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Jours tranquilles à Paris
8 avril 2020

Coronavirus : les festivals de cinéma cherchent une issue

Par Jacques Mandelbaum

Face aux incertitudes concernant la reprise d’activité des salles et la sortie du confinement, les grands rendez-vous du 7e art tentent de trouver des alternatives.

Quel avenir pour la vie du cinéma ? Comment même l’évoquer, alors qu’elle est suspendue à l’extraordinaire incertitude du moment, dont on ne sait combien de temps elle nous confisquera, combien de morts elle enjambera avant de se dissiper.

Et pourtant. Confiné, sidéré, le milieu du cinéma n’en bruisse pas moins de mille préparatifs, de mille espoirs, de mille plans sur la comète d’une reprise – juin ? juillet ? – dont les conditions lui demeurent inconnues. A bas bruit, on se prépare. On voit les films. On communique discrètement. On fourbit ses armes pour le rush de la fin du confinement. Cela concerne, au premier chef, les sorties en salle. Mais aussi les festivals à venir, contraints aujourd’hui, grands ou petits, de se positionner, fût-ce dans le brouillard et la tourmente.

Trois solutions s’offrent à eux. L’annulation, le report, la conversion numérique. Le nombre de paramètres qui déterminent leur réflexion est suffisamment important pour qu’on s’interdise de les comparer terme à terme.

La taille du festival, son enjeu économique, sa situation géographique, sa chronologie rapportée à celle de l’épidémie, la présence ou non de sections compétitives, sa spécialisation éventuelle en termes de genre, sont des critères qui les distinguent.

Jouer la carte du numérique

On sait ainsi comment Cannes, le premier d’entre eux, mal placé sur le chemin dévastateur du Covid-19, a réagi, en misant sur un report à la fin du mois de juin. Si toutefois le ciel ne s’éclaircissait pas à cette date, quelle décision prendrait le festival ?

Thierry Frémaux, son délégué général, nous le précise : « En cas d’annulation, une conversion au numérique ne saurait être actuellement envisageable car les producteurs et auteurs eux-mêmes ne l’accepteraient sans doute pas. Le sens n’y serait pas : un festival comme Cannes est précisément un lieu où on se retrouve physiquement dans une salle avec les artistes, les professionnels et la critique. Wimbledon [la compétition de tennis], qui vient d’être annulé, ne peut pas se jouer dans des courts privés, match par match. »

A cet égard, Visions du réel, festival sis à Nyon, en Suisse, offre un exemple diamétralement opposé. Encore plus directement menacé que Cannes en raison de sa date (il devait se tenir du 17 avril au 2 mai), cette manifestation, l’une des plus importantes dans le domaine du documentaire, a très rapidement décidé de jouer la carte du numérique.

Sa déléguée artistique, Emilie Bujès, s’en explique : « Nous avons estimé, eu égard à la détresse qui s’est emparée du milieu et à l’embouteillage qui sera fatal au moment du déconfinement pour les nombreux films en attente, que nous devions jouer notre rôle en montrant ces films coûte que coûte. Nous saisissons ce moment comme un challenge et une opportunité de toucher plus de gens de par le monde, aussi bien pour les films que pour le marché. »

« En phase d’imagination »

Entre ces deux exemples opposés, le nuancier est varié. Le Festival de La Rochelle (26 juin-5 juillet) – l’un des plus enthousiasmants, agréables et généreux qui soient – fait ainsi l’objet d’un confinement d’une extrême cruauté.

Datation improbable. Report impossible eu égard aux manifestations qui se succèdent dans la ville et à la saison touristique. Conversion numérique inepte pour une manifestation non compétitive qui se veut par excellence un lieu de rencontres et de débats. Il n’est pas jusqu’à la maigre possibilité de se tenir aux dates dites qui ne soit par avance ruinée par le report annoncé de Cannes à la même période, qui priverait ipso facto la cité charentaise des professionnels (projectionnistes, régisseurs, attachés de presse, et même cinéastes) indispensables à sa tenue.

