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Jours tranquilles à Paris
11 juin 2020

SAS Gérard de Villiers

L’œuvre de Gérard de Villiers rassemble 50 ans d’évolution géopolitique internationale en 200 histoires sous l’acronyme SAS – Son Altesse Sérénissime. Un travail titanesque nourri des secrets les mieux gardés de la planète. Retour sur la saga littéraire française la plus vendue au monde.

De 1965 à 2013, Gérard de Villiers a vendu (environ) 200 millions des aventures de SAS. Les chiffres sont incertains, plutôt plus que moins, à l’image des dettes légendaires de l’écrivain qui, malgré son aversion pour les impôts, ne s’est jamais expatrié dans un paradis fiscal, contrairement à beaucoup de ses confrères. Véritable témoin du monde, Malko Linge, son héros, est un prince Autrichien missionné par la CIA. Gérard de Villiers l’envoie ici ou là en fonction de l’actualité internationale. L’endroit est toujours explosif et, dès les premières pages, le monde si grand devient alors tout petit. Malko est un grand voyageur – SAS renvoie pareillement aux initiales d’une compagnie aérienne scandinave que notre héros apprécie – dont les aventures se lisent comme autant de reportages au cours desquels l’auteur dévoilent certains secrets d’état par le biais d’analyses politiques remarquables.

Une œuvre inspirée du Nouveau Journalisme américain

Formé à Sciences-po avant de devenir journaliste, Gérard de Villiers se définissait à la fois comme « journaliste & romancier » dans la veine du Nouveau Journalisme, mouvement littéraire – auquel appartiennent Truman Capote, Norman Mailer et Tom Wolfe – consistant à joindre le roman au reportage à travers une trame de faits réels. Gérard de Villiers enquêtait systématiquement dans les pays où se déroulaient les actions de ses livres, afin d’en capter l’esprit et d’apprivoiser la géographie locale. Les décors sont toujours reconstruits au plus juste. Le nom des rues, leur description et l’architecture peuvent-être vérifiés sur Google Earth afin d’en constater l’exactitude, la situation économique et sociale est précise, mais aussi les armes employées (Villiers sait qu’un pistolet semi-automatique allemand Walther P38 est chambré en calibre 9mm Parabellum), il connait l’univers industriel et technologique du sujet traité, tout est reproduit de manière quasi encyclopédique dans chaque SAS.

Ouvrir un SAS c’est lire le journal d’un époque révolue

Alors que moult intellectuels de sa génération cautionnèrent (sans jamais s’être rétractés depuis) certains régimes politiques pour le moins discutables, Gérard de Villiers a, quant à lui, toujours été un anti-communiste vigoureux dépeignant avec exactitude les ravages mondiaux causés par la Guerre Froide. Il aura su être l’observateur lucide et pertinent de son époque, l’un des rares qui dénoncera les débordements d’une gauche génocidaire (SAS n°35 : Roulette cambodgienne, et n°102 : La solution rouge) ; il s’attaquera à la dictature de la junte pinochienne (SAS n°39 : L’ordre règne à Santiago), et au régime autocratique de la famille Duvalier à Port-au-Prince (SAS n° 34 : Requiem pour Tontons Macoutes), ces deux derniers titres lui vaudront d’ailleurs des plaintes diplomatiques officielles et une interdiction de séjour au Chili et à Haïti. Sa méthode de travail lui permettra de prévoir les grands bouleversements sociaux-politiques relatifs à l’implosion du communisme soviétique et à l’avènement du terrorisme islamiste qu’annonçaient déjà avec une remarquable intuition les SAS des années 70/80. Citons le n°59 : Carnage à Abu Dhabi, et le n°61 : Le complot du Caire, dans lesquels l’auteur modifie ou/et intervertit les informations, mais le lecteur informé peut aisément rétablir les termes exacts qui font passer du roman à la vérité.

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Un auteur qui « sentait » l’Histoire

Lire un SAS produit le double effet d’une découverte insoupçonnée dans un monde que l’on croit pourtant connaitre, accentuée par la peur et l’angoisse d’une violence prévisible sans savoir d’où elle viendra. Le lecteur devine qu’une partie de ce qu’il va découvrir est authentique, mais l’autre partie, celle dont il est incapable de la savoir inspirée ou non de faits réels, apparaît à ce point évidente qu’elle impressionne autant que la précédente. Le SAS n°193 : Le chemin de Damas – T1, décrit l’attaque d’un centre de commandement du régime syrien, à deux pas du palais présidentiel. Rien d’extraordinaire, si ce n’est la publication du roman un mois avant que le régime de Bachar el-Assad ne soit décapité par un attentat, bien réel celui-là, contre le bâtiment de la Sécurité nationale. Quasi prophétique ! Plus saisissant encore. En 1980, Villiers écrit Le Complot du Caire (SAS n°61), dans lequel des militants islamistes tentaient d’assassiner le président égyptien, Anouar Al-Sadate, un an avant que ce dernier le soit réellement.

