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Jours tranquilles à Paris
16 mars 2020

Les seins, grands gagnants du désir, grands oubliés du plaisir

milo belle (2)

Par Maïa Mazaurette

Les tétons ont des érections, la stimulation de cette zone du corps peut provoquer des orgasmes, mais force est de constater que nous la « sous-utilisons » chez les femmes ET les hommes. La chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette nous explique pourquoi et livre quelques conseils.

LE SEXE SELON MAÏA

« Nous devons à des siècles de conception phallocentrée de la sexualité la négation, quand ce n’est pas la répression, de la sensibilité érogène des seins. » Dans son ouvrage paru la semaine dernière (Seins. En quête d’une libération, Ed. Anamosa, 224 p., 20 euros), la chercheuse Camille Froidevaux-Metterie nous vise en pleine poitrine.

Nions-nous la sensibilité érogène des seins ? Même si l’espèce humaine a la chance de pouvoir copuler face à face, force est de constater que nous sous-utilisons ce champ des possibles : dans un cadre hétérosexuel, les caresses des seins des femmes sont renvoyées aux préliminaires. Quant aux seins des hommes… hein, quoi ? Quels seins ? Vous voulez parler des pectoraux ? Notre désintérêt est tel que les études récentes dont nous disposons sur la sexualité des Français ne mentionnent même pas cette source de jouissance !

Pourtant, nous savons bien que les seins ont une vie sexuelle. Les tétons ont des érections, et se contractent pendant l’orgasme. Leur stimulation active le cortex sensoriel génital (Journal of Sexual Medicine, juillet 2011) et libère de l’ocytocine, hormone du lien (Medical Hypothesis, décembre 2015). Les seins figurent en haut de la liste des zones érogènes : selon une étude publiée en 2013 dans la revue Cortex, ils arrivent en cinquième position des zones les plus agréables pour les femmes, et en 11e place pour les hommes – quant aux tétons, ils sont appréciés à égalité par les deux sexes, au 6e rang.

Extases mammaires

Par ailleurs, on peut avoir des orgasmes par stimulation des seins. Les témoignages ne manquent pas d’extases mammaires… même si ces dernières demeurent rares, et même si nous ne sommes pas toutes et tous à égalité ! Ainsi, selon une étude de 2006, publiée dans la revue Sexual and Relationship Therapy, les petites poitrines seraient plus sensibles que les grosses.

Sans aller forcément jusqu’à l’orgasme, l’efficacité est au rendez-vous : 81,5 % des jeunes femmes ressentent du plaisir lors de la stimulation de leurs seins, et 51 % des hommes (on trouve 7 % de réticents, également répartis chez les deux genres). 59 % des femmes ont déjà demandé qu’on leur touche la poitrine, mais seulement 17 % des hommes (Journal of Sexual Medicine, février 2006).

Comment faire pour développer sa sensibilité ? Eh bien, exactement comme on développe ses talents au piano ou en éternuements dans le coude : en faisant attention à ce qu’on fait, et en s’entraînant.

Les femmes pourront par exemple se tourner vers le tantrisme, qui pose les seins comme le pôle positif de la sexualité féminine (les femmes « donnent » avec leur cœur, donc avec leur poitrine, contrairement aux hommes qui donnent avec leur pénis). Charge aux femmes, donc, de mobiliser cette énergie par des exercices de méditation ou de respiration. Ouvrez vos chakras !

Si ce paradigme très Mars/Vénus vous donne des boutons, vous pourrez vous tourner vers le nipple play (les jeux de tétons), vastement exploré dans les sexualités gays. Internet regorge de conseils pour masser, sucer, pincer, caresser, effleurer, faire gonfler les seins – et pas seulement le mamelon ou l’aréole, parfois ultrasensibles, mais la surface entière ! Sans oublier la fameuse « branlette espagnole » (ou cravate du notaire, ou masturbation intermammaire).

Côté sextoys, vous avez l’embarras du choix : des pompes à tétons pour favoriser l’afflux sanguin jusqu’aux vibrateurs spécialisés (ou classiques : les seins ne font pas de discrimination) en passant par des pinces, reliées ou non à des chaînes ou des poids. Les plus audacieux tenteront les pulsateurs clitoridiens (qui s’adaptent facilement aux mamelons), se livreront aux chatouillements prodigués par des plumeaux, au froid des bijoux en métal… ou oseront les roues crantées et autres aiguilles (aïe). Pas assez original ? Optez pour le fétichisme des seins, ou les fantasmes d’allaitement.

Ampleur du répertoire

Face à l’ampleur du répertoire, reste à expliquer pourquoi cette zone suscite tant de timidité. Eh bien, c’est compliqué – et pour un tas de raisons. Côté hommes, les seins sont tellement associés au corps féminin qu’ils peuvent se sentir « féminisés » quand on les touche à cet endroit. Côté femmes, les relations sont tout aussi conflictuelles. Camille Froidevaux-Metterie résume ainsi les enjeux : « Les seins ne condensent-ils pas à eux seuls toutes les caractéristiques féminines qui ont justifié et perpétué la domination masculine ? Ils sont le symbole par excellence de la maternité (seins nourriciers), le signe privilégié de la féminité (seins étendards) et l’antichambre de la sexualité (seins préliminaires). »

La première expérience que font les jeunes femmes quand leurs seins poussent, c’est celle de « la présence inesquivable du féminin ». Les choses s’aggravent quand l’anatomie justifie des comportements abusifs, par une présomption de disponibilité sexuelle (« si elle a des seins, alors elle est prête à avoir des rapports »), ou par une très douteuse naturalisation des transgressions (« les seins d’une femme épousent parfaitement la main d’un homme, c’est normal qu’on veuille mettre la main à la pâte »…).

A ce titre, nul ne s’étonnera que les attentions masculines soient majoritairement mal vécues, comme le révèlent ces statistiques sur la pratique du topless à la plage : 59 % des femmes de moins de 25 ans passent leur tour à cause des regards concupiscents, 51 % craignent des agressions physiques, 28 % cherchent à éviter les commentaires désagréables (Ifop, juillet 2019).

Censure

A cause de leur pouvoir d’attraction, et des conséquences que ce pouvoir génère, les seins sont victimes de censure virtuelle (sur Facebook ou Instagram) mais aussi de censure réelle, puisqu’il faut les recouvrir, même sur les enfants. Je vous invite à faire le test vous-même : si vous tapez sur Google Shopping les mots « maillot de bain enfant fille », 99 % des résultats comportent des brassières. La sexualisation n’attend même pas qu’on sache nager…

Un autre frein au plaisir des seins est à chercher du côté de ce que Camille Froidevaux-Metterie appelle le « partage hiérarchisateur entre maternité et sexualité qui domine encore nos représentations. » Si les seins sont destinés aux bébés, alors le plaisir pris par les seins serait vaguement incestuel. On préfère donc faire comme s’il n’existait pas.

Face à cette double pression de sursexualisation et de sacralisation de la maternité, comment les femmes pourraient-elles réinvestir leur poitrine ? Le sujet pourrait paraître anecdotique, mais il est redoutablement politique. Camille Froidevaux-Metterie rappelle par exemple qu’on parle du clitoris comme d’un « double dérisoire du pénis », mais que personne ne qualifie les tétons masculins de « doubles dérisoires de la poitrine féminine ».

En s’emparant de cette zone érogène, les femmes pourraient « éprouver les seins non pas comme de simples objets destinés à satisfaire le désir masculin, mais comme le terreau d’un désir spécifiquement féminin ». Soit une nouvelle excuse pour brûler les soutiens-gorge !

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