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Jours tranquilles à Paris
7 mai 2020

LIBÉRATION - Culture : Macron, président des «chiche»

Par Didier Péron et Julien Gester 

Exalté face à des représentants des milieux créatifs triés sur le volet, le chef de l’Etat a appelé mercredi à une «révolution de l’accès à la culture» et invité les artistes à profiter de leurs calendriers vides pour se reconvertir en baby-sitters culturels.

Décidément, la crise pandémique nous l’a changé. Naguère de centre gauche à l’oral mais de droite ultralibérale à l’écrit, Emmanuel Macron semble désormais chercher l’inspiration de son expression publique chez des référents fleurant volontiers la dictature communiste, quand il emprunte à la tradition tai-chi l’injonction maintes fois réitérée à «enfourcher le tigre» (et gravir la montagne, complète l’adage) tel un haut cadre du Parti communiste chinois, ou quand il proclame l’avènement d’une «saison hors norme», et plus particulièrement d’«un été apprenant et culturel», comme le régime cubain planifiait naguère «l’année de la réforme agraire», «l’année du Vietnam héroïque», ou celle de «l’éducation».

Mais le modèle du Président s’adressant aux représentants des secteurs artistiques et créatifs était sans doute plus volontiers Kennedy que Castro : veste tombée, manches retroussées, mèche électrique, candeur de boy-scout, gestuelle de manager exalté par l’immensité des perspectives offertes par le chaos ambiant.

Devant un casting choisi par son cabinet (1), le président de la République a répondu aux signaux de détresse émis en rafales par le secteur depuis des semaines, et plus intensément encore ces derniers jours, par un show dont la première leçon est peut-être que s’il est un Français à qui la menace du Covid-19 a insufflé une santé meilleure qu’il y a deux mois, c’est bien lui. On se souvient des interventions d’un Emmanuel Macron livide au cœur de la crise des gilets jaunes qui était directement une remise en cause de sa politique. La crise sanitaire, elle, semble l’avoir galvanisé. Ainsi, après deux mois de confinement, dont la majorité des Français vont sortir hirsutes, blêmes ou en surcharge pondérale à force d’efforts de guerre, de télétravail ou de canapé, le chef de l’Etat est apparu mercredi au maximum de l’optimisme hâlé et décontracté : «On va construire une visibilité», «Protéger et accompagner», «Phase de résistance et de résilience», «Une opportunité extraordinaire de chantiers de création»… Au gré d’une prise de parole souvent plus imprécatoire que concrète, sous le vernis revendiqué d’un «idéalisme pragmatique», la scansion du volontarisme antidépressif s’est déclinée par les mots et la gestuelle d’une prestation tout en chiffonnages de cheveux, bras croisés /décroisés, structures abstraites dessinées dans l’air avec les mains pour culminer en direction de ce qui n’est pas précisément un changement de cap, ni un plan «à mettre sur la table maintenant», car «ça ne marche plus comme ça».

Trou d’air

La promesse d’une année blanche pour les intermittents, si elle court jusqu’en août 2021, le conduit de facto à un impératif de mouvement, d’«initiatives» et d’impulsion confiés à une population d’artistes qui n’a pas vocation à rester désœuvrée dès lors qu’elle a vu s’évaporer les perspectives de spectacles ou de contrats dans les salles de concerts, les festivals d’été et les lieux d’exposition. Vous êtes au chômage ? Les jeunes vont être en vacances ! Et d’ici là retournent à l’école, sans toujours savoir qu’y faire. Dès lundi. Ce trou d’air du temps désinvesti qu’a creusé l’épidémie dans un calendrier censément chargé, il faut s’en emparer pour «faire une révolution de l’accès à la culture. […] Chiche ! On a besoin de vous à l’école, on a besoin de ce souffle et d’aider nos enfants […]. On va devoir réinventer notre été, d’autres formes de colonies de vacances, pour des millions d’enfants, d’ados, notamment dans les quartiers populaires, les Français binationaux ou issus de l’immigration qui ne pourront pas partir au pays en vacances». Et «c’est pour maintenant». De là à dire aux centaines de milliers d’acteurs de la culture qu’il n’y a qu’à traverser la rue jusqu’à l’établissement scolaire le plus proche pour se remettre au travail…

Animateurs de colo

Il se trouve que ce travail d’action culturelle existe déjà et qu’il souffre d’avoir été largement détricoté et démuni par l’érosion des ressources du milieu associatif au gré des refontes budgétaires. Mais le milieu est ainsi sommé de ne pas se contenter de ses plaintes ou de ses plaies à panser pour se montrer proactif, et de mettre son idéalisme au service des populations déshéritées ou les plus directement touchées par les conséquences du virus. Le service après-vente sur les marches de l’Elysée d’un Franck Riester réduit pendant l’intervention présidentielle à une fonction subalterne de prise de notes et de hochage de tête n’a pas dissipé le flou total qui règne encore sur les modalités économiques et calendaires de tels happenings, appelés à refonder une ambition culturelle partagée pour le pays, sur l’air d’une note obstinée de souverainisme français, sinon européen, qu’il s’agit d’opposer aux appétits et à la concentration de «grands prédateurs, chinois, américains, avec d’autres sensibilités».

Le souci que tout le monde, des banques et assurances aux collectivités territoriales, se joigne à cette symphonie résiliente, sans compter ses ambitions ni ses deniers - l’un des artistes conviés au tour de table préalable en aura retenu, un brin médusé, que «la question budgétaire n’a été abordée que sur le mode de la plaisanterie» -, tout cela semblait mettre les milieux créatifs et ceux qui les accompagnent au défi discutable de se choisir un destin entre assistés et animateurs de colo. Une forme de politique du «chiche !» dont il reste à démontrer qu’elle diffère foncièrement de l’esprit de compétition présidant aux bonnes vieilles politiques du chiffre.

(1) Etaient conviés l’écrivain Aurélien Bellanger, le chef d’orchestre Sébastien Daucé, la chorégraphe circassienne Camille Decourtye, la soprano Sabine Devieilhe, l’artiste visuel Laurent Grasso, la comédienne Sandrine Kiberlain, la comédienne Norah Krief, le musicien et réalisateur Abd al Malik, la chorégraphe Mathilde Monnier, le duo de cinéastes Nakache et Toledano, le metteur en scène, comédien et directeur de théâtre Stanislas Nordey et la musicienne Catherine Ringer.

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