Toutes ses histoires relèvent d’un vocabulaire décomplexé : le machisme est sans tabou, la violence sans œillère ; Gérard de Villiers était le dernier à employer certains mots,  épithètes et verbes désormais lissés par le politiquement correcte. Pute… Salope… Nègre… sont néanmoins des « courtoisies » utilisés par les plus grands romanciers dix-neuvièmistes, expressions que l’on retrouve également en Pléiade chez Jean Cocteau, Jean genet ou Raymond Queneau ; ce même vocabulaire fleuri qui, lorsqu’employé par Frédéric Dard devient une « truculence littéraire », mais est considéré comme une langue de bas étage chez Gérard de Villiers. Allez comprendre !

Homme de culture et génie de la dramaturgie

Au-delà de ses talents de reporter et de son flair géopolitique, Gérard de Villiers fut aussi et surtout un génie de la dramaturgie. Il savait mieux que personne construire une histoire, presque toujours introduite par une scène agressive, voire extrêmement violente. Pour exemple, l’intrigue des SAS n°56 : Opération matador, et n°190 : Ciudad Juarez, est introduite par un viol suivit d’un double meurtre ; notons aussi l’attentat terroriste du premier chapitre des SAS n°125 : Vengez le vol 800, et n°137 : La Piste du Kremlin ; en outre, nombre de ses histoires débutent par le passage à l’Ouest d’un transfuge soviétique, parmi lesquels l’exceptionnelle SAS n° 21 : Le bal de la comtesse Adler (plus beau titre de la série), et le SAS n°126 : Une lettre pour la Maison-Blanche.

Par ses études et son éducation issue de l’ancienne haute-bourgeoise blésoise, Gérard de Villiers était un homme de culture dont il glissait des références dans ses livres. Prenons deux repères cinématographiques parmi d’autres. Ceux des SAS n° 135 : SAS contre PKK, et n°137 : La piste du Kremlin, dans lesquels le chef de station de la CIA de Vienne s’appelle James Whale, référence au cinéaste des films Frankenstein (1931) et La Fiancée de Frankenstein (1935). Mais aussi dans le n°162 : Que la bête meure, où l’assassinat programmé du président vénézuélien Hugo Chavez, ramène au titre du film éponyme que Claude Chabrol réalisa en 1969. L’influence du septième art dans la construction des SAS est flagrante. Villiers utilise deux procédés éminemment cinématographiques. Soit il engage son histoire en partant d’un plan d’ensemble pour ensuite isoler un détail, exemple dans l’ouverture du SAS n°29 : Berlin Check-Point Charlie ; soit, à l’inverse, il part d’un détail pour l’élargir au plus vaste comme dans le SAS n°110 : Tuez Rigoberta Menchu. L’efficacité de l’écriture sans que le héros soit encore intervenu est alors maximale. Un autre aperçu est à découvrir dans les premières pages du SAS n°92 : Le tueur de Bruxelles, merveille d’images suggérées digne d’un Balzac qui aurait voyagé dans le temps.

 De pulpeuses couvertures immédiatement identifiables

La qualité des histoires, leur originalité à faire comprendre le monde, et la touche « porno-chic » ont largement contribué au succès de la série. N’oublions toutefois pas les jolies filles armées des pulpeuses couvertures immédiatement identifiables qui, elles aussi, ont grandement participé au succès du feuilleton durant un demi-siècle. Des illustrations à la fois provocantes et sobres, racoleuses mais élégantes, véritable symbole d’une Pop Culture à la française à laquelle participeront d’immenses photographes, dont Francis Giacobetti, réalisateur du film Emmanuelle 2, Helmut Newton (SAS n° 52 : Panique au Zaïre) avec Brigitte Lahaie allongée sur une soie rouge, et beaucoup d’autres parmi lesquels Thierry Vasseur, puis Christophe Mourthé qui saura créer une cohérence esthétique sur les 20 dernières publications à partir du numéro 181 : La liste Hariri.

