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Jours tranquilles à Paris
21 mars 2020

Tribune - « Il est maintenant permis d’espérer la sortie de la crise du coronavirus »

Par Lucien Abenhaim, Professeur d’épidémiologie

L’exemple chinois montre qu’il est parfaitement possible d’endiguer complètement l’épidémie en France, à condition que les mesures de confinement généralisé soient fermement appliquées, estime, dans une tribune au « Monde », Lucien Abenhaim, professeur d’épidémiologie et ancien directeur général de la santé.

Grâce aux nouvelles mesures annoncées par l’exécutif en France face au coronavirus, qui vont jusqu’à restreindre sous la contrainte la circulation des personnes – celles-ci devant désormais justifier de tout déplacement hors d’une résidence –, il est maintenant possible d’effectuer quelques prévisions sur la sortie de crise.

Pour cela, on ne dispose certes que des enseignements de trois situations dans lesquelles des mesures de confinement ont été prises depuis quelques semaines, celles de la Chine, celle de la Corée du Sud et de l’Italie. Il est trop tôt pour juger dans ce dernier cas. L’expérience chinoise est en fait multiple car ce pays de plus de 1,4 milliard d’habitants est composé de nombreuses provinces et territoires dont chacun est de taille souvent comparable à celle des grands pays européens. Et, si l’on se fie aux données publiques, il semble bien que l’épidémie y soit maîtrisée partout depuis maintenant plusieurs semaines.

Si l’on rappelle souvent qu’il y a eu en Chine plus de 80 000 cas rapportés de Covid-19 dont plus de 3 250 morts, on doit noter que ce pays a, en fait, connu deux situations distinctes, riches d’enseignements : d’une part la province du Hubei, de près de 60 millions d’habitants, épicentre de l’épidémie où tout, semble-t-il a commencé, et d’autre part la totalité des autres provinces et territoires, y compris Hongkong, qui représentent ensemble plus de 1,3 milliard d’habitants.

« MÊME EN IMAGINANT UNE SOUS-DÉCLARATION IMPORTANTE DE LA MORTALITÉ, IL SEMBLE BIEN QUE LA CHINE AIT ENDIGUÉ L’ÉPIDÉMIE »

Or, 3 150 environ des décès rapportés en Chine sont survenus dans le Hubei (1 résident de cette province sur 20 000) et, à la date du 19 mars, environ 120 ont été déclarés dans le reste du pays (1 résident sur 10 millions !). Même en imaginant une sous-déclaration importante de la mortalité, il semble bien que la Chine ait endigué l’épidémie. Une fois le confinement appliqué avec efficacité, le taux de croissance de l’épidémie est passé rapidement en Chine à moins de 30 % par jour pour atteindre moins de 1 % ou 2 % en quatre semaines une fois ce seuil franchi. L’augmentation de 30 % par jour reflète une transmission en l’absence de réelle contrainte, selon le taux de reproduction (R0) connu de la maladie.

Il faut aussi garder à l’esprit, comme le montre un travail des épidémiologistes chinois publiés cette semaine dans la revue Science, qu’au début de l’épidémie, 95 % des cas sont passés inaperçus. La diffusion pandémique était dès lors inévitable. Par la suite, quand on a mieux compris la situation (après le 24 janvier), ce taux est descendu autour de 30 % et a chuté ensuite exponentiellement. Une situation tout à fait comparable est survenue en Corée du Sud.

Quelques projections

La France ayant maintenant pris des mesures au moins similaires à celles prises dans les provinces chinoises autres que le Hubei (où des mesures de guerre ont été appliquées, que l’on se souvienne des hôpitaux préfabriqués montés en quelques jours ou de la surveillance policière du respect du confinement), il est possible d’estimer à quel moment l’on devrait pouvoir sortir de la crise. Il est certes trop tard pour espérer limiter l’épidémie en France à celle des provinces chinoises hors Hubei, mais on peut faire quelques projections basées sur les expériences chinoise et sud-coréenne. Si la même dynamique est observée en France, l’épidémie pourrait pour l’essentiel être stoppée dans quatre à six semaines, entre la mi et la fin avril. Mais cela ne se fera qu’à plusieurs conditions.

La première condition est que les mesures de confinement généralisé soient bien appliquées. Ce qui demande fermeté et discipline. La fermeté étant nécessaire parce qu’il est rare que la discipline soit spontanément parfaite, du moins dans les pays latins. On ne peut pas compter, en période d’épidémie, sur la compréhension fine des risques par tous et l’information ne suffit pas – les plus résistants à la discipline ne sont d’ailleurs pas toujours les moins éduqués. Seules des mesures fermes peuvent être suivies d’effets dans ces circonstances. La décision d’imposer des contraintes est donc plus que bienvenue. Il faudra sans doute encore en ajouter pour arrêter vraiment l’épidémie en France.

Ne pas se décourager en chemin

La deuxième condition, moins évidente, est qu’il ne faut pas se décourager en chemin devant la multiplication des cas. Il faut comprendre que même si le taux de contamination baissait drastiquement dès aujourd’hui, le nombre de cas va donner l’impression de croître de façon extraordinaire pendant au moins deux ou trois semaines, du fait de l’apparition de cas contaminés avant la prise des mesures de confinement et de la transmission entre personnes confinées. A la fin mars ou au début avril, même si le taux d’augmentation journalier passait à moins de 5 % grâce au confinement, le modèle que nous utilisons prédit qu’il y aurait environ 40 000 ou 50 000 cas en France. Et le chiffre augmenterait encore significativement pendant quelque temps même si l’épidémie elle-même était sur sa fin…

La troisième condition est de croire en la victoire contre l’épidémie. L’exemple chinois montre qu’il est parfaitement possible de l’arrêter et de l’endiguer complètement, si on ne se contente pas de tenter de « l’écrêter » ou de « l’étaler » comme certains chercheurs ont pu le dire ou le préconiser pour l’Europe, ni compter sur une quelconque « immunité de groupe » comme cela a été évoqué un temps par un conseiller scientifique britannique. Il ne faut pas se croire plus malin que le virus. On a vu des théories toutes plus séduisantes les unes que les autres, des modèles mathématiques incroyablement sophistiqués, prévoir l’apocalypse ou expliquer finement qu’il fallait se contenter de gagner des batailles mais que le nombre de cas total était une fatalité. Tout cela est sujet à caution. Les observations réelles suffisent à constater qu’il est possible non seulement d’arrêter l’épidémie mais encore de réduire considérablement le nombre total de victimes. Les mesures contraignantes sont donc parfaitement justifiées et il faudra les maintenir sans céder au découragement car elles fonctionnent.

Lucien Abenhaim, professeur honoraire d’épidémiologie à l’Ecole de santé publique de Londres, est ancien directeur général de la santé et ancien membre du comité exécutif de l’Organisation mondiale pour la santé (OMS). Il a géré l’épidémie de SRAS, en France, en 2003.

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