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Jours tranquilles à Paris
31 mai 2020

Pour en finir avec le revenge porn

revenge porno

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Avec la pandémie de Covid-19, le cyberharcèlement à caractère sexuel a augmenté. Que vous soyez victime, proche de victime ou harceleur, la chroniqueuse de la Matinale Maïa Mazaurette rappelle ce qu’il faut savoir pour que cesse ce fléau.

LE SEXE SELON MAÏA

Cyberharcèlement, chantages à la webcam, comptes « fisha » sur lesquels des ados « affichent » d’autres ados, revenge porn (quand un individu se venge d’une personne en divulguant des contenus pornographiques, dans le but de l’humilier) : la sexualité en temps de pandémie, malheureusement, ne nous apporte pas que du réconfort. L’association E-Enfance rapporte ainsi un doublement des signalements depuis le début du confinement, et les profils des victimes font froid dans le dos :

- Les garçons (typiquement des collégiens de 14 ans) sont le plus souvent victimes d’escroqueries. Une séduisante demoiselle les aborde sur les réseaux sociaux, la discussion olé-olé se poursuit sur une plateforme vidéo, la masturbation du jeune homme est enregistrée. Sous peine de payer, les escrocs menacent d’envoyer la vidéo compromettante à tous les contacts de leur victime.

- Les filles (typiquement des lycéennes de 15 ans), se retrouvent associées à des contenus sexuels existants (revenge porn), ou même inexistants, auxquels on ajoute leurs identifiants (nom, prénom, numéro de portable, adresse). Les réseaux sociaux fonctionnent alors comme les murs des toilettes de l’école. La dénonciation est parfois liée à un lieu (quartier, département, cité, etc.) que l’auteur cherche à dénigrer, laissant entendre que toutes les filles de l’endroit sont des « putes ».)

Comme le démontre régulièrement l’actualité, ces formes de harcèlement touchent aussi les adultes. Selon l’enquête Zavamed de 2018, 19 % des hommes et 15 % des femmes en Europe ont vu certaines de leurs photos « fuiter ». Le phénomène traverse les genres, les âges, les classes sociales et les nationalités. Cette globalisation, qui a conduit l’Unicef à tirer la sonnette d’alarme, nous place toutes et tous en situation d’agir. Nous pouvons, collectivement, éviter ces drames dont les conséquences peuvent aller jusqu’au suicide.

Voici quelques rappels utiles.

Si vous êtes victime

L’idée d’être confronté(e) au problème vous semble improbable ? A voir ! N’importe qui peut se retrouver victime de revenge porn… y compris sans implication personnelle : une personne mal intentionnée peut prendre des photos dans un vestiaire, ou pendant votre sommeil. Elle peut aussi voler le téléphone de votre partenaire, ou le vôtre.

Il existe cependant une typologie de la victime « idéale ». Selon le rapport sur la santé des jeunes en Europe, publié en mai par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’âge critique se situe à 13 ans, avec les filles en première ligne. Les dynamiques de genre sont prévisibles : 12 % des garçons et 4 % des filles disent avoir harcelé quelqu’un, tandis que 12 % des garçons et 14 % des filles disent avoir été harcelés. Cette concentration par classe d’âge explique l’augmentation constatée depuis le début de la pandémie : les enfants, adolescents et jeunes adultes ne sont pas à l’école, leur temps d’écran et leur ennui a augmenté, l’effet d’entraînement fait le reste.

Comment se retrouve-t-on, à 13 ans, à envoyer des « nudes » ? C’est ce que décrivent deux chercheurs de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), Yaëlle Amsellem-Mainguy et Arthur Vuattoux, dans Les Jeunes, la sexualité et Internet, à paraître le 9 juin (éd. François Bourin).

Selon eux, les années collège sont les plus risquées (au lycée, on a moins à prouver et on a davantage conscience des risques). Les garçons demandent avec une insistance extrême des « nudes », pour prouver aux autres garçons qu’ils ont des relations sexuelles et qu’ils font partie des « grands ». Les « nudes » permettent de faire grimper sa popularité tout en démontrant qu’on n’est pas gay (l’homophobie se porte bien dans les cours de récré).

Les filles doivent se prêter au jeu, sous peine de passer pour des coincées. Elles savent qu’elles seront jugées… mais les chantages affectifs (« tu ne me fais pas confiance ») l’emportent sur la raison. Petite recommandation : cette logique est brillamment illustrée dans le podcast « Mise à nudes », de Programme B, diffusé en mars.

Si vous êtes victime, commençons donc par rappeler que vous n’êtes coupable de rien. Vous avez le droit de prendre des photos de vous dans le plus simple appareil, vous avez le droit de les envoyer… sans consentir à leur diffusion. Légalement, votre implication n’est pas un élément qui joue contre vous.

