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Jours tranquilles à Paris
9 avril 2020

Inquiétude au Royaume-Uni sur la capacité du gouvernement à agir en l’absence de Boris Johnson

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Alors que le premier ministre est hospitalisé, médias et politiques s’interrogent sur la capacité de son cabinet à répondre, en son absence, au défi posé par l’épidémie.

Les Britanniques sont sous le choc. Leur premier ministre Boris Johnson, 55 ans, devait à nouveau passer la nuit en soins intensifs mardi 7 avril, dans un état « stable » mais grave, des suites de l’infection due au nouveau coronavirus, alors que le pays a enregistré un nombre record de décès en vingt-quatre heures (786, pour un total de 6 159) et que les scientifiques conseillant Downing Street ne voient toujours pas venir le pic épidémique.

Et alors que cette situation inédite et inquiétante risque de se prolonger – personne n’imagine que M. Johnson, même s’il échappe à la mise sous ventilation, ne sera complètement rétabli dans les jours qui viennent –, une question étreint les Britanniques. Ce qui reste du gouvernement est-il capable de prendre les décisions complexes et délicates auxquelles le pays risque de faire face en pleine crise pandémique ?

L’émotion était palpable chez les responsables politiques qui ont défilé, mardi, sur les antennes nationales, pour dire leur soutien au premier ministre, hospitalisé depuis dimanche 5 avril au soir dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital St Thomas à Londres.

Boris « est un battant », soulignait, les larmes aux yeux, le député Iain Duncan Smith, ex-président du Parti conservateur au début des années 2000. « Il est une véritable figure de proue, il va s’en sortir », assurait Lindsay Hoyle, le speaker (président) de la Chambre des communes. « Les gens sont anxieux », avouait aussi Keir Starmer, le tout nouveau leader des travaillistes, précisant que son parti « agira dans l’intérêt du pays ».

Popularité de Boris Johnson

Présent dans le paysage médiatique et politique national depuis près de trente ans, Boris Johnson est une figure familière des Britanniques : tous connaissent sa tignasse blonde, sa propension à faire des blagues, son charme, son énergie communicative. Grand promoteur du Brexit, souvent approximatif, notamment avec la vérité, il a suscité beaucoup de critiques mais il reste populaire. Très bien élu lors des élections générales de décembre 2019, il dispose d’une légitimité et d’une autorité indéniables.

Lundi 6 avril, suite à l’aggravation de l’état de M. Johnson, Downing Street a précisé de manière un peu énigmatique, que Dominic Raab, ministre des affaires étrangères et premier secrétaire d’Etat, avait été désigné par le chef du gouvernement pour être son « suppléant (…) là où ce serait nécessaire ».

M. Raab a présidé lundi et mardi les réunions quotidiennes « covid-19 » avec les autres ministres du cabinet (les membres les plus importants du gouvernement). Etaient présents, par visioconférence, le ministre d’Etat Michael Gove, celui de la santé Matt Hancock, le chancelier de l’Echiquier Rishi Sunak, mais aussi Patrick Vallance, conseiller scientifique en chef et Chris Whitty, conseiller médical en chef.

Mais Dominic Raab, qui fut le ministre du Brexit de Theresa May, n’est pas pour autant un véritable chef du gouvernement par intérim (Boris Johnson reste le premier ministre, à moins de démissionner ou de décéder). De quelle autorité disposera M. Raab quand il s’agira de trancher des questions difficiles ? Arrêter, par exemple, une stratégie pour la levée du confinement, qui dure depuis plus de quinze jours et qui va probablement devoir être prolongé à partir de lundi 13 avril ? Et s’il s’agissait de faire face à une question relevant de la sécurité nationale ?

« Primus inter pares, le premier d’entre nous »

Dans un pays sans Constitution écrite, difficile de trancher de manière définitive. « Nous ne sommes pas dans un régime présidentiel, le premier ministre est un primus inter pares dans le cabinet, le premier d’entre nous. Et au sein du cabinet, les décisions sont prises au consensus, c’est lui le véritable organe de décision », rappelait, mardi, le ministre Michael Gove.

A en croire une étude tout juste rédigée par Ketaki Zodgekar et Catherine Haddon, deux expertes du think-tank Institute for Government, « il n’est pas prévu de pouvoirs formels pour un ministre qui remplacerait un premier ministre dans l’incapacité de remplir ses fonctions. Un tel rôle découle de la seule autorité du premier ministre et en pratique, la décision de [désigner un suppléant] doit être soutenue par le reste du cabinet. »

Si tous les ministres du cabinet sont sur la même longueur d’onde, l’intérim peut se passer sans encombre. Mais les problèmes risquent d’apparaître en cas de conflits entre ministres. Or les médias britanniques insistent depuis plusieurs jours sur les tensions entre le chancelier de l’Echiquier Rishi Sunak, qui est pressé de lever le confinement, et Matt Hancock, le ministre de la santé, soucieux de préserver au maximum le système hospitalier national (le NHS).

Si l’état de santé du premier ministre se dégradait encore, Dominic Raab « devrait user d’autorité et savoir quand agir. Mais ce sera très difficile car il sera entouré de gens qui savent ce que Boris Johnson a dit, qui croient qu’il sera peut-être vite de retour, ou qui poursuivent leur agenda personnel », a estimé Lord Michael Heseltine mardi au micro de la BBC Radio4 ; cette autorité morale chez les conservateurs fut vice-premier ministre de John Major entre 1995 et 1997, mais il ne s’est jamais retrouvé dans la situation de M. Raab.

« Un incroyable esprit d’équipe »

« Nous partageons un incroyable esprit d’équipe », affirmait M. Raab mardi matin, à propos du cabinet. Le diplomate de 46 ans, brexiter de la première heure, est considéré comme un proche de M. Johnson et bénéficie en tout cas de sa confiance.

Il a voulu de nouveau rassurer en soirée, lors de la conférence de presse désormais quotidienne de Downing Street. « Au cabinet, nous savons exactement ce qu’attend [Boris Johnson] de nous en ce moment. Et suite à notre réunion d’aujourd’hui, je veux rassurer le premier ministre et nos concitoyens. Son équipe ne fléchira pas, elle ne reculera pas devant la tâche en ce moment crucial. Nous allons garder toute notre concentration et notre détermination pour délivrer le plan du gouvernement visant à vaincre le coronavirus. »

A court terme, il s’agit encore de « ralentir les contaminations », afin de réduire le nombre de cas graves nécessitant des hospitalisations et aider ainsi le NHS à supporter la charge. La délicate question de la sortie du confinement ne devrait pas se poser dans l’immédiat a suggéré M. Raab, le pic épidémique n’étant pas encore en vue. L’augmentation des cas de contamination semblait certes ralentir mardi, « mais cette tendance ne sera pas claire avant au moins une semaine » a prudemment estimé Patrick Vallance.

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