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Jours tranquilles à Paris
18 mai 2020

L’OMS réunit son assemblée mondiale dans la tempête du Covid-19

oms55

Par Paul Benkimoun - Le Monde

Pour la première fois, l’instance suprême de l’Organisation mondiale de la santé se réunira de façon virtuelle, lundi et mardi, alors que la pandémie continue de progresser.

Contrairement à d’autres institutions internationales qui ont reporté la réunion de leur instance souveraine, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) tiendra bien sa 73e assemblée annuelle − l’Assemblée mondiale de la santé (AMS) −, lundi 18 et mardi 19 mai, dans des conditions particulières. La pandémie de Covid-19 qui continue de se propager, notamment dans les Amériques, en Europe de l’Est et en Afrique, oblige à une réunion virtuelle, dans un format très raccourci par rapport aux dix jours habituels.

Elle examinera en particulier une résolution sur la réponse au Covid-19 promue par l’Union européenne (UE) et rassemblant une centaine d’Etats membres. Le texte aborde la question de l’accès équitable aux technologies, médicaments et vaccins contre le SARS-CoV-2, mais demande également « au plus tôt » une « évaluation indépendante de la riposte sanitaire internationale coordonnée par l’OMS » face au Covid-19.

Il n’était pas acquis d’avance que l’AMS puisse se tenir. « C’est un gros défi pour nous car il y a des questions techniques et de sécurité, notamment afin de nous prémunir contre des tentatives de piratage dans le système informatique qui serait utilisé lors des votes », explique Bernhard Schwartlander, chef de cabinet à l’OMS.

Plus de 4,5 millions de cas et plus de 300 000 morts sont déjà à déplorer, selon les données de l’OMS. « La pandémie est toujours en phase d’expansion. Il y a une stabilisation en Europe de l’Ouest, mais la courbe est ascendante en Europe de l’Est ; elle est en expansion en Asie du Sud-Est et diminue dans la région Pacifique. La maladie est en hausse dans les Amériques : les pays d’Amérique sont de plus en plus touchés et les Etats-Unis constituent actuellement l’épicentre de la pandémie. Enfin, l’Afrique est de plus en plus atteinte », résume Ibrahima-Socé Fall, sous-directeur général chargé des interventions dans les situations d’urgence à l’OMS.

Un « appel à l’action »

L’OMS a déjà mis en place une aide matérielle à 135 pays à revenu faible ou intermédiaire dans le cadre d’un consortium rassemblant, outre les institutions du système onusien, des ONG, des donateurs et des agences de financement. Il négocie entre autres des achats d’équipements de protection personnelle, de tests diagnostiques et de produits médicaux.

Cela ne saurait suffire à permettre à tous les pays touchés d’avoir accès simultanément aux tests diagnostiques, aux médicaments et plus tard aux vaccins, à mesure qu’ils seront disponibles. Pour cela, les Etats membres de l’OMS doivent s’accorder sur cette question essentielle. « Le débat sur l’accès aux technologies et produits de santé est plus que jamais important. Cette pandémie nous apprend qu’à moins que tout le monde, partout, dispose des moyens de se maintenir en bonne santé, le virus reviendra et nous connaîtrons une deuxième, une troisième vague, met en garde Bernhard Schwartlander. C’est pour cela que nous lançons un “appel à l’action” pour l’accès aux outils médicaux afin qu’ils soient au plus vite disponibles. »

C’est l’un des axes majeurs d’une résolution qui sera proposée lors de la seconde journée de cette AMS. L’Union européenne en a pris l’initiative et l’Allemagne, la Finlande et la France en ont rédigé le premier jet fin mars. Début mai, une version était adoptée par l’UE et ses Etats membres, ainsi que par neuf autres pays, dont l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. A présent, plus d’une centaine de pays sur les 194 Etats membres que compte l’OMS s’y sont ralliés et non des moindres : la Russie, l’Inde, neuf pays d’Amérique latine, le Japon, le Canada ou encore la Corée du Sud.

