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Jours tranquilles à Paris
3 avril 2020

Des patients parisiens en Bretagne...

bretagne

Décryptages

Coronavirus : en Ile-de-France, une évacuation sanitaire sans précédent

Par François Béguin, Samuel Laurent, Cédric Pietralunga, Chloé Hecketsweiler

Ces opérations ont permis de diriger, mercredi, 36 patients en TGV médicalisé vers la Bretagne et 84 malades par les airs ou par la route vers la Normandie, les Pays de la Loire ou le Centre-Val de Loire.

Jusqu’au dernier moment, ils ont espéré pouvoir faire face seuls à la vague de patients. Mais, dans la nuit du mardi 31 mars au mercredi 1er avril, le directeur général de l’Assistance publique- Hôpitaux de Paris (AP-HP) Martin Hirsch et celui de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France Aurélien Rousseau ont dû se rendre à l’évidence. Impossible de suivre le rythme d’arrivée des malades.

Au cours des vingt-quatre heures précédentes, les hôpitaux franciliens ont dû accueillir 190 nouveaux patients affectés par le SARS-CoV-2 en réanimation, portant leur nombre total à 2 200, leur capacité maximale.

Pour retrouver un peu de marge, ordre est alors donné de transférer des malades vers des régions moins touchées. Résultat deux jours plus tard : après une première opération d’évacuation − déjà programmée − de 36 patients en TGV médicalisé mercredi vers la Bretagne, 84 ont été transportés dès l’après-midi par les airs ou par la route vers la Normandie, les Pays de la Loire ou le Centre-Val de Loire.

Pour déployer ce « pont aérien » un « hub » a été installé à l’aéroport d’Orly − fermé au public − à partir duquel une quinzaine d’hélicoptères et d’avions civils comme militaires a fait la navette. Une « première dans l’histoire de la médecine en France », indique-t-on à l’ARS. Cinquante autres personnes pourraient être encore transférées ce week-end. « L’objectif est d’avoir transféré un total de 216 patients d’Ile-de-France d’ici à lundi », calcule un conseiller à Matignon, en rappelant que 439 transferts ont déjà été réalisés en France depuis le 18 mars.

Le coût financier n’est pas un sujet

Au sein de l’exécutif, on souligne que « c’est un travail de planification permanent, effectué quasiment 24 heures sur 24 par la direction générale de la santé, avec les ARS et les pays frontaliers ». L’objectif : éviter à tout prix qu’un malade ne trouve pas le lit de réanimation dont il pourrait avoir besoin.

« Il n’est pas question de laisser une personne sans solution », jure un conseiller. Mais, reconnaît-on, cela demande des arbitrages subtils entre les lits disponibles aujourd’hui et ceux dont les régions ont besoin pour accueillir les futurs patients. Pour l’heure, l’exécutif table plutôt sur un effet positif du confinement. « On ne va pas laisser inemployées des capacités de réanimation dans des régions qui pourraient être épargnées », explique un proche du premier ministre Edouard Philippe.

Chaque jour en fin d’après-midi, un point est fait au sein de la cellule interministérielle de crise (CIC), installée au ministère de l’intérieur, Place Beauvau. C’est là que sont décidés les transferts et les moyens associés, qu’ils soient militaires ou civils. Et ce, quel que soit le coût financier. « Le président de la République a dit que tout devait être fait quoi qu’il en coûte, ce n’est pas un sujet », balaie-t-on à Matignon.

L’Etat a d’ailleurs mis à disposition sa propre flotte de Falcon pour transporter jusqu’à Paris des médecins et des personnels soignants de régions pour l’instant moins touchées, afin d’ouvrir de nouveaux lits de réanimation en Ile-de-France. Trois avions ont ainsi récupéré une trentaine de soignants mercredi. Au total, 300 infirmiers et aides-soignants et une trentaine de médecins sont attendus en renfort en région parisienne, permettant d’ouvrir 200 nouveaux lits d’ici à ce week-end.

