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Jours tranquilles à Paris
6 mars 2020

Procès Fillon : 34 témoignages inattendus, et la zone grise du doute

Par Henri Seckel

La défense a produit, jeudi, les attestations de nombreux Sarthois assurant que Penelope Fillon œuvrait bien comme assistante de son époux.

Le procès Fillon a débordé, jeudi 5 mars. Plombée par l’atonie et les imprécisions de Penelope Fillon depuis le premier jour, piégée par ses anciennes interviews aux airs de balles dans le pied qu’agitent les procureurs, peu convaincante lors de la longue étude des prétendues preuves matérielles, la défense a choisi de provoquer un accident d’audience. Et, pour la première fois, elle n’a pas donné l’impression de subir les débats.

L’accident d’audience : 34 attestations écrites favorables aux époux Fillon, 34 témoignages à décharge qui n’ont pas été recueillis par les juges d’instruction, mais envoyés « spontanément » à la défense, assure François Fillon. Ils n’étaient pas prévus au programme, les avocats les ont versés au dossier juste avant l’ouverture du procès, et s’apprêtent à en donner lecture.

« Nous avons la stratégie »

Aux procureurs, soudain un peu nerveux, qui font remarquer que ces témoins auraient pu être entendus au cours de l’enquête ou à l’audience, François Fillon oppose le souhait de certains d’entre eux de rester anonymes, et sa colère froide contre des juges d’instruction à qui il aurait, de toute façon, été inutile de les présenter : « On voit bien qu’il y a un biais dès le début de cette enquête. Seuls les témoins à charge ont été entendus. Cette enquête restera dans les annales comme un exemple de dysfonctionnement judiciaire ! »

Le ton monte. Le procureur Bruno Nataf s’offusque : « C’est trop facile, en fin de parcours, de venir produire des attestations !

- Vous avez eu les fuites [dans la presse], nous avons la stratégie !, rétorque l’avocat de François Fillon, Me Antonin Lévy, dont le collaborateur, Me Joris Monin de Flaugergues, entame la lecture des 34 témoignages de ces Sarthois ayant vu Penelope Fillon à l’œuvre dans un rôle d’assistante parlementaire qui n’a donc pas volé son salaire.

Les Fillon sont à la barre, la séquence va durer plus de deux heures. On y croise un maire local pour qui Penelope Fillon était « le relais privilégié pour toutes les demandes adressées à François Fillon » ; un ancien vice-président de la communauté de communes qui l’a vue « fréquemment à des inaugurations ou des banquets aux côtés de son mari, parfois même seule » ; une dénommée Mme Deschamps qui atteste qu’elle a « tenu la permanence de François Fillon en 2012-2013. Elle venait souvent s’enquérir du nombre de visiteurs et de la nature des demandes, faire du tractage ». D’ailleurs, Mme Deschamps a fait parvenir des photographies de Mme Fillon en train de préparer des tracts.

Les attestations soulignent son « évidente connaissance des dossiers » et sa « remarquable écoute ». Tel citoyen l’a vue organiser l’installation d’une troupe de danse baroque à Sablé-sur-Sarthe. Tel autre a pu compter sur elle pour faciliter l’entrée de sa mère en maison de retraite. Un patron de PME affirme qu’elle l’a aidé à s’établir à Sablé. Après chaque attestation, Me Monin de Flaugergues demande : « Est-ce conforme au rôle que vous avez tenu auprès de votre époux ? » A chaque fois, Mme Fillon répond : « Oui, oui, tout à fait. » Elle ajoute une précision de temps en temps, pour plus de consistance.

« Tout ce que je fais, c’est pour François et pour les habitants »

L’accusation fait remarquer que certaines activités mentionnées ne concernent pas la période des poursuites (1998-2007 et 2012-2013). « Mais depuis notre installation dans la Sarthe, répond l’intéressée, tout ce que je fais, c’est pour François et pour les habitants. Je ne faisais pas la différence entre les périodes où j’avais un contrat et celles où je n’en avais pas. » L’accusation remarque aussi que certaines activités relèvent moins de la circonscription que de la commune ou de la région. « Mais ça démontre le rôle central de Penelope », répond son époux.

La force probante de cette litanie de témoignages sur mesure et souvent invérifiables reste à voir, mais l’effet de masse n’est pas neutre dans la perspective de la défense : montrer que Penelope Fillon a bel et bien exercé une activité qui dépasse ce que les procureurs ont appelé le simple « rôle social du conjoint » d’un parlementaire.

Bruno Nataf pointe une « confusion entre la vie sociale de Penelope Fillon, ce qu’on nous soutient être sa vie professionnelle et la vie politique de François Fillon ». « En politique, c’est impossible de séparer vie privée et vie publique », répond ce dernier. « Vous voulez enfermer la fonction d’assistant parlementaire dans un cadre que vous avez inventé, et qui n’existe pas », lance-t-il encore aux procureurs, qu’il aura fréquemment accusés, au fil du procès, de méconnaître les usages de la vie politique. La veille, Igor Mitrofanoff, sa plume, était venu expliquer la diversité du métier d’assistant parlementaire : certains rédigent des amendements, certains sont chauffeurs.

Ainsi va la stratégie de la défense : effacer la frontière entre l’épouse et la collaboratrice, entre les périodes sous contrat et les périodes hors contrat, entre l’activité au niveau de la circonscription et au niveau municipal, entretenir le brouillard autour des contours du rôle d’assistant parlementaire, pour en faire une vaste zone grise dans laquelle il apparaîtra, au bout du compte, que Penelope Fillon n’a peut-être pas usurpé les 613 000 euros net qu’elle a perçus à ce titre. Les débats sur ce volet de l’affaire sont clos. Il ne reste plus à la défense que ses plaidoiries, mercredi 11 mars, pour tenter une dernière fois d’attirer le tribunal dans la zone grise du doute.

penelope

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