Les collectionneurs s’arrachent aujourd’hui chaque édition originale. Certaines valent une petite fortune. Celle de Brigitte Lahaie par Helmut Newton, bien entendu ; également celle du numéro 4 : Samba pour SAS, avec la particularité d’une double édition sous deux illustrations différentes non créditées ; ou encore celles (rares) qui illustrent une des protagonistes du roman, comme la « religieuse » du numéro 73 : L’ange de Montevideo. Pourquoi un tel engouement ? Parce que jusqu’au décès de Gérard de Villiers, toutes les couvertures relevaient d’une photographie originale, alors que les rééditions post-mortem ont été faites avec des illustrations au rabais achetées dans une banque d’images internationale. Franchement ! Comment peut-on remplacer Helmut Newton par un crédit sans intérêt ?

Un hommage officiel en forme de pied de nez soviétique

Le 31 octobre 2013, Gérard de Villiers et SAS le prince Malko Linge meurent conjointement d’un cancer du pancréas dans une clinique privée du XVIe arrondissement de Paris. Le silence du ministre de la Culture de l’époque (dont le nom n’aura pas l’honneur de figurer dans cet article) est proprement scandaleux. La coutume veut qu’une communication officielle salue la mémoire d’un écrivain lorsqu’il décède, d’autant que Gérard de Villiers était de son vivant l’auteur français qui vendait le plus de livres, la TVA sur ses écrits rapportait une petite fortune à l’État ; mais non ! en guise d’éloge funèbre nous aurons ceci : « Il n’existe pas d’hommage systématique.  Faire des choix est donner du sens ». Traduction. Les opinions de Gérard de Villiers ne sont pas celles du gouvernement qui réfute son attirance assumée pour les croupes féminines, ses idées « rances» ou supposée l’être, bref ! nous n’avons que faire d’un homme blanc de plus de 50 ans du siècle dernier.

SAS Made in Hollywood

Personne n’est prophète en son pays. Peut-être la survie de Malko Linge viendra-t-elle des États-Unis où Gérard de Villiers fut couronné roi du roman d’espionnage d’anticipation. En effet. Quelques mois avant sa mort, alors qu’il travaillait à son 197e épisode, le pape du « roman de gare » fut mis à l’honneur par le New York Times Magazine, qui lui consacra un véritable panégyrique intitulé « The Spy Novelist Who Knows Too Much«  – « L’auteur de romans d’espionnage qui en savait trop« .

« De Villiers a passé le plus clair de sa vie à cultiver ses relations avec des espions et des diplomates, qui semblent apprécier de se retrouver, eux-mêmes et leurs secrets, transfigurés dans une fiction populaire (sous des noms d’emprunt). Ses livres renferment souvent des informations sur des projets d’attentats, des faits d’espionnage ou de guerre qui n’ont jamais été évoqués ailleurs. D’autres romanciers populaires, comme John le Carré et Tom Clancy, assaisonnent leur travail de quelques scénarios inspirés de la réalité et de quelques idiomes d’espions, mais les ouvrages de Gérard de Villiers sont en avance sur l’actualité et parfois même en avance sur les événements. »

S’en suivront des négociations hollywoodiennes pour le tournage d’une adaptation du SAS n°29 : Berlin Checkpoint Charlie, avec dans le rôle du prince Malko, un certain Michael Fassbender. Les bons livres font toutefois rarement les bons films, on a rarement décrit la subjectivité (de la mort, de la vie, de la politique…) d’une manière aussi intense que dans les SAS, et il sera difficile d’adapter au cinéma des œuvres constituées d’une psychologie intraduisible par l’image. Raison pour laquelle toutes les précédentes tentatives furent des échecs cinglants. Preuve que la série SAS est bel et bien de la littérature.

Le feuilleton littéraire le plus long jamais écrit par un même auteur

Quels que soient les reproches que l’on aura pu faire à Gérard de Villiers, et ceux qu’on lui fera encore, il n’en reste pas moins que les aventures du prince Malko sont l’une des créations phare de la littérature française ; plus longue série jamais écrite par un même auteur, les SAS attestent qu’il est possible de signer une œuvre littéraire sans faire de littérature ; on le savait déjà depuis Alexandre Dumas, si ce n’est que ce dernier avait des nègres, alors que Gérard de Villiers a écrit lui-même tous ses livres, en partie sur une machine à écrire boule-IBM de 1976. Pour preuve, les deux-tiers de ses manuscrits annotés de sa main ont été mis aux enchères par maitre Cornette de Saint Cyr.

