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Jours tranquilles à Paris
6 mai 2020

Une politique publique doit défendre ses créateurs »

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Jack Lang, à Paris, lundi 4 mai. SAMUEL KIRSZENBAUM POUR « LE MONDE »

Propos Recueillis Par Michel Guerrin

Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe, plaide pour un « new deal » dans la culture

ENTRETIEN

Jack Lang, ministre de la culture emblématique de François Mitterrand à partir de 1981, aujourd’hui président de l’Institut du monde arabe, à Paris, appelle à un sursaut culturel pour un secteur fortement touché par la crise sanitaire.

Pensez-vous, pendant cette crise du Covid-19, que la culture fasse partie des produits de première nécessité ?

La culture a beaucoup à perdre dans une telle compétition. Survivre, se nourrir sont des exigences absolues. La culture peut paraître moins vitale quand autant de gens souffrent et meurent. Et pourtant, les artistes et les créateurs ont témoigné, au cours de cette période, d’une inventivité étonnante et ont montré que la culture est une nécessité de l’âme, une source de bonheur, de générosité.

Les librairies n’ont pas voulu rester ouvertes alors que le gouvernement l’avait envisagé. Est-ce une occasion ratée ?

C’était une erreur. On a pourtant trouvé des solutions pour que les gens puissent acheter à manger dans une supérette… Les libraires sont de fabuleux trésors de vie. Parfois, ils sont divisés entre eux. Quand nous avons instauré le prix unique du livre, en 1981, pour les défendre face aux grosses surfaces, il s’en est trouvé une partie qui était contre… Aujourd’hui, la principale menace pour les librairies est Amazon. Je trouve choquant que les librairies soient fermées tandis que l’on ne se résout pas à imposer des boucliers et des taxes élevées pour que ce géant américain répare les dommages qu’il fait subir à la France culturelle.

Pourquoi les milieux culturels sont-ils agacés contre l’Etat ?

Les millions de personnes qui animent les lieux et les festivals, dans les villes comme les villages, dans le privé comme le public, trouvent la réponse publique floue. Ce qui ajoute de l’angoisse à l’angoisse, tant la mise à l’arrêt peut devenir une mise à mort. Après les mesures qui valent pour l’ensemble du pays, comme le chômage partiel, ils attendent des mesures spécifiques, un calendrier clair, secteur par secteur. D’abord rapides pour éviter les naufrages, et d’autres à long terme pour repartir sur de nouvelles bases. Le président leur apportera mercredi des réponses, qui je le crois, seront fortes et claires.

Une centaine de grands noms de la culture n’ont pas attendu et ont dénoncé, dans « Le Monde » du 30 avril, « un oubli de l’art ». Qu’en pensez-vous ?

Ces personnalités ressentent à juste titre un abandon. Il faut leur répondre. N’oublions pas cependant que les premiers touchés sont aussi auteurs, plasticiens, saisonniers, animateurs associatifs, indépendants, inventeurs de festivals, les invisibles de la culture qui donnent vie à nos territoires. Ils sont trop peu présents dans cette tribune.

Est-ce normal que ce soit Emmanuel Macron qui réponde et non le ministre de la culture ?

A situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle.

Avec une telle défiance envers le ministre Franck Riester, celui-ci peut-il s’en relever ?

Je ne participe pas à ce petit jeu. Demandons-nous plutôt pourquoi, depuis vingt ans, tous les ministres de la culture font office de punching-ball ? Ils sont les boucs émissaires de l’indifférence, de la désertion des gouvernements successifs depuis vingt ans. Vingt ans que le budget de la culture baisse alors que les charges fixes augmentent et que son périmètre s’élargit. On peut changer dix fois de ministre, la valse continuera. L’exemple le plus navrant fut Aurélie Filippetti, qui, à peine nommée par François Hollande en 2012, a été « flinguée » par le ministre du budget Jérôme Cahuzac.

C’est aussi cela que le virus met en lumière. La France était un modèle, elle ne l’est plus tout à fait. Pendant ce temps, l’Allemagne, les pays scandinaves ou l’Italie vont de l’avant. Le plus désolant, c’est l’impuissance de l’Etat depuis longtemps face aux groupes industriels et financiers qui étendent leur emprise sur la culture, l’urbanisme et notre mode de vie.

