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Jours tranquilles à Paris
8 avril 2020

« StopCovid » : l’application sur laquelle travaille le gouvernement pour contrer l’épidémie

Par Olivier Faye, Chloé Hecketsweiler, François Béguin, Martin Untersinger

Olivier Véran et Cédric O, ministre de la santé et secrétaire d’Etat au numérique, expliquent dans un entretien au « Monde » réfléchir au développement d’une application pour smartphone pour « limiter la diffusion du virus en identifiant des chaînes de transmission ».

Selon l’organisme de sécurité sanitaire Santé publique France (SpF), 597 personnes sont mortes dans les hôpitaux du pays depuis vingt-quatre heures, soit 10 328 depuis le début de l’épidémie. Le nombre de patients en réanimation continue, lui, d’augmenter.

Dans un entretien au Monde, le ministre de la santé, Olivier Véran, et le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, expliquent réfléchir au développement d’une application pour smartphone qui serait destinée à « limiter la diffusion du virus en identifiant des chaînes de transmission ». « Nous en sommes à une phase exploratoire mais nous ne voulons fermer aucune porte », assurent-ils.

Le premier ministre Edouard Philippe s’est dit favorable à un traçage numérique des Français sur la base du volontariat pour lutter contre le Covid-19. Quelle solution avez-vous retenue ?

Cédric O : Dans le combat contre le Covid-19, la technologie peut aider. Nous ne voulons fermer aucune porte mais nous sommes sans certitude de succès. Le gouvernement a décidé de lancer le projet StopCovid afin de développer une application qui pourrait limiter la diffusion du virus en identifiant des chaînes de transmission. L’idée serait de prévenir les personnes qui ont été en contact avec un malade testé positif afin de pouvoir se faire tester soi-même, et si besoin d’être pris en charge très tôt, ou bien de se confiner.

Le principe serait simple : l’application est installée volontairement ; lorsque deux personnes se croisent pendant une certaine durée, et à une distance rapprochée, le téléphone portable de l’un enregistre les références de l’autre dans son historique. Si un cas positif se déclare, ceux qui auront été en contact avec cette personne sont prévenus de manière automatique.

Olivier Véran : Depuis le premier jour de la crise épidémique, nous avons décidé d’être dans l’anticipation, c’est-à-dire de disposer au moment opportun de tous les moyens possibles pour lutter contre la diffusion du virus.

Certains sont technologiques. Des pays en ont fait l’usage, et il faut être prêt à pouvoir en faire bénéficier les Français, si les scientifiques nous disent que cela peut nous aider à lutter contre la propagation de l’épidémie. Aucune décision n’est prise.

Que dirait cette application concrètement ? Donnerait-elle une instruction à l’utilisateur, et si oui, laquelle ?

O : L’application vous informera simplement que vous avez été dans les jours précédents en contact avec quelqu’un identifié positif au SARS-CoV-2.

Ne craignez-vous pas un effet anxiogène ?

Véran : Aux Contamines-Montjoie (Haute-Savoie), quand il y a eu des patients diagnostiqués, les équipes d’intervention ont interrogé tout le monde. Cela nous a fait gagner du temps avant que l’épidémie se répande sur le territoire.

Le « contact tracing » – c’est-à-dire la recherche de toutes les informations sur les rencontres faites par une personne contaminée – a permis de remonter à des patients sources, d’identifier des chaînes de contamination et de freiner la diffusion de l’épidémie. Cette approche n’a pas évolué depuis le premier jour ; il y a encore des territoires où on le pratique.

Quelle technologie serait utilisée ?

O : Nous travaillons sur le Bluetooth. Cette technologie est au centre d’un projet européen mené à la fois par l’Allemagne, la France et la Suisse. L’Inria [Institut national de recherche en informatique et en automatique] pilote, sous la supervision du gouvernement, la « task force » française composée de chercheurs et développeurs du public et du privé.

Envisagez-vous une autre technologie, par exemple le GPS ?

O : Seul le Bluetooth est envisagé. L’application ne géolocalisera pas les personnes. Elle retracera l’historique des relations sociales qui ont eu lieu dans les jours précédents, sans permettre aucune consultation extérieure, ni transmettre aucune donnée.

Ce n’est pas une application qui trace vos déplacements, c’est une application qui permet d’indiquer aux personnes que vous avez croisées pendant un temps long qu’elles ont, éventuellement, rencontré un cas positif au SARS-CoV-2.

A quelle échéance cette application pourrait être utilisée ?

O : La task force est au travail depuis plusieurs jours pour développer un prototype mais je ne peux pas vous dire s’il nous faudra trois ou six semaines pour le développer. Nous ne sommes pas certains de réussir à franchir toutes les barrières technologiques car le Bluetooth n’a pas été prévu pour mesurer des distances entre les personnes. Nous ne déciderons que plus tard de l’opportunité de déployer ou non une telle application.

