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Jours tranquilles à Paris
5 mai 2020

Les tournages de films français mis sur pause

tournage

Léa Drucker lors du tournage du film « La Petite Solange », d’Axelle Ropert, à Nantes, le 10 mars. NATHALIE BOURREAU/PHOTOPQR/MAXPPP

Mathieu Macheret

Les réalisateurs de films à gros ou à petit budget, interrompus par la crise, craignent pour l’avenir de ceux-ci

ENQUÊTE

La fermeture des salles de cinéma n’aura pas été la seule conséquence de la crise sanitaire sur la vie des films. En amont, c’est aussi leur fabrication même qui s’est trouvée prise de vitesse par le passage en « phase 3 » de la lutte contre l’épidémie, en l’espace d’un week-end, celui du 13 au 15 mars.

Parmi les nombreux secteurs d’activité touchés, le cinéma, parfois décrit comme une « industrie du prototype », a ceci de particulier qu’il invente pour chaque film des conditions uniques, spécialement appropriées. Un tournage n’est autre qu’un chantier éphémère, rassemblant pour une durée limitée une équipe qui, ensuite, se dispersera, des décors, des saisons, des circonstances qui disparaîtront, et dont le film dépend entièrement. Autant de paramètres fugaces qui expliquent en partie pourquoi, dans le domaine, l’interruption est si vivement redoutée.

C’est pourtant cette situation qu’ont à affronter, depuis le début du confinement, plusieurs réalisateurs dont les tournages avaient débuté entre fin janvier et début mars. Dans le cas d’Eiffel, production Pathé au budget considérable de 22 millions d’euros, avec Romain Duris et la comédienne franco-britannique Emma Mackey, l’interruption ne fait que décaler le tournage dans le temps. Selon son réalisateur Martin Bourboulon, le film n’est pas « un biopic sur le fameux architecte, mais une histoire d’amour qui se déroule pendant la construction de la tour Eiffel ».

« Les deux tiers du film sont déjà tournés, explique-t-il, qui représentent sa part la plus lourde : on a reconstruit le pied de l’édifice en studio, avec une grosse intervention du numérique. Sur dix semaines de tournage, il nous en restait trois, dont dix jours de studio qui pour l’heure ne posent pas de problème. » L’annonce du confinement a néanmoins été vécue comme un « choc émotionnel, qui a coupé net l’élan artistique ». « On essaie malgré tout de faire avancer la machine, précise le réalisateur. On a commencé le montage à distance, on travaille sur la musique, avec le compositeur Nicolas Godin. »

« Scènes de contact »

Le problème prend un tour plus épineux en ce qui concerne, par exemple, les productions de genre tournées vers l’imaginaire, qui font encore figure d’exception dans le pays de Descartes. Entré en phase de tournage début mars, Ogre, premier long-métrage d’Arnaud Malherbe, avec notamment Ana Girardot, a dû s’interrompre au bout de deux semaines sur les sept prévues. Ce conte fantastique sur les peurs enfantines est décrit par le réalisateur comme conjuguant « l’effroi et le merveilleux », pour mieux cerner « la réalité des territoires exclus, d’où peuvent ressurgir des monstres ».

« On était en petite équipe, je ne voyais pas vraiment le danger, reconnaît-il. Un tournage, c’est une petite île, coupée du monde. Tout s’est joué dans le week-end : ce sont les membres de l’équipe retournés à Paris qui nous ont fait des retours sur la situation réelle, comme une douche froide. Moi, je voulais absolument continuer, avec l’idée de grappiller quelques jours. Mais la production a pris la bonne décision, celle de remballer et de rentrer. »

La sortie de crise apparaît complexe. Il reste à tourner « une scène de fête foraine avec 200 figurants, qui est un moment clé du film », s’inquiète Malherbe. Le réalisateur craint « le poids coercitif des protocoles sanitaires à venir sur la liberté artistique ».

Le cinéma d’auteur n’a pas non plus été épargné. La cinéaste Axelle Ropert (La Prunelle de mes yeux, 2015) avait commencé fin février le tournage de Petite Solange, qu’elle présente comme « un mélodrame », « l’histoire d’une petite fille qui découvre que tout peut s’effondrer du jour au lendemain, ce qui renvoie beaucoup à ce qu’on est en train de vivre ». « Une première partie du tournage avait eu lieu à Nantes, très paisiblement, raconte la réalisatrice. On est arrivés à Paris à la mi-mars, et c’est là qu’on a senti le vent tourner. En deux trois jours, on a vu l’horizon devenir noir et compris qu’il fallait mettre le bateau à l’abri. C’est très compliqué d’interrompre un tournage, pour des raisons économiques, artistiques, humaines. Mais je suis fille de médecin : la maladie, je sais ce que c’est, on ne pouvait pas lutter. »

La cinéaste ne désespère pas pour autant : « C’est un tournage en petite équipe, dans une petite économie (1,2 million d’euros) : une bonne configuration pour que les choses reprennent. » « Mais un film, ce n’est pas comme un manuscrit qu’on laisse de côté, tempère-t-elle, c’est une matière vivante qui dépérit. Mon héroïne est une jeune fille de 14 ans : je ne pourrai pas lui laisser prendre six mois de croissance. »

Alain Guiraudie en était, lui, à huit jours de terminer son dernier film, « une histoire d’amour entre un mec et une prostituée sur fond d’attentats à Clermont-Ferrand », quand le couperet est tombé. « Quelques jours plus tôt, je considérais ça comme une grippe un peu coriace, reconnaît l’auteur de L’Inconnu du lac (2013). J’ai vraiment pris conscience de la gravité des choses au moment de la fermeture des restaurants et des bars. »

Là encore, la reprise du tournage n’est aucunement remise en cause, mais n’a rien d’évident. « Il nous reste essentiellement des scènes en intérieur et de nuit, donc rien d’insurmontable, précise Guiraudie. Mais c’est un film d’hiver, qui se déroule aux alentours des fêtes de fin d’année. La saison est importante. Difficile d’imaginer reprendre en juillet, avec les acteurs qui fondent sous leur doudoune ! »

« Reste une inconnue, avec les protocoles sanitaires », poursuit le cinéaste, qui a toujours laissé une grande place au désir dans ses films : « Mes comédiens doivent encore jouer à proximité les uns des autres, il me reste plusieurs scènes de contact. Je ne sais pas comment gérer ça avec les contraintes de distanciation… » L’amour à l’écran serait-il soudain devenu plus problématique que jamais ? Une seule chose est sûre : si le Covid-19 est en train de modifier sensiblement les usages, il ne laissera sans doute pas indemnes nos récits et nos représentations.

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