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Jours tranquilles à Paris
19 mai 2020

Plan de relance européen : l’Allemagne prête à un geste de solidarité sans précédent

Par Thomas Wieder, Berlin, correspondant, Virginie Malingre, Bruxelles, bureau européen

macron merkel

Angela Merkel et Emmanuel Macron ont proposé lundi la création d’un fonds de relance de 500 milliards d’euros, financé par l’émission d’une dette commune européenne.

Après des semaines de discussions entre leurs équipes, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont présenté, lundi 18 mai, lors d’une conférence de presse commune, les grandes lignes du plan de relance européen qu’ils sont prêts à endosser. Physiquement distants l’un de l’autre, lui s’exprimant depuis Paris et elle depuis Berlin, les deux dirigeants ont en revanche affiché une totale unité de vue sur le plan politique. Leur objectif : garantir l’intégrité du marché unique et de la zone euro, menacée par la pandémie de Covid-19 et les ravages économiques qu’elle occasionne.

La France et l’Allemagne proposent que la Commission européenne s’endette à hauteur de 500 milliards d’euros et verse ensuite cet argent, par le canal du budget communautaire, aux Etats, régions et secteurs qui ont été le plus durement touchés par la pandémie. Cette initiative représente une petite révolution potentielle pour l’Europe. Pour l’Allemagne, elle matérialise en effet la fin de deux tabous qui ont longtemps empêché une plus forte intégration économique européenne : une mutualisation des dettes et une hausse considérable des transferts – c’est-à-dire de la redistribution entre les Vingt-Sept –, puisque 500 milliards d’euros représentent trois fois et demi le budget annuel européen actuel.

Angela Merkel, qui était encore fermement opposée à l’idée de tout endettement commun lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement européens du 26 mars, s’était montrée plus ouverte ces derniers temps. Pour autant, assurait-on encore récemment à Berlin, cet argent devra être remboursé par ceux qui l’auront dépensé. Mais voilà que la chancelière est désormais d’accord pour qu’il vienne abonder le budget communautaire et soit remboursé au niveau de l’Union européenne (UE), et non pas en fonction de ce que les uns et les autres auront touché.

Surplus de solidarité

Depuis l’apparition du Covid-19, l’Italie et l’Espagne, très touchés par le virus, réclamaient à hauts cris ce surplus de solidarité. Tout comme le Portugal, la Grèce ou la France, que la récession qui commence heurte de plein fouet. A l’inverse, les pays dits « frugaux » – Pays-Bas, Autriche, Suède et Danemark – refusaient d’en entendre parler. L’Allemagne, qui était jusqu’ici plutôt leur alliée sur ce genre de thématiques, vient donc de les lâcher.

Comment expliquer ce changement de pied ? « Merkel a compris que l’Allemagne, en s’en tirant mieux face au virus que les autres grands pays européens, avait une responsabilité immense et devait faire vraiment preuve de solidarité », explique l’économiste Henrik Enderlein, président de la Hertie School of Governance, l’équivalent de Sciences Po à Berlin. Restait à trouver le mécanisme adéquat.

L’arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe critiquant les plans d’aide de la Banque centrale européenne (BCE), rendu le 5 mai, a paradoxalement servi la cause des partisans d’une plus grande intégration de la zone euro. « Ce jugement a levé les contradictions de l’Allemagne vis-à-vis de la BCE. Dès lors que les juges de Karlsruhe ont dit qu’elle ne pouvait plus exercer sa solidarité par le biais monétaire, il fallait trouver un autre moyen, en l’occurrence budgétaire », observe M. Enderlein.

« Le plan présenté par M. Macron et Mme Merkel était déjà en discussion avant l’arrêt de Karlsruhe. Il n’est donc pas la conséquence de ce jugement, même si celui-ci a mis le doigt sur une question essentielle », assure le conservateur Norbert Röttgen, président de la commission des affaires étrangères du Bundestag et candidat à la présidence de la CDU. Certes, mais « les discussions ont vraiment avancé ces quinze derniers jours, et surtout la semaine dernière », note-t-on à l’Elysée. « Merkel a senti qu’il y avait un moment politique à saisir. Sortie renforcée de cette crise alors que Macron, lui, est très affaibli politiquement, elle a sans doute voulu envoyer un signe pour montrer que le tandem franco-allemand fonctionne encore », explique M. Enderlein.