Accès universel, rapide et équitable

La résolution a fait l’objet de compromis. Elle « demande l’accès universel, rapide et équitable et la juste distribution de tous les produits et de toutes les technologies de santé essentiels de qualité, sûrs, efficaces et abordables, y compris les éléments qui les constituent et leurs précurseurs, nécessaires à la riposte contre la pandémie de Covid-19, en en faisant une priorité mondiale, et l’élimination urgente des obstacles injustifiés à cet accès dans le respect des dispositions des traités internationaux pertinents ». Le texte fait référence aux « flexibilités » prévues dans les accords de l’Organisation mondiale du commerce sur la propriété intellectuelle, qui autorisent la délivrance par les Etats de licences de production pour des produits de santé brevetés.

La résolution cite la notion de « bien public mondial » mais uniquement concernant le « rôle d’une vaccination à grande échelle » contre le Covid-19. Concernant la mise au point et la production des « produits de diagnostic, des traitements, des médicaments et des vaccins sûrs, efficaces, de qualité et abordables pour la riposte » au Covid-19, le texte rappelle les « mécanismes existants de mise en commun volontaire de brevets et d’octroi volontaire de licences de brevets pour faciliter un accès rapide, équitable et économiquement abordable à ces produits ».

Pour les rendre disponibles pour tous, partout en même temps, « tous les médicaments, tests de diagnostic, vaccins et autres produits de santé en lien avec la pandémie devraient être considérés comme des biens publics mondiaux, comme l’a clairement exprimé le secrétaire général des Nations unies le 24 avril dernier. La résolution aurait dû être plus ambitieuse », affirme German Velasquez, conseiller spécial sur la politique de santé au South Centre, une organisation intergouvernementale des pays en développement. « Cette crise doit aussi être l’occasion de réinventer l’OMS en la rendant plus forte et plus indépendante, dotée d’instruments pour faire appliquer ses résolutions », estime M. Velasquez.

« Pas de monopoles pendant une pandémie »

L’ONG Knowledge Ecology International (KEI) a regretté, par la voix de son directeur James Love, un affaiblissement de la résolution par rapport à une version proposée par plusieurs pays, dont le Canada et le Botswana, qui faisait référence à des licences ouvertes. « Pas de monopoles pendant une pandémie, voilà ce que devrait être le message », résume James Love sur le site de son organisation.

Comme KEI, Ellen’t Hoen, directrice du centre de ressources Medicines Law & Policy s’est réjouie de l’annonce, le 15 mai, par le directeur général de l’OMS et les présidents du Costa Rica et du Chili, du lancement à la fin mai d’une plate-forme de mise en commun de connaissances et de propriété intellectuelle pour les produits de santé contre le Covid-19 existants ou nouveaux afin de fournir des biens publics mondiaux pour tous. Elle rappelait cependant dans la revue Nature Medicine, le 7 mai : « Il y a de quoi être légitimement préoccupé de voir l’industrie pharmaceutique chercher à protéger ses intérêts économiques dans cette crise au détriment de l’accès universel. »

La résolution proposée par l’Union européenne prie le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, de « continuer à collaborer étroitement avec l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et les pays » afin d’identifier la source du SARS-CoV-2. La résolution évoque à ce propos « des missions scientifiques et des missions de collaboration sur le terrain ». Une pierre dans le jardin de la Chine.

Les réseaux sociaux relayent des attaques contre Tedros Adhanom Ghebreyesus, accusé d’avoir asservi l’OMS à la Chine, et des appels à sa démission. L’AMS ne devrait cependant pas être le cadre d’une mise en cause alors que la pandémie continue de faire rage. Comme le demande la résolution promue par l’UE, la façon dont la direction de l’OMS a conduit la riposte au Covid-19 sera évaluée de manière impartiale et indépendante. Cela n’aura vraisemblablement lieu qu’une fois la pandémie maîtrisée. Il apparaîtrait en effet peu responsable d’ajouter une crise organisationnelle à la crise sanitaire mondiale. Sans compter qu’au vu de la manière dont bon nombre de gouvernements prêtent le flanc à la critique dans la gestion de l’épidémie en cours sur leur territoire, leur marge pour donner des leçons pourrait être étroite.

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