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Jours tranquilles à Paris
13 juin 2020

Sexe - Le confinement a bouleversé l’industrie de la pornographie

pornographie

THE ECONOMIST (LONDRES)

Avec le confinement forcé par la pandémie de Covid-19, l’industrie de la pornographie a dû s’adapter. Des évolutions, déjà entamées depuis quelques années, comme les productions “maisons” sur Internet, ont été accélérées, constate The Economist.

La pornographie et la pandémie marchent main dans la main. Le secteur du porno est bien adapté à un monde confiné. Il a déjà en grande partie migré sur le Web et ses consommateurs s’isolent souvent volontairement. Aujourd’hui, comme le souligne Mike Stabile de la Free Speech Coalition (FSC), association de Los Angeles [qui milite pour le droit à la pornographie], une multitude de gens “sont bouclés chez eux et ont besoin de se défouler”.

Pour l’essentiel, la pornographie en ligne est gratuite. Ainsi, en avril, le trafic sur Pornhub, géant du Net, a augmenté de 22 % par rapport à mars. Mais ce trafic fait aussi les affaires de plus petits sites, qui doivent adapter leur modèle économique en conséquence.

Difficile de savoir exactement comment se porte le secteur. Gene Munster, associé gérant chez Loup Ventures, une société d’investissement américaine, estime que depuis le début de la pandémie les dépenses en pornographie sur la planète ont presque doublé. C’est peut-être une estimation haute.

La pandémie force l’évolution des pratiques

En effet, peu de producteurs de porno révèlent leur chiffre d’affaires, à la fois parce que beaucoup sont à capitaux privés et parce qu’aucun secteur ne veut qu’on sache qu’il profite de la solitude et d’autres maux. Andra Chirnogeanu, de Studio 20, une société de Bucarest qui présente des modèles habillés et nus en ligne, reconnaît que les bénéfices ont profité de la mésentente des couples et des ruptures précipitées par le confinement.

Les règles de distanciation physique ont obligé le porno à faire évoluer ses pratiques. Les restrictions destinées à ralentir la propagation du Sars-CoV-2 ont mis fin aux tournages de la plupart des sociétés de production. Les studios montent et diffusent des séquences qu’elles avaient en stock, mais cela ne durera pas éternellement.

La plupart des sociétés envoient du matériel (caméras, éclairage) à des acteurs qui vivent sous le même toit et peuvent donc se filmer chez eux. Pour les aider à filmer et à monter, la FSC produit des tutoriels en ligne. Mais le plus souvent les scènes qui en résultent offrent moins d’angles de caméra et, comme l’explique Mike Stabile, sont un peu “brut de décoffrage”.

Production maison

Les producteurs bien établis ont beau faire, le confinement favorise la concurrence des indépendants et de petites sociétés. De plus en plus, les acteurs se passent de producteurs en se filmant eux-mêmes sur leurs smartphones et en mettant en ligne ces productions maison, qui leur appartiennent, sur des sites web d’un nouveau genre qui accueillent des réseaux sociaux “pour adultes”.

Sur ces sites dits “premium”, les fans de 18 ans et plus prennent des abonnements payants pour regarder des acteurs. Ces sites prélèvent une part de la transaction (environ 20 % en général). Un système qui supprime les intermédiaires.

Et ça marche. Ella Hughes, une star britannique du porno, raconte qu’elle a cessé de tourner avec les producteurs traditionnels, car de très nombreux admirateurs sont maintenant prêts à payer 12,99 dollars par mois pour regarder des vidéos qu’elle tourne elle-même, chez elle, avant de les mettre en ligne sur un site “premium”, OnlyFans.

Certains abonnés paient, en plus, entre 40 et 500 dollars pour de courtes vidéos sur mesure d’Ella Hughes, qu’ils sont les seuls à pouvoir visionner. Récemment, un week-end, elle a réalisé dix de ces vidéos privées, en faisant payer plus cher pour prononcer le nom d’un fan ou en réalisant des fantasmes de domination. Presque tous les acteurs de porno, à l’en croire, vendent aujourd’hui des vidéos faites maison sur des sites web “premium”.

Les recettes tirées des échanges directs entre les acteurs et leurs fans sont en hausse depuis plusieurs années. Mais la pandémie de Covid-19 a accéléré la tendance. Il y a une dizaine d’années, les trois quarts des revenus des acteurs provenaient des sociétés de production qui rémunéraient leur travail sur les plateaux. Le quart restant était issu des transactions directes avec les fans et des ventes de produits dérivés.

À l’heure actuelle, ces ratios se sont inversés, explique un directeur de Private, un important producteur de pornographie ayant son siège à Barcelone. Les acteurs considèrent désormais ce travail produit professionnellement comme une publicité pour attirer du trafic sur leurs comptes de réseaux sociaux “premium”.