Sylvie Pras, codirectrice artistique de la manifestation, a bien de la philosophie à dire : « Nous travaillons évidemment à la tenue du festival, mais notre choix est en quelque sorte un non-choix. Outre la question du calendrier, qu’en sera-t-il de la possibilité de tenir une manifestation qui réunit 80 000 spectateurs dans des salles ? Ou de la possibilité de voyager des professionnels venant d’outre-Atlantique ? Nous devons regarder en face l’hypothèse d’une annulation. »

Moins contraint a priori, le FID Marseille (7-13 juillet), festival pointu et aventureux, s’apprête par la voix de son délégué général, Jean-Pierre Rehm, « à remplir ses obligations à l’égard des tutelles et des spectateurs, sachant que tout raisonnement ne peut se tenir que “pour l’heure”. Nous essayons par ailleurs de réfléchir à l’accueil solidaire de manifestations antérieures qui n’auraient pas pu se tenir. Il faut être prêt, au cas où cela serait possible ».

Même état d’esprit, même tentative « d’inventer des solutions » à Locarno, en Suisse, festival de premier rang international ouvert au plus large public (150 000 entrées) et dirigé par la Française Lili Hinstin. « Je parle énormément aux professionnels, dit-elle. J’envisage des hypothèses non encore soumises à mon conseil d’administration. Nous sommes en phase d’imagination. Le basculement numérique intégral ne me paraît pas pour autant la solution pour notre festival qui défend la matérialité de la salle et la puissance sensorielle de la grande image. »

Lucidité

A priori plus à l’abri sur le plan calendaire, le Festival du cinéma américain de Deauville (Calvados, 4-13 septembre) n’en partage pas moins les sueurs froides de ses collègues, eu égard au déplacement différé de la pandémie outre-Atlantique et aux réponses possiblement incertaines à une invitation au voyage.

Son directeur, Bruno Barde, dit cependant travailler « d’arrache-pied et comme si de rien n’était ». L’hypothèse que le festival ne puisse se tenir en septembre l’oblige toutefois à la lucidité : « Cela voudrait dire que cette pandémie se sera avérée une catastrophe économique, sociale et humaine considérable : on peut se poser la question de savoir qui, dans ces conditions, voudra participer à une fête du cinéma ? »

Question dont on ne sait comment y répond pour sa part Alberto Barbera, délégué artistique de la Mostra de Venise (2-12 septembre), tant, sous une enveloppe aussi aimable qu’élégante, l’homme pratique sur le terrain sémantique la même défense que l’équipe nationale de football sur celui des stades.

On voit bien pourquoi. Dans un pays très durement atteint par la pandémie, Venise a tout à gagner au cas où Cannes serait contraint de jeter l’éponge, et tout à perdre si la situation persistait et si, notamment, l’industrie américaine, qui privilégie la plate-forme vénitienne pour le lancement de la course aux Oscars, lui faisait faux bond.

« Il est trop tôt et la situation est trop compliquée pour envisager quelque scénario que ce soit, même si l’idée d’un report est envisageable, dit Alberto Barbera.. Nous y verrons plus clair, je pense, au mois de mai. En attendant, on travaille et on attend. » (Télé)travailler et attendre : qui, fors les héros à pied d’œuvre de notre survie, n’en conviendrait ?

Visions du Réel, à Nyon, en Suisse (24 avril - 2 mai). visionsdureel.ch ; Festival de Cannes (12-23 mai) : festival-cannes.com/fr/; Festival La Rochelle Cinéma (26 juin - 5 juillet). festival-larochelle.org/; FID Marseille (7-13 juillet) fidmarseille.org/; Mostra de Venise (2-12 septembre) labiennale.org/en/cinema/2020 ; Festival du cinéma américain de Deauville (4-13 septembre) : festival-deauville.com/

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