Lira-t-on SAS dans un siècle ?  Valery Giscard d’Estain et Jacques Chirac n’ont jamais dissimulé leur goût pour les aventures de Malko…  Nicolas Sarkozy prétendait le lire… Vladimir Poutine, partie prenante de la dernière intrigue, a réclamé des livres dédicacés… Gérard de Villiers laisse en héritage l’une des plus fabuleuses analyse sociale-politique du XXe siècle : post-décolonisation, Guerre Froide, conflit israélo-palestinien, géopolitique de la drogue et ses multiples trafics, lutte contre le terrorisme, avènement de l’islamisme… Il faut très sérieusement recommander la collection intégrale à qui souhaite comprendre le monde dans lequel nous avons vécu. Oui. Gérard de Villiers sera lu dans un siècle. Son œuvre est intemporelle.

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« Je ne fais pas de littérature. J’écris des contes de fées pour adultes. Et j’essaie d’y mettre un peu de substance. »

Gérard de Villiers

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Quelques incontournables :

– SAS Berlin Check-Point Charlie – N°29 – 1973

Malko élabore un plan audacieux pour faire passer un transfuge (ancien prix Nobel) de Berlin-Est à Berlin-Ouest, alors que le Mur, quasi infranchissable, n’a jamais été autant surveillé. Une description au cordeau du Berlin de l’époque. Géographie. Ambiance sociale et politique. Tout y est.  — L’action se passe entre Berlin-ouest et Berlin-Est, notamment autour du mythique Check-Point Charlie.

– SAS L’Ange de Montevideo – N°31 – 1973

L’un des rares SAS où la mission de Malko se révèlera un échec, et le seul où il se rendra en Uruguay. L’histoire traite des Tupamaros, mouvement politique uruguayen d’extrême gauche subventionné par Cuba, prônant l’Action Direct et la guérilla urbaine. En réponse, les USA favoriseront un coup d’état militaire et l’installation d’une junte de 1973 à 1980. Bien qu’il s’agisse de deux histoires indépendantes, ce livre forme un diptyque avec le SAS n°39 : L’ordre règne à Santiago. – L’action se passe à Montevideo.

– SAS L’ordre règne à Santiago – N°39 – 1975

La seule fois où Gérard de Villiers s’attaquera de front au gouvernement d’une junte militaire. Il choisira celle d’Augusto Pinochet au Chili. Toutes les exactions politiques décrites sont basées sur des faits réels. Effroyable ! — L’action se passe à Santiago du Chili.

– SAS Le complot du Caire – N°61 – 1981

Dans cette histoire troublante, des militants islamistes assassinent le président égyptien, Anouar el-Sadate, un an avant son véritable assassinat. Villiers dira plus tard à ce propos : « Les Israéliens savaient que cela allait se produire, et ils n’ont rien fait.  » — L’action se passe au Caire.

– SAS Enquête sur un génocide – n° 140 – 2000

Explication limpide au sujet de « L’opération Turquoise » (1994) au Rwanda, destinée à sauver les Tutsis survivants, mais qui avait surtout permis aux génocidaires Hutus de s’enfuir vers le Congo voisin grâce à la protection de l’armée française trompée par les autorités politiques locales. Toute la trame historique est véridique. Glaçant !– L’action se passe entre le Kenya, la Tanzanie et le Rwanda.

– SAS Féroce Guinée – N°185 – 2010

Le marché de la cocaïne aux USA est de plus en plus difficile d’accès aux trafiquants colombiens ; les cartels ont besoin d’une nouvelle clientèle, ils se replient vers l’Europe avec une porte d’entrée surprenante : la Guinée. Cette théorie d’une nouvelle route de trafic via l’Afrique s’est avérée exacte par la suite. — L’action se passe entre la Colombie, le Maghreb et la Guinée-Bissau.

– SAS Ciudad Juarez – N°190 – 2011

L’un des SAS les plus violents. Drogue, trafic d’armes, collusion entre FARCS et Hezbollah… La scène d’entrée (viol, torture, double assassinat) est insoutenable. Villiers expose clairement pourquoi (selon-lui) tant de femmes sont retrouvées suppliciées à Ciudad Juarez, ville frontière américano-mexicaine où la corruption gangrène toutes les strates politiques et administratives. — L’action se passe entre Ciudad Juarez au Mexique, et El Paso au Texas.

Jérôme ENEZ-VRIAD

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