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Jours tranquilles à Paris
15 avril 2020

La gestion de la pandémie par l’OMS sous le feu des critiques

Par Paul Benkimoun, Marie Bourreau, Genève, correspondance, Frédéric Lemaître, Pékin, correspondant

Accusée d’avoir été trop lente à réagir et d’être trop alignée sur les positions chinoises, l’Organisation mondiale de la santé est aussi victime des faibles marges de manœuvre laissées par les Etats membres.

La guerre contre le coronavirus a t-elle fait sa première victime collatérale ? Alors que le nombre de personnes atteintes par l’épidémie de Covid-19 explose, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et son directeur général, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, sont sous le feu des critiques. Accusée d’être acquise à Pékin, l’organisation aurait « acheté » les théories chinoises et tardé à sonner l’alarme sur la dangerosité du virus.

Sur les réseaux sociaux, les images détournées d’un docteur Tedros les yeux bandés par un drapeau chinois ou tenu en laisse par le président Xi Jinping ont été largement partagées. Une pétition en ligne qui réclame la démission du directeur général a recueilli plus de 800 000 signatures. Dix fois plus que le texte qui, au contraire, le soutient.

Coup de massue supplémentaire, dans un tweet publié le 7 avril, le président Donald Trump accuse l’organisation de s’être « complètement plantée ». En rechignant à admettre les cas de contaminations interhumaines, l’OMS aurait contribué à faire du Covid-19 une pandémie globale, approchant des 2 millions de cas confirmés et causant plus de 110 000 décès dont plus de 22 000 aux Etats-Unis.

Il n’en fallait pas plus à Donald Trump, grand contempteur des organisations multilatérales, pour menacer de mettre fin à la participation financière des Etats-Unis à l’organisation. En pleine campagne présidentielle américaine, « les démocrates accusent Trump d’avoir échoué sur la crise du Covid. Trump, lui, essaye de transposer la faute sur le docteur Tedros », analyse Richard Gowan de l’International Crisis Group.

Tergiversations

Au siège de l’OMS, vaste bâtiment à quelques encablures du Palais des Nations à Genève, les critiques qui s’accumulent ne font – pour l’instant – pas trembler l’organisation née en 1948 et censée à son origine jouer un rôle normatif sur les questions de santé publique.

Depuis, les crises sanitaires ont largement rattrapé l’organisation. « Nous sommes mobilisés 24/24 et 7/7. Ces critiques sont habituelles. En temps de crise, il faut toujours un exutoire et un coupable », analyse le docteur Sylvie Briand, à la tête du département des maladies infectieuses qui, faute de moyens suffisants sur un budget total de 3,4 milliards de dollars (3,1 milliards d’euros) en 2019, ne comptait qu’une seule spécialiste des coronavirus dans son équipe lorsque la crise a éclaté.

La Chine informe Genève, le 31 décembre 2019, qu’un virus respiratoire frappe la région du Hubei et sa capitale Wuhan. Son génome est déjà séquencé mais les experts chinois ne le partagent que le 12 janvier. Deux jours plus tard, l’OMS assure dans un tweet que « les enquêtes préliminaires menées par les autorités chinoises n’ont pas trouvé de preuve claire de transmission interhumaine ». Ce même 14 janvier, le bureau de la santé de Wuhan écrit pourtant qu’elle « ne peut être exclue, même si le risque d’une transmission soutenue est faible ». Le 22 janvier, l’organisation reconnaît finalement que le virus se transmet bien d’homme à homme.

Le docteur Tedros réunit pour la première fois le comité d’urgence constitué de scientifiques et d’épidémiologistes. Ses membres sont très divisés sur l’opportunité de lancer une « urgence sanitaire de portée internationale » (USPPI), seul outil conféré à l’OMS pour alerter l’ensemble des Etats membres et permettre la mise en œuvre de recommandations internationales. Alors que le comité est réuni, la Chine annonce, à la stupéfaction générale, claquemurer les 11 millions d’habitants de Wuhan.

