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Jours tranquilles à Paris
12 juin 2020

Au Pérou, l’oxygène se vend à prix d’or au marché noir

Amanda Chaparro (Lima, Correspondance)

C’est un « crime », une « trahison à la patrie ». Pilar Mazzetti, médecin et présidente du dénommé « commando Covid-19 » chargé de la lutte contre l’épidémie, n’a pas de mots assez durs pour qualifier la spéculation sur les prix de l’oxygène, tandis que le Pérou est confronté à une inquiétante pénurie de gaz médical et que pas loin de 10 000 patients sont actuellement hospitalisés. Deuxième pays le plus touché par le Covid-19 en Amérique latine en nombre de cas, après le Brésil, le Pérou a dépassé la barre symbolique des 200 000 malades et 5 903 morts au dernier bilan en date du jeudi 11 juin.

La demande d’oxygène dans les hôpitaux est de 40 % supérieure à la production disponible, selon le président du conseil des ministres, Vicente Zeballos. Actuellement, 216 tonnes d’oxygène sont utilisées chaque jour et il en manque 136 tonnes. Les besoins sont en constante augmentation. Le gouvernement calcule qu’ils seraient de l’ordre de 400 tonnes par jour, d’ici la fin du mois de juin. Des estimations qui cachent une réalité encore plus préoccupante. Selon Cesar Chaname, porte-parole de la sécurité sociale Essalud, c’est un « véritable tsunami » qui a déferlé sur le pays, avec une augmentation exponentielle de la demande de « 500 % à 600 % » depuis le début de la pandémie.

La pénurie a d’abord frappé la ville d’Iquitos en Amazonie – où des médecins avaient tiré le signal d’alarme il y a plusieurs semaines –, puis d’autres régions du nord du pays. Elle touche maintenant la capitale Lima, où vit un tiers de la population et qui concentre plus de 70 % des cas de malades du Covid-19. La semaine dernière, le gouvernement a annoncé que le Pérou était arrivé au maximum de sa production. A Lima, des images diffusées sur les chaînes de télévision nationale montrent des files d’attente de plusieurs dizaines de mètres devant des fournisseurs spécialisés. Les acheteurs sont prêts à patienter des heures, voire toute une nuit, pour se procurer de l’oxygène pour leurs parents malades. Le marché noir s’est développé et la spéculation va bon train. Selon le bureau du défenseur des droits, le prix du ballon d’oxygène de 10 m3 coûterait entre 3 500 et 6 000 soles, environ 900 à 1 500 euros. Un prix multiplié par dix par rapport au début de l’épidémie, dont le premier cas a été recensé le 5 mars. Toutefois, Cesar Chaname tempère : « Le marché noir représente seulement 2 % à 3 % de l’oxygène en circulation. »

Un rapport publié le 6 juin par le défenseur des droits, Walter Gutierrez, accuse le gouvernement du président Martin Vizcarra de ne pas avoir anticipé, alors qu’il avait été informé fin avril de la pénurie à venir. Jeudi 4 juin, le gouvernement a enfin décrété des mesures d’urgence. L’oxygène a été qualifié de « bien public » et de « ressource d’intérêt stratégique ». Le décret ordonne de donner la priorité à l’oxygène médical sur l’oxygène industriel. Mais ces déclarations arrivent tard et sont « insuffisantes », juge Walter Gutierrez, pour qui il faut des « mesures contraignantes ».

Avec la reprise de l’économie décidée en juin et le redémarrage de certaines activités stratégiques comme le secteur minier et la métallurgie, les besoins en oxygène industriel vont de nouveau augmenter et peser sur le secteur de la santé, s’inquiète le bureau du défenseur des droits. Le Pérou a annoncé l’importation de gaz médical à ses voisins colombien, équatorien et chilien. « Nous ne sommes qu’au début de la crise de l’oxygène, estime Ciro Vargas, médecin épidémiologiste et vice-président du Collège des médecins, il faut agir dans les plus brefs délais. »

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