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Jours tranquilles à Paris
10 mars 2020

La lettre politique de Laurent Joffrin - Coronavirus : on en fait trop ?

coronavirus18

Après l’Italie, la France ? La question d’un passage à des mesures beaucoup plus contraignantes pour la population se pose désormais dans notre pays. Avec le même objectif : limiter le nombre de victimes et, surtout, empêcher un engorgement dramatique de l’appareil de santé publique. La saturation des services hospitaliers – nous en sommes loin pour l’instant – donnerait lieu à des scènes de panique, ou bien à des décisions cornéliennes, au sens propre du terme, c’est-à-dire tragiques dans tous les cas. On redoute que les médecins soient à un moment donné obligés de sélectionner les malades à soigner en fonction de critères plus ou moins arbitraires : âge, état de santé, ou autre, les uns bénéficiant de soins intensifs, les autres non.

Certains, in petto, déplorent cet emballement, ou cette disproportion entre la menace réelle et les plans draconiens adoptés dans un nombre croissant de pays. Ils l’imputent à cet autre effet de la mondialisation : la circulation instantanée des images dramatiques, qui inquiète et mobilise l’opinion, obligeant les gouvernements à agir au-delà de ce qui serait nécessaire. Ce à quoi les gouvernants peuvent répondre : nous préférons en faire trop que pas assez ; nous ne sommes pas prêts à encourir un procès en inaction.

Quitte à provoquer une crise économique mondiale, dont les conséquences ne seront pas seulement matérielles. On sait qu’en cas de récession dure, la santé publique peut également être affectée, par exemple à l’occasion des fermetures d’entreprises ou d’une augmentation importante du chômage.

Emballement médiatique ? Psychose publique communiquée aux gouvernements ? Pas seulement. Il y aune autre explication, qui traduit peut-être – paradoxe ultime – une forme de progrès. Au fil des décennies, au sein de nombreux pays, l’attention au sort des individus, seraient-ils minoritaires, en l’occurrence les malades ou futurs malades, a crû de manière spectaculaire.

Une simple comparaison historique en donne la preuve. En 1918-19, le monde est frappé par une pandémie catastrophique de grippe qui va causer la mort de dizaines de millions de personnes. Les pays belligérants cachent soigneusement l’étendue du fléau pour ne pas démoraliser les troupes (dont la promiscuité favorise évidemment la contagion). On l’appelle «grippe espagnole» parce que l’Espagne, qui ne participe pas à la guerre, rend publiques les informations sur la pandémie, à la différence des autres nations. On commence mollement à lutter (masques, lavage de mains, interdiction des rassemblements publics) mais on est en fait totalement démuni. Le désastre s’éteint de lui-même après avoir fait deux ou trois fois plus de victimes que la peste noire. Autrement dit, pour cause de conflit mondial, et dans le souci de camoufler le mal, les gouvernements ont délibérément sacrifié des millions de personnes qui auraient pu être sauvées par des mesures plus draconiennes. Sans que le scandale n’atteigne une intensité particulière. On voit que les temps ont changé.

On dit que la vie humaine n’a pas de prix. Certes. Mais ce prix, néanmoins, a augmenté dans la plupart des nations civilisées, démocratiques et même autoritaires. On préfère paralyser un pays, avec les innombrables coûts qui en découlent, plutôt que d’être accusés d’inertie, c’est-à-dire d’avoir sacrifié une partie des personnes contaminées pour éviter un séisme économique. On préfère, in fine, la santé à la croissance. Au risque de passer pour un incurable optimiste, on y verra un progrès de la conscience humaine.

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