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Jours tranquilles à Paris
14 juin 2020

A Hongkong, dans les petits papiers de Londres

Par Anne-Sophie Labadie, correspondante à Hongkong — Libération

Dans le viseur de Pékin et de sa loi anti-subversion, les habitants de la région semi-autonome renouvellent en masse leurs passeports britanniques d’outre-mer, obtenus après la rétrocession, pour pouvoir éventuellement fuir.

Longtemps, ils ont moisi au fond des tiroirs, délaissés comme d’inutiles documents de voyage. Mais aujourd’hui, les passeports britanniques d’outre-mer (British National Overseas, ou BNO) deviennent des tickets pour l’exil, des pis-aller que s’empressent d’acquérir des Hongkongais anéantis par la perspective d’être surveillés par l’œil de Pékin une fois la loi anti-subversion appliquée.

«Je ne l’avais pas renouvelé depuis 2007, il ne me servait à rien vu que le passeport [de la région administrative spéciale] de Hongkong nous permet d’aller dans beaucoup de pays sans visa», explique Dan, 40 ans. Mais en 2014, après les manifestations monstres, «je l’ai renouvelé, car j’ai compris que le gouvernement ne nous écoutait déjà plus, et malheureusement, il va peut-être m’être utile aujourd’hui».

L’hostilité au gouvernement central communiste s’est muée en révolte et, pour faire taire les opposants, Pékin veut imposer très vite sa loi sur la région semi-autonome. En réponse, Londres a ouvert ses bras aux quelque 3 millions de Hongkongais éligibles selon lui au BNO, dont les droits seraient élargis à celui