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Jours tranquilles à Paris
9 mai 2020

René Perez - Et là Roger, vous diriez quoi ?

france a peur

« La France a peur. » En ce temps où même les ados restaient bouche bée et fourchette en l’air pour l’écouter à 20 h pétantes, Roger Gicquel avait prononcé cette phrase culte, restée dans la mémoire collective presqu’au même titre que le « Je vous ai compris » de De Gaulle. Formulée en 1976 à l’annonce du meurtre du petit Philippe Bertrand par Patrick Henry (et après plusieurs rapts d’enfants), elle fut ensuite laminée, moquée et même coluchée, faisant passer le présentateur vedette, d’origine bretonne, pour un pleutre franchouillard alors qu’il entamait une déclaration d’un humanisme éclairé. Car, après cette formule choc introductive, il avait ajouté : « Mais (la peur) est un sentiment qu’il faut que nous combattions car il débouche sur des envies folles de justice expéditive, de vengeance directe et immédiate ». Les mots prennent tout leur sens quand on sait que la peine de mort sévissait encore et que la majorité des Français y étaient favorables. Autrement dit, son plaidoyer, à mots à peine couverts, contre la guillotine s’est transformé en raccourci bouffonné par les humoristes car tout le monde, ou presque, a oublié la seconde partie de son propos. Comme pour Rocard et la misère du monde.

Alors, bien sûr, en ces temps où l’anxiété submerge le pays bien plus qu’en 1976, la référence à la phrase culte de Gicquel revient dans des commentaires sur les ondes, parfois ironiquement. Et, cette fois, pas de doute : la France a vraiment peur. D’ailleurs, avouons-le, nous n’avons pas été beaucoup plus disciplinés que d’ordinaire. C’est bien la trouille de l’épidémie et la peur du gendarme qui nous ont claquemurés pendant deux mois, sous couvert d’un civisme peu décelable dans le génome du coq gaulois. Et c’est cette même anxiété qui a rendu le Parisien indésirable à Pâques et si ardemment désiré maintenant par le tourisme breton et ses 60 000 emplois en haute saison, effrayés par la perspective d’un bouillon historique en cet été 2020.

Alors forcément, à l’heure où se profile la libération conditionnelle, la peur ne va pas s’effacer d’un coup de baguette magique. C’est elle qui domine le débat sur la réouverture des écoles où toutes les opinions sont recevables. Quand il y a des enfants au milieu de la cour, qu’on soit pour ou qu’on soit contre, résolument optimiste ou foncièrement anxieux, on a raison. Chaque point de vue est légitime. Avec juste une petite nuance en Bretagne où le virus circule à peu près comme en Allemagne, pays dont les écoles s’ouvrent déjà progressivement. Dans le Grand Est, l’appréhension est bien plus manifeste et justifiée.

En revanche, entendre des dirigeants syndicaux inciter les confinés à ne pas reprendre le travail au nom du risque zéro, c’est nettement plus contestable alors que l’heure devrait être, au contraire, à se retrousser les manches. Car ce qui se profile laisse augurer une situation économique et sociale redoutable dans laquelle, au passage, ces mêmes responsables syndicaux pourront éventuellement trouver argument pour revenir bloquer le pays. Alors, si Roger Gicquel devait ouvrir le 20 heures de ce soir, il reviendrait nous dire : « La France a peur ». Et il ajouterait probablement : « Mais c’est un sentiment qu’il faut que nous combattions car il débouche sur les tentations folles de renoncements coûteux et de catastrophisme déraisonnable et suicidaire ».

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