponse claire. D’ailleurs, la présidente se demande si les gens écrivaient « au député, au maire ou au président du conseil général », mandats cumulés par François Fillon, et donc si Penelope intervenait en tant que femme de député, de maire ou de président du conseil général (ou, plus tard, du candidat à la primaire de l’UMP). Même doute devant les invitations à participer à tel événement, local ou privé, au côté de François Fillon : « Si vous n’aviez pas été assistante parlementaire de votre mari, auriez-vous été invitée de la même façon ? » « Je ne sais pas », répond Penelope Fillon.

Une audience tourmentée

Au fil des audiences, il apparaît que la définition d’un assistant parlementaire que retiendra le tribunal sera déterminante dans son jugement. Pour la défense, ce rôle n’a pas de contours précis, d’autant moins si le collaborateur est aussi le conjoint : « Naturellement, on ne travaille pas de la même manière avec son conjoint », souligne François Fillon, rappelant qu’une telle pratique était répandue avant d’être interdite en 2017, et que le tribunal ne peut pas juger la présente affaire « sans prendre en compte cet environnement qui était celui de l’Assemblée [nationale] et du Sénat sur les cinquante dernières années ».

L’accusation, elle, estime que les activités de Penelope Fillon relèvent moins de « l’activité rémunérée de collaborateur d’un parlementaire » que du « rôle social de son conjoint ».

Ecartant sa femme de la barre, comme à chaque fois qu’elle est en difficulté, François Fillon s’agace : « Où avez-vous vu qu’il y avait un rôle social de l’épouse d’un parlementaire ? M. [Marc] Joulaud [coprévenu au procès, et suppléant de M. Fillon comme député entre 2002 et 2007] vous le dira, son épouse n’était pas présente dans la vie locale. Ce n’est pas parce que vous êtes élu que votre épouse a des responsabilités. »

Au bout d’une audience tourmentée, le procureur Bruno Nataf s’étonne que la défense ait fourni des dizaines de preuves d’une activité de Penelope Fillon auprès de son mari pour une période postérieure à la fin de son dernier contrat avec lui, en novembre 2013.

« Je pense que tout est tellement mélangé qu’il est impossible de dire si je faisais quelque chose en tant qu’assistante parlementaire ou en tant qu’épouse, tente Penelope Fillon.

– Alors en quoi votre activité justifiait-elle un contrat ?

– Ce n’était pas anormal que ce travail entraîne une rémunération. »

François Fillon écarte une dernière fois sa femme de la barre « On pourrait poser la question de façon différente, dit-il. Est-ce qu’il n’est pas anormal de ne pas avoir été rémunérée pour avoir fait ce travail ? »

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