Bien sûr, il peut paraître insurmontable de dénoncer une personne de son entourage – comme l’a démontré le mouvement #metoo, la culture française dégaine le mot « délation » plus vite que son ombre. Rappelons donc que « dénonciation » et « délation » veulent dire des choses différentes, et que quand quelqu’un menace votre intégrité, vous avez le droit d’être protégé(e).

Outre la possibilité de déposer une plainte, vous pouvez appeler le site NetEcoute.fr, qui propose un tchat et une ligne téléphonique (0800 200 000, service et appel gratuits).

Si vous êtes parent ou ami de victimes (ou de victimes potentielles)

La prévention est l’affaire de tout le monde : inutile de renvoyer la responsabilité à l’école, aux médias, à Google, aux copains ou à la police. Inutile de jouer le fatalisme en décrivant l’adolescence comme une jungle, la sexualité comme un champ de bataille et la cruauté comme un fait naturel. Inutile aussi de relativiser en évoquant un futur dans lequel cette situation sera banale (le futur fait une belle jambe aux victimes).

Pour faire de la prévention, commencez tôt et ratissez large. Evoquez les rapports de pouvoir : est-on en mesure de résister à la pression quand on est amoureuse, ou quand on joue sa crédibilité dans la cour de récré ? Embrayez ensuite sur les dynamiques de genre : des garçons qui se planquent derrière leurs « besoins » ont bien compris qu’ils pouvaient naturaliser leurs envies. Ils ont également intériorisé les discours sociaux (parentaux ?) voulant que les hommes ont besoin de voir, et que les femmes ont besoin de se montrer… Autant de stéréotypes à déconstruire (bon sang de bois, nous sommes en 2020).

Résistez à la tentation de n’éduquer que les filles. Certes, elles se retrouvent doublement à risque : elles font face à beaucoup plus de demandes de « nudes » et quand elles acceptent, elles sont jugées beaucoup plus sévèrement. Les garçons ont besoin de comprendre ces deux poids deux mesures, afin d’éviter de les reproduire : s’ils ont l’habitude d’envoyer des dick pics sans subir aucune conséquence, ils n’ont peut-être pas intégré les répercussions possibles pour leurs camarades.

Enfin, si la situation est déjà advenue, ne blâmez pas les victimes en remettant en question leur intelligence (le désir et l’amour sont des états modifiés de conscience). Abstenez-vous notamment d’entonner le petit air du « c’était prévisible ». Les victimes ont besoin d’une écoute et d’un soutien inconditionnel : il n’y a pas de « partage des responsabilités » qui tienne.

Si on vous a envoyé ce genre de photos ou de vidéos

Le revenge porn existe parce que des personnes partagent ces contenus… et parce que d’autres personnes les regardent, prétendent s’en émouvoir, jugent, moquent, repartagent, se permettent des commentaires déplacés, font des captures d’écran, etc. Ne pas être l’instigateur premier peut donner l’impression de n’être qu’un spectateur passif – alors même que seule la dynamique de groupe permet à ce fléau d’exister.

Si vous recevez ces contenus, mettez-vous immédiatement du côté des victimes en proposant de l’aide et de l’écoute… et faites en sorte que votre engagement soit connu (votre soutien privé lors d’un événement public est insuffisant). En parallèle, demandez la suppression des images, rappelez à l’envoyeur non seulement la loi (on en parle juste après) mais aussi les règles les plus élémentaires de la vie en société. Si vous ne faites rien, vous êtes complice.

Si vous êtes coupable

Premier rappel : le revenge porn est un délit. L’article 226-2-1 du code pénal instaure des peines de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende. Même sévérité dans les cas de cyberharcèlement ! Les peines encourues dépendent de l’âge des différentes personnes concernées : un adulte harcelant un(e) mineur(e) de 15 ans risque trois ans de prison et 45 000 euros d’amende, un mineur au maximum 18 mois derrière les barreaux et 7 500 euros d’amende.

Pourquoi se rend-on coupable ? Selon Yaëlle Amsellem-Mainguy et Arthur Vuattoux, les contenus sont partagés par vengeance, par ennui, par désinvolture, mais aussi par volonté de contrôle (si un garçon menace de diffuser les photos d’une fille, cette dernière peut être forcée à en envoyer d’autres ou à accepter des rapports sexuels). Cette analyse dessine le portrait d’une personne ignorante au mieux, manquant d’empathie au pire.

Si vous vous êtes rendu coupable, commencez donc par là : pourquoi n’ai-je pas pensé à la souffrance de l’autre ? Comment se fait-il que je me fiche de cette souffrance ? Et bien sûr : comment me faire pardonner ?

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