L’OMS tergiverse. Une séquence diplomatique est organisée en toute hâte. Le Dr Tedros s’envole pour Pékin rencontrer le président Xi Jinping. Une photo le montrant faisant une courbette au chef d’Etat enflamme la toile. « Nous sommes partis voir sur place ce que les chiffres ne disaient pas », assure le docteur Briand qui participait au voyage.

Une organisation sans pouvoir de coercition

Le comité d’urgence est à nouveau réuni le 30 janvier. Cette fois, il déclare une USPPI. Mais, le docteur Tedros se livre avec une constance gênante à des éloges sur la « transparence » et la réponse « sans précédent » des autorités chinoises. Des propos jugés au mieux « dotés d’un certain sens politique », selon un diplomate qui souligne le rôle influent de Pékin sur la scène internationale, et au pire complices du régime chinois, alors qu’il était déjà évident qu’il avait retardé de plusieurs semaines le partage d’informations.

« Cette déférence était vraiment excessive, assure Suerie Moon, codirectrice du Centre de santé globale de l’Institut de hautes études internationales et du développement, mais ce n’est pas suffisant pour accuser l’organisation d’avoir un biais chinois. Il fallait surtout s’assurer que le canal restait ouvert avec la Chine car les premières semaines étaient capitales pour recueillir de l’information permettant de mieux connaître le virus. »

C’est là toutes les limites de l’OMS, organisation intergouvernementale, sans pouvoir de coercition sur les Etats qui refusent de coopérer avec elle et encore plus s’agissant d’un régime autoritaire. « Cessons de faire preuve de naïveté. Les Etats membres veulent que l’OMS reste faible car la santé est une question éminemment politique et une prérogative nationale », assure Marie-Paule Kieny, virologue et ancienne sous-directrice générale qui a quitté l’organisation en 2017.

A l’issue de la crise du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003, les 194 Etats membres ont réussi à s’entendre pour actualiser le « Règlement sanitaire international ». Depuis 2005, il donne à l’OMS un rôle de coordination internationale en cas d’épidémie. Mais ils ont refusé que celle-ci se dote d’un pouvoir de sanction. « C’est comme un chef d’orchestre à qui on reprocherait de mal diriger alors qu’on ne lui a pas donné de baguette », estime Antoine Flahault, épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale. L’OMS a cependant la possibilité de se baser sur les informations qui remontent des médias, d’Internet et de la société civile. Dans un pays muselé comme la Chine, cette veille a visiblement échoué.

Crise de confiance

Eternel problème de la gestion des annonces : pour chaque épidémie du XXIe siècle, SRAS en 2003, la pandémie grippale H1N1 en 2009 ou Ebola en 2014 et 2018, l’OMS a été accusée de réagir à contretemps : trop tôt ou trop tard, trop fortement ou trop faiblement. « Il ne faut pas oublier que les Etats les plus influents se reposent sur leur propre agence sanitaire. Les CDC américains (Centres for disease control and prevention) ont un budget dix fois plus gros que celui de l’OMS. Par contre, pour les Etats les plus pauvres, elle reste une tour de contrôle et ses recommandations technico-médicales sont très suivies », assure M. Flahault.

Nul ne sait comment l’OMS se relèvera de cette crise de confiance qui se heurte à une lame de fond unilatéraliste sur le plan international. Au siège, on assure qu’il sera toujours temps après la crise d’établir les responsabilités. « A chaque épidémie, il y a eu une remise en question de l’organisation », estime Mme Moon. « Cette crise démontre que dans un monde interdépendant, la santé est un enjeu global et qu’il faut renforcer le rôle de coordination de l’OMS », affirme la chercheuse. « C’est la leçon que devraient en tirer les Etats membres. Car une OMS affaiblie sera encore moins apte à faire face aux futures pandémies. »

La crise du coronavirus a également accru les tensions entre la Chine et l’OMS, d’une part, et Taïwan, de l’autre. Pékin considère comme une région chinoise cette île où se sont réfugiés en 1949 les nationalistes chinois lors de l’arrivée des communistes au pouvoir. Si les relations entre les deux rives du détroit se sont améliorées entre 2008 et 2016 lorsque le Kouomintang était au pouvoir dans l’île, elles se sont à nouveau dégradées depuis l’élection, en 2016, de Tsai Ing-wen, présidente du Parti démocratique progressiste (DPP). Pro-indépendantiste, celle-ci a été réélue haut la main en janvier 2020 pour un second mandat de quatre ans. Pékin avait autorisé Taïwan à assister aux assemblées générales de l’OMS en tant qu’observateur de 2009 à 2016 mais ce n’est plus le cas depuis cette date. Seul canal de communication entre l’île et l’OMS, le Centre de contrôle des maladies de Taïwan est toujours un « point de contact » du Règlement sanitaire international.

« Diplomatie du masque »

La crise du coronavirus donne à Taïwan l’opportunité de développer un double argumentaire. Dans un premier temps, les dirigeants du pays ont jugé que la mise à l’écart de l’île mettait potentiellement en danger la vie de ses 24 millions d’habitants privés d’informations sanitaires.

Mais, les semaines passant, le succès de Taïwan dans la lutte contre le virus – on ne dénombre à ce jour que six morts et ce, sans confinement de la population – les amène à déplorer que l’OMS ne prenne pas en compte le « modèle taïwanais ». Surtout, Taïwan reproche à l’organisation onusienne de ne pas avoir tenu compte de ses avertissements adressés le 31 décembre 2019 sur le risque de transmission interhumaine.

Alors que Taïwan s’est également lancé dans une « diplomatie du masque », en en donnant plusieurs millions aux Européens, aux Etats-Unis et aux derniers pays avec lesquels l’île entretient des relations diplomatiques, cet activisme énerve Pékin au plus haut point. Selon le ministère taïwanais de la défense, le porte-avions chinois Liaoning et cinq navires de guerre qui l’accompagnaient ont pénétré dimanche 12 avril dans les eaux taïwanaises.

Paul Benkimoun, Marie Bourreau (Genève, correspondance) et Frédéric Lemaître (Pékin, correspondant)

Coronavirus : « le pire est passé à New York » estime le gouverneur Cuomo. Les Etats-Unis ont recensé, lundi 13 avril, 1 509 nouveaux décès dus au Covid-19 en 24 heures, soit quasiment le même chiffre que la veille, selon le comptage de l’université Johns Hopkins qui fait référence. Ils restent le pays le plus touché dans le monde par l’épidémie liée au coronavirus qui a fait plus de 117 700 morts sur la planète. Lundi aussi, l’Etat de New York, épicentre de l’épidémie dans le pays, a franchi le cap des 10 000 morts. Son gouverneur Andrew Cuomo s’est néanmoins montré optimiste car le nombre d’hospitalisations net est en clair ralentissement. « Le pire est passé, si nous continuons à être intelligents » et à suivre les mesures de confinement, a-t-il assuré. Certains pays moins touchés, comme l’Autriche, ont déjà déclenché leur plan de sortie de crise, mais aucun, parmi les plus endeuillés, comme les Etats-Unis, l’Italie (plus de 20 000 morts), l’Espagne (plus de 17 000) ou le Royaume-Uni (plus de 11 000), n’ont encore osé donner une date précise pour la fin des restrictions les plus draconiennes. En Afrique, le Covid-19 a fait 833 victimes. Au Gabon, le confinement ne fait ainsi que débuter à Libreville, la capitale, tandis qu’au Nigeria il est prolongé de deux semaines dans un climat social tendu doublé d’une multiplication des actes criminels. Le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé lundi le versement d’une aide d’urgence à vingt-cinq pays parmi les plus pauvres du monde pour leur permettre d’alléger leur dette et de mieux faire face à l’impact de la pandémie de Covid-19. Cette mesure permet de couvrir pour six mois les remboursements de la dette envers le FMI et « d’allouer une plus grande partie de leurs maigres ressources à leurs efforts en matière d’urgence médicale et d’aide ».

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