Cette application sera-t-elle concomitante au déconfinement ? Pourrait-elle être obligatoire pour être déconfiné ?

O : Nous ne travaillons que sur l’hypothèse d’une installation volontaire de l’application. J’ajoute que le projet StopCovid n’est qu’une brique – par ailleurs incertaine – d’une stratégie globale de déconfinement et un outil numérique parmi d’autres dans la lutte contre l’épidémie. Nous voulons faire en sorte que les Français puissent avoir à leur disposition, le moment venu, les outils nécessaires à leur protection. Viendra alors le temps de la décision, après un débat avec l’ensemble des parties prenantes.

Il faut se garder du fantasme d’une application liberticide. Notre hypothèse est celle d’un outil installé volontairement, et qui pourrait être désinstallé à tout moment. Les données seraient anonymes et effacées au bout d’une période donnée. Personne n’aura accès à la liste des personnes contaminées, et il sera impossible de savoir qui a contaminé qui. Le code informatique sera public, « auditable » par n’importe qui, et compatible avec d’autres pays. Nous veillons à associer étroitement la CNIL [Commission nationale de l’informatique et des libertés] : la version finale de ce projet lui sera évidemment soumise.

Il faut se garder aussi d’un fantasme opposé, celui de l’application magique qui permettrait de tout résoudre. Il y a une incertitude technologique, et ce n’est qu’une brique optionnelle dans une stratégie globale de déconfinement.

Quelle proportion de la population devrait télécharger l’application ? Pour être efficace, il faudrait que des millions de Français l’aient dans leur téléphone…

O : Les études épidémiologiques sont très diverses sur ce sujet. Or, nous ne savons aujourd’hui ni si l’application fonctionnera ni quelle sera la stratégie de déconfinement. De ces deux éléments dépendra évidemment la réponse à votre question.

Ce que je tiens à rappeler, c’est que nous ne travaillons pas sur un autre principe que celui d’une installation volontaire de l’application.

Comment comptez-vous procéder pour ceux qui ne disposent pas de smartphone ?

O : La fracture numérique, qui concerne près de 13 millions de nos concitoyens aujourd’hui, nous préoccupe évidemment. Nous travaillons sur diverses possibilités d’aide à l’équipement, ou à des alternatives aux smartphones pour ceux qui n’en disposent pas. Et un certain nombre de paramètres sont pris en compte sur l’ergonomie pour que l’application soit simple à utiliser et accessible aux personnes en situation de handicap.

Plusieurs membres du gouvernement, vous compris, se déclaraient il y a encore quelques jours opposés à ces méthodes de tracking. Pourquoi avoir changé d’avis ?

Véran : Je me suis déclaré très sceptique sur l’utilisation d’un tracking numérique avec un modèle qui informerait systématiquement de toute personne de votre entourage ou de vos contacts présentant des symptômes de la maladie.

Aujourd’hui, notre réflexion est sur la base du volontariat. Elle est compatible avec le droit européen des données personnelles, avec des données anonymisées. C’est une réflexion préliminaire pour savoir si des outils numériques, dans des conditions conformes à la tradition française de sécurité et de garantie des libertés individuelles et collectives, peuvent être un appui pour les médecins dans une démarche épidémiologique. Ne pas se poser la question aujourd’hui c’est prendre le risque de ne pas être prêts demain si d’aventure on se rendait compte que c’était nécessaire.

Selon la plupart des sondages, les Français sont réceptifs à ce type de mesures. La restriction des libertés peut-elle être engagée dans la mesure où les Français y seraient favorables ?

Véran : C’est une question fondamentale. Les Français ont accepté de renoncer temporairement, le temps de l’épidémie, à une part de liberté individuelle et collective à travers le confinement. Le civisme dont ils font preuve est tout simplement remarquable. Il s’agit de sauver des vies et ils l’ont compris.

O : Notre approche est respectueuse des libertés publiques et proportionnée. Nous agissons en toute transparence depuis le début de cette crise : ce à quoi nous réfléchissons, et sur ce que sont nos doutes. Par ailleurs, notre approche est évidemment temporaire. Le projet StopCovid dont nous parlons n’a pas vocation à aller au-delà de la crise sanitaire.

Une partie de la majorité comme de l’opposition se tient vent debout contre de telles mesures. N’allez-vous pas fragiliser davantage une union nationale déjà chancelante ?

Véran : Une partie de l’opposition et de la majorité est opposée à une démarche qui contreviendrait au respect de la vie privée, qui serait obligatoire et restreindrait les libertés individuelles. Or, ce n’est pas ce que nous faisons.

Si nous ne menions pas cette réflexion, et s’il s’avérait le moment venu que cet outil était précieux dans la lutte contre la diffusion du virus, les mêmes qui aujourd’hui nous font un procès seraient les premiers à venir nous dire que la France ne s’est pas préparée. Nous avons une stratégie qui est dans l’intérêt général et dans l’anticipation. Le reste, je laisse ça au débat politique, qui est légitime.

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