Par exemple ?

N’est-il pas choquant que des musées fassent appel à Google pour numériser leurs collections ou abandonnent aux géants américains la visite virtuelle de leurs expositions ? Choquant que le secteur des musiques populaires soit toujours plus dominé par des conglomérats anglo-saxons qui favorisent l’inflation des cachets et des tickets, ce qui tue la création ? Choquant que des salles comme les Zéniths, qui ont été imaginées pour découvrir des talents musicaux, ont été dévoyées pour devenir parfois des garages commerciaux ? Choquant encore les abus du marché de l’art, et les rapports incestueux entre musées et investisseurs privés ?

Mettez-vous dans le lot le Pass culture, un chèque de 500 eurospour les jeunes, le jour de leurs 18 ans, que souhaite M. Macron ?

J’étais réservé sur ce dispositif qui coûte cher, réduit la culture à de la consommation, entretient le danger de la gratuité alors que les auteurs ne vivent pas d’eau fraîche, et risque de ne profiter qu’aux plus favorisés et à certaines entreprises de l’industrie culturelle. Par bonheur, le Pass semble faire l’objet d’une réorientation en faveur des pratiques artistiques, de la lecture et des expérimentations culturelles.

Vous avez appelé à un « new deal » pour la culture dans « Le Parisien » du 27 avril. Que voulez-vous dire ?

A chaque grande crise ou rupture politique, la culture a accompli sa révolution. En 1936 avec le Front populaire, à la Libération, en 1958, en 1981 avec François Mitterrand. Le modèle, à mes yeux, c’est le New Deal de Roosevelt au début des années 1930. L’investissement dans la culture fut massif. L’Etat a fait travailler 7 000 écrivains, 16 000 musiciens, 13 000 comédiens, a soutenu le cinéma. La bascule de leadership culturel de la France au profit des Etats-Unis vient de là. Nous devons faire preuve de la même audace. M. Macron devrait en être l’initiateur.

Les priorités seront énormes dans la santé et l’économie…

Ce discours, qui fait de la culture la dernière roue du carrosse, je l’entends depuis toujours, notamment chez certains responsables politiques qui bégaient une phrase punitive : « Il y a d’abord les gens modestes à aider et les entreprises à soutenir. » Mais la culture n’est pas étrangère à ces deux préoccupations ! Si on comprend l’enjeu, on trouvera les milliards d’euros pour la culture.

Sauf qu’une partie des Français ne profite pas de la culture, jugeant même ses acteurs comme des enfants gâtés…

S’il y a défiance, c’est aussi parce que nous avons abandonné l’éducation populaire de terrain, la pratique amateur, les réseaux culturels locaux. On a séparé le peuple de la création. Je suis contre la dictature de l’Audimat mais favorable à un état des lieux de la politique culturelle, sans anathème ni partis pris. La France culturelle doit être exemplaire et ne doit pas avoir peur de faire son introspection.

Le « new deal » que j’appelle de mes vœux doit précisément restaurer l’esprit de service public. Je rêverais qu’Emmanuel Macron fasse sien ce beau mot de Jean Vilar : « La culture c’est comme l’eau, le gaz et l’électricité : un service public. » Ce « new deal » qui renverserait la table devrait être le fruit d’une mobilisation de tout le pays, d’une sollicitation de l’imagination des créateurs et chercheurs. Le « new deal » devrait aussi inclure un investissement massif en faveur de l’art à l’école. On bavasse sur le sujet depuis vingt ans dans une hypocrisie totale. On s’enthousiasme sur d’excellentes initiatives ponctuelles, qui ne sont que des pincées de paprika. Il appartiendrait au président de proposer un grand dessein : l’art proclamé comme un des fondamentaux de l’école de la République au même titre que les mathématiques et la lecture.

Le virus, en favorisant les circuits courts, est-il une occasion pour que la France défende mieux ses créateurs ?

Je suis un indécrottable universaliste, mais oui, toute politique publique doit défendre ses créateurs. Le faisons-nous moins bien que d’autres pays ? Le sujet n’est pas tabou. D’autant que le virus oblige à poser la question.

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