Transition accélérée vers le numérique

Or le trafic sur les sites “premium” monte en flèche, ce qui incite toutes sortes de nouveaux acteurs à ouvrir des comptes, dans l’espoir de trouver un souffle nouveau (et rémunérateur) sur Internet. Dans les jours qui viennent, le Berlin Strippers Collective, un groupe de danseuses de clubs qui sont maintenant fermés, filmeront leur premier spectacle [il a été mis en ligne le 14 mai], un mélange de strip-tease classique et de “stripperature”, avec notamment un numéro au cours duquel des membres du collectif se suspendront à l’envers sur une barre verticale tout en lisant du Hermann Hesse et du Edgar Allan Poe.

Cette vidéo sera mise en ligne sur le nouveau compte du collectif, sur Patreon, un site web “premium” [de financement participatif] qui accueille des artistes classiques et pour adultes. L’accès sera facturé entre 5,40 et 15 dollars par mois.

Certains acteurs jugeront délicate cette transition vers le numérique. Mia, une strip-teaseuse du collectif de Berlin, prévoit des difficultés. Elle regrette de ne pas pouvoir promouvoir son projet en ligne sur ses réseaux sociaux habituels sans que sa famille en Espagne découvre son activité. Au-delà de cela, comme l’observe Edie, une autre effeuilleuse du collectif, les images en ligne peuvent être copiées de manière illicite et publiées ailleurs, parmi des contenus douteux.

Quant aux personnes qui se livrent à la prostitution, elles devraient être à la peine. Le confinement en France a conduit un tiers des quelque 35 000 prostitué(e)s que compte le pays à chercher à travailler en ligne, généralement via le streaming en webcam, estime le Strass (Syndicat du travail sexuel), à Paris. Une sur dix seulement s’en sort, estime la représentante du syndicat, qui se fait appeler Amar Protesta.

Marché rémunérateur

Certains modèles n’ont pas le bagout ou d’autres compétences requises pour satisfaire le client par webcam. Mais une multitude de femmes et parfois d’hommes, qui viennent de perdre leur emploi, s’y essaient. Désir-Cam, un site relativement petit qui héberge 3 200 hôtesses érotiques, facturant généralement 50 euros le quart d’heure de show privé, a embauché 128 femmes en avril, soit plus du triple du rythme mensuel normal, explique son fondateur, André O’Bryan, qui réside à Sydney.

En avril, les recettes ont plus que doublé par rapport au mois de février. Greed-ella, une hôtesse de Désir-Cam qui habite près de Lyon, assure que ses revenus ont récemment quadruplé. Certaines des “camgirls” du site gagnent aujourd’hui 12 000 euros par mois.

Par ailleurs, le trafic sur les webcams augmente sur des sites bien plus importants (et généralement meilleur marché), comme Chaturbate, MyFreeCams ou Streamate, si bien que le streaming porno a le vent en poupe. Pour recruter davantage de talents, la société BongaModels propose à ses acteurs 5 % des recettes que générerait une recrue découverte par leurs soins.

La plupart des modèles travaillent de chez eux, mais certains “studios webcam”, dans des bâtiments avec des dizaines de plateaux de tournage installés dans des chambres à coucher, ont réussi à poursuivre le streaming 24 heures sur 24 pendant le confinement.

Croissance et diversification de la main-d’œuvre

Pour y parvenir, Studio 20, une société roumaine qui possède 24 studios de webcams, comportant chacun entre 10 et 32 plateaux, en Colombie, en Hongrie et ailleurs, a transformé certains de ces lieux en espaces habitables dans lesquels des acteurs ont accepté d’emménager.

Pour avoir une idée de ce qui se prépare, penchons-nous sur FanCentro, un site web qui possède des bureaux à Barcelone et à Limassol, à Chypre – et qui propose “le fin du fin en matière de distanciation physique”. Ces deux derniers mois, plus de 19 000 nouveaux modèles ont rejoint le site : ils sont maintenant plus de 191 000 au total.

Kat Revenga, de FanCentro, attribue cette hausse de l’activité aux faillites d’entreprises, et aussi à la décision de la société de renoncer pour l’instant à une baisse des gains des nouveaux modèles. D’ici six mois, le site compte proposer une option qui permettra aussi aux modèles de faire du streaming érotique, seuls ou avec des partenaires.

Rachel Stuart, une doctorante à l’université du Kent dont les travaux portent sur le travail sexuel, estime qu’en matière de recettes les shows sur webcam ont déjà éclipsé les productions traditionnelles.

Mauvaise nouvelle pour les militants antipornographie. Car, comme le souligne Andra Chirnogeanu, de Studio 20, le recrutement est en hausse et la moitié des nouvelles recrues débutent dans cette activité. La pandémie n’aura pas fait qu’accroître la consommation : elle augmente et diversifie la main-d’œuvre.

Source : The Economist

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