Terrain d’entente entre Paris et Berlin

Si la chancelière allemande a fait un grand pas vers le président français, Paris a également su revoir ses ambitions, pour trouver un terrain d’entente avec Berlin. La France était initialement plus favorable à un fonds de relance en dehors du budget européen, qui lui semblait plus simple à mettre en œuvre compte tenu des bagarres homériques auxquelles se livrent les Vingt-sept sur le sujet. A l’inverse, l’Allemagne souhaitait rester dans le cadre du budget européen, que les parlementaires du Bundestag connaissent bien, mais qui, en théorie, doit être équilibré. Les deux partenaires ont finalement trouvé un montage qui permet à la Commission de s’endetter tout en respectant les traités.

« C’est un jour important », a souligné Emmanuel Macron. « La France et l’Allemagne se positionnent en faveur de la solidarité » européenne, a commenté Angela Merkel, en reconnaissant que la proposition franco-allemande était susceptible de s’attirer des critiques, notamment dans son propre parti où le jugement de la Cour de Karlsruhe a ravivé les clivages entre partisans d’une plus grande solidarité et défenseurs d’une stricte orthodoxie budgétaire. A l’instar de Friedrich Merz, autre candidat à la présidence de la CDU et vieux rival de Mme Merkel, qui fulmine depuis quelques jours contre les « orgies de dépenses » décidées depuis le début de la pandémie.

La proposition franco-allemande devrait également susciter de fortes réticences dans le nord de l’Europe. Ainsi, le gouvernement autrichien a insisté, lundi soir, sur le fait que toute aide européenne devrait prendre la « forme de prêts et non de subventions ». Quant à l’Europe de l’Est, elle veillera à ce que cette solidarité nouvelle, si elle devait se concrétiser, ne se fasse pas aux dépends des fonds de cohésion dont elle bénéficie largement.

« Un accord entre la France et l’Allemagne ne veut pas dire un accord à Vingt-Sept. Mais il n’y a pas d’accord à Vingt-Sept sans accord franco-allemand », a reconnu Emmanuel Macron. Avant d’ajouter : « Nous espérons que cet accord va donner une référence à la Commission », qui a été mandatée par les Etats membres pour proposer un plan de relance et qui doit le présenter le 27 mai.

Pour la Commission, un camouflet

Pour la Commission, le plan de Berlin et Paris sonne comme un camouflet. Sa présidente, Ursula von der Leyen, avait promis un plan « en milliers de milliards d’euros et pas en milliards d’euros ». Pour ce faire, elle envisageait certes de s’endetter, d’un peu plus de 400 milliards, mais souhaitait transférer aux pays les plus affectés par la pandémie « 200 milliards, même moins. A un moment, elle a parlé de 140 milliards », confie un proche des négociations. Pour le reste, elle apportait sa garantie à des prêts consentis aux entreprises pour l’essentiel, ce qui lui permettait, avec les effets de levier classiques, d’afficher une force de frappe de 1 000 milliards d’euros.

Ajouté aux premières mesures d’urgences d’ores et déjà actées par les Vingt-Sept – pour 540 milliards d’euros – cela représentait plus de 1 500 milliards d’euros, soit 10 % du PIB européen. « On ne souhaitait pas des affichages en milliers de milliards d’euros, obtenus par des effets de leviers, qui n’auraient pas résisté à l’analyse », commente-t-on à l’Elysée. Lors de la crise de la zone euro, à partir de 2010, les marchés ont montré qu’ils n’étaient pas dupes…

« Berlin et Paris apportent une première brique fondamentale, qui est celle de la solidarité », ajoute un diplomate, alors que les mesures d’urgence à hauteur de 540 milliards d’euros sont exclusivement des prêts. Même s’ils sont consentis à des conditions très intéressantes, ils alourdissent encore l’endettement des pays les plus touchés par le virus, comme l’Italie ou l’Espagne, qui étaient déjà les pays les plus endettés avant la crise.

Sous pression franco-allemande, Ursula von der Leyen, qui fut la ministre d’Angela Merkel pendant quatorze ans, n’a d’autre choix que de revoir ses plans. Quoi qu’elle décide, elle sait que les prochaines semaines seront difficiles, car il lui faudra négocier pied à pied, avec les Vingt-Sept, les moindres détails de ce plan de relance. Ce qui promet des discussions houleuses, dès lors qu’il faudra décider quelles seront les conditions du remboursement de l’emprunt contracté par la Commission, ou encore les critères qui accompagneront l’attribution de cet argent.

Sans oublier les autres postes du budget européen pour la période 2021-2027, comme les fonds structurels ou la politique agricole commune, sur lesquels les Etats membres de l’Union n’avaient pas réussi à s’entendre avant la pandémie… Lundi, dans un communiqué, Ursula von der Leyen s’est « réjouie de la proposition constructive de la France et de l’Allemagne ».

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