Solidarité transfrontalière

Dans l’attente de nouvelles capacités, les hôpitaux évaluent les malades aptes à être transportés. Ceux-ci doivent être stables. « Deux patients devaient partir dans la journée, mais nous avons annulé car leur état s’est aggravé pendant la nuit », témoigne Djillali Ananne, chef du service de réanimation de l’hôpital de Garches, en précisant que le transfert pourra être reprogrammé pour le week-end en cas d’amélioration.

Deux autres patients sont déjà arrivés sans difficultés à Brest, où ils seront pris en charge jusqu’à leur réveil. La pression sur les lits a atteint un pic cette semaine : « Dès qu’un lit se libère nous avons six appels et, en une heure à peine, il est pourvu », constate le médecin, en rappelant qu’un tiers des 70 personnes hospitalisées à Garches pourrait avoir besoin d’une réanimation dans les prochains jours.

Dans la région Grand-Est, les transferts ont été nombreux et, de l’avis de tous les acteurs, vitaux pour éviter l’effondrement d’un système de soins mis sous haute tension. Ils ont été « indispensables », souligne Christophe Gautier, directeur des hôpitaux de Strasbourg. Ces évacuations ont eu lieu vers d’autres régions, avec trois TGV sanitaires qui ont emmené 56 patients au total vers le Centre-Val de Loire, les Pays de la Loire, la Bretagne ou la Nouvelle Aquitaine.

« Dieu merci, on a pu évacuer des malades », renchérit Jean-François Cerfon, réanimateur à Colmar et président régional de l’Ordre des médecins, qui insiste sur la solidarité des pays voisins de l’Alsace, de la Suisse à l’Allemagne, qui « nous ont bien aidés ». La région a en effet pu compter sur la solidarité transfrontalière : 115 patients ont été emmenés au Luxembourg, en Suisse et surtout en Allemagne (85 transferts). L’armée a également joué son rôle avec l’opération Morphée, des avions sanitaires qui ont permis le départ d’une trentaine de patients, vers d’autres régions de France ou vers l’étranger.

L’idée était née pour des victimes d’un attentat

L’idée de recourir à des TGV sanitaires n’est cependant pas née avec l’épidémie. Il y a un an, les urgentistes du SAMU parisien avaient organisé avec la SNCF un entraînement sur un trajet Metz-Paris. « L’objectif était d’être prêts à transférer les victimes d’un attentat vers la capitale dans le cas où elles ne pourraient pas toutes être prises en charges sur place », explique Lionel Lamhaut du SAMU de Paris. Baptisé « chardon », en référence à la plante emblématique de la Lorraine, cet exercice a permis aux équipes de définir une « marche à suivre » pour le transfert ferroviaire. « Personne ne pensait qu’on aurait à s’en servir ainsi », souligne M. Lamhaut.

Les patients − quatre par wagon − sont installés à l’étage inférieur, tandis que l’étage supérieur sert de zone de repos pour les soignants. Entre les deux, une zone d’habillage et de déshabillage a été installée. L’équipe − quatre infirmières, un médecin sénior, un médecin junior et un logisticien − vient le plus souvent de l’établissement d’accueil pour ne pas affaiblir des services déjà en manque de bras.

Selon lui, le train est le plus adapté au transport de ces malades fragiles : « Nous pouvons sans difficulté poursuivre les traitements : changer les perfusions, injecter les médicaments, bouger les patients, et même faire une échographie », explique Lionel Lamhaut. Jusque-là, aucun incident n’est survenu. « Forcément un jour, [l’état] d’un patient s’aggravera à bord, mais c’est l’histoire naturelle de la maladie. »

Ce moyen de transport est aussi le plus rapide : lors d’une opération Morphée − par avion militaire − il faut 1 h 30 pour embarquer et débarquer six malades, contre deux heures pour vingt-quatre patients avec le train.

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