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Jours tranquilles à Paris
1 mai 2020

Géopolitique - La Chine sortira-t-elle gagnante de cette crise  ?

etats unis contre chine

THE ECONOMIST (LONDRES)

En quelques semaines, le pays à l’origine de l’épidémie de Covid-19 se propose désormais comme modèle de gestion de cette crise qui ravage le monde. Sommes-nous au seuil d’un basculement géopolitique au détriment des États-Unis ?

L’année a très mal commencé pour la Chine. Lorsqu’un virus affectant les voies respiratoires s’est répandu à Wuhan, l’instinct des responsables du Parti communiste a été de le passer sous silence. Certains prédisaient que le coronavirus allait être le “Tchernobyl” de la Chine – en référence à la façon dont les mensonges du Kremlin sur cet accident nucléaire avaient accéléré l’effondrement de l’Union soviétique. Ils avaient tort. Après son cafouillage initial, le parti au pouvoir en Chine a rapidement imposé une quarantaine d’une ampleur et d’une sévérité impressionnante. Et ce confinement a apparemment bien fonctionné. Le nombre de nouveau cas de Covid-19 a ralenti au point de se réduire à peau de chagrin. Les usines sont en train de rouvrir leurs portes. Les chercheurs se précipitent pour faire tester leurs vaccins sur les bonnes volontés. Entre-temps, le nombre de morts en Grande-Bretagne, en France, en Espagne, en Italie et aux États-Unis a largement dépassé le bilan officiel en Chine.

La Chine ne cache pas sa fierté. Une vaste campagne de propagande explique que la Chine a réussi à maîtriser l’épidémie grâce à un régime fort de parti unique. Le pays montrerait maintenant sa bienveillance en fournissant au monde entier des kits médicaux, dont près de 4 milliards de masques entre le 1er mars et le 4 avril. D’après le discours officiel, les sacrifices consentis par la Chine ont permis au reste du monde de gagner du temps pour se préparer à la crise. Et si certaines démocraties occidentales n’ont pas fait bon usage de ce temps, cela montre à quel point leur système de gouvernance est inférieur à celui de la Chine.

Certains, notamment les observateurs pessimistes de la politique étrangère en Occident, ont conclu que la Chine serait le grand vainqueur de la catastrophe du Covid-19. Ils avertissent que la pandémie restera dans les mémoires non seulement comme une catastrophe humaine, mais aussi comme un tournant géopolitique où les États-Unis ont été mis à l’écart.

Ce point de vue s’est en partie imposé par défaut. Le président Donald Trump n’a apparemment aucune envie de prendre la tête de la riposte mondiale face au virus. Les précédents présidents américains ont mené des campagnes contre le VIH/sida et Ebola. Trump s’est contenté de promettre de suspendre son soutien financier à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à cause de son prétendu parti pris en faveur de la Chine. Avec l’homme qui, à la Maison-Blanche, revendique un “pouvoir absolu” tout en refusant d’assumer ses responsabilités, la Chine a une chance de renforcer son influence.

Une machine de propagande grossière et mesquine

Mais pourtant la Chine pourrait très bien échouer dans cette entreprise. D’une part, il est difficile de dire si le bilan chinois en matière de gestion du Covid-19 est aussi impressionnant que le pays veut le faire croire – et qu’il est aussi bon que celui des démocraties qui ont fait leurs preuves comme la Corée du Sud et Taïwan. Personne en dehors de la Chine ne peut vérifier si les autorités chinoises, connues pour leur goût du secret, ont dit toute la vérité sur le nombre de décès et de personnes infectées par le coronavirus. Un régime autoritaire a les moyens d’imposer aux usines de repartir, mais il ne peut pas forcer les consommateurs à acheter leurs marchandises. Tant que la pandémie fera rage, il est encore trop tôt pour dire si les gens vont applaudir la Chine pour avoir mis fin au virus ou lui reprocher d’avoir fait disparaître les médecins de Wuhan qui avaient été les premiers à sonner l’alarme.

Autre obstacle : la propagande de la Chine est souvent grossière et mesquine. Les porte-parole du pays ne se contentent pas chanter les louanges de leurs dirigeants ; certains jubilent également publiquement des dysfonctionnements des États-Unis ou promeuvent des théories du complot délirantes affirmant que le virus serait une arme biologique américaine. Pendant plusieurs jours, les Africains de Guangzhou ont été expulsés en masse de chez eux, se sont vu interdire l’accès aux hôtels et ont ensuite été harcelés parce qu’ils dormaient dans les rues, les autorités locales craignant qu’ils ne soient contaminés. Leur détresse a fait la une des journaux et a suscité des remous sur le plan diplomatique dans toute l’Afrique.

La Chine ne cherchera à reproduire les points forts des États-Unis

Par ailleurs, les pays riches se méfient des motivations de la Chine. Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence, exhorte les gouvernements à prendre des participations dans des entreprises stratégiques afin d’empêcher la Chine de profiter des turbulences du marché pour les racheter à bas prix. Plus généralement, la pandémie a donné des arguments à ceux qui pensent que les pays ne devraient pas dépendre autant de la Chine pour des biens et des services essentiels, des respirateurs aux réseaux 5G. L’Organisation mondiale du commerce s’attend à ce que le commerce mondial de marchandises diminue de 13 à 32 % à court terme. Si cette situation conduit à une régression à long terme de la mondialisation – ce qui était déjà un sujet d’inquiétude avant le Covid-19 –, cela nuira autant à la Chine qu’au reste du monde

La question n’est pas tant de savoir si les autres pays sont prêts à voir la Chine supplanter les États-Unis, mais plutôt si la Chine a l’intention de le faire. Une chose est sûre, la Chine ne va pas chercher à reproduire les points forts des États-Unis : un vaste réseau d’alliances et des légions d’acteurs privés dotés d’un soft power inégalable, de Google à Netflix, en passant par Harvard et la Fondation Gates. Elle ne montre aucun signe de vouloir assumer le genre de pouvoir qui lui vaudrait d’être prise à partie dans toutes sortes de crises partout sur la planète, comme c’est le cas pour les États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale.

Redéfinir les nouvelles règles mondiales

Le meilleur révélateur des ambitions de la Chine sera son comportement dans la course au vaccin. Si elle y parvient la première, ce succès pourrait être mis en avant comme un triomphe national et le début d’une coopération mondiale. Autre révélateur : l’allégement de la dette des pays pauvres. Le 15 avril, le G20, y compris la Chine, a décidé d’accorder aux pays endettés le report du paiement de leurs dettes à ses membres pendant huit mois. Par le passé, la Chine négociait la dette à huis clos en exploitant sa position de force pour obtenir des concessions politiques. Si la décision du G20 signifie que le gouvernement de Pékin est maintenant prêt à coordonner ses actions avec celles des autres créanciers et à se montrer plus généreux, ce serait le signe que la Chine est prête à dépenser de l’argent pour acquérir un nouveau rôle.

Mais peut-être que la Chine cherche moins à diriger le monde qu’à s’assurer que d’autres puissances ne viennent en travers de son chemin. Elle cherche à éroder le statut du dollar en tant que monnaie de réserve. Et elle s’efforce de placer ses diplomates à des postes influents dans les organismes internationaux, afin qu’ils puissent définir les nouvelles règles mondiales, par exemple en matière de droits de l’homme ou de contrôle d’Internet. L’une des raisons pour laquelle la position de Trump vis-à-vis de l’OMS est si mauvaise pour les États-Unis, c’est que cela donne plus de légitimité à la Chine à ce genre de poste.

Les dirigeants chinois allient de grandes ambitions à une certaine prudence induite par l’énorme tâche qui consiste à gouverner un pays de 1,4 milliard d’habitants. Ils n’ont pas besoin de créer de toutes pièces un nouvel ordre mondial avec de nouvelles règles. Ils préféreront peut-être continuer à faire vaciller les piliers bancals de l’ordre construit par l’Amérique après la Seconde Guerre mondiale, le tout pour ne pas entraver la montée en puissance de la Chine.

Ce n’est pas une perspective réjouissante. La meilleure façon d’affronter la pandémie et ses conséquences économiques est de le faire au niveau mondial. Il en va de même pour des problèmes tels que le crime organisé et le changement climatique. Les années 1920 nous ont montré ce qui arrivait lorsque de grandes puissances se préoccupaient de leur seul intérêt et cherchaient à profiter des malheurs des autres. L’épidémie de Covid-19 a jusqu’à présent suscité autant d’appétits égoïstes que d’altruisme. Trump est en grande partie responsable de cette situation. Si la Chine devait remettre au goût du jour ce comportement mesquin des grandes puissances, ce ne serait pas une victoire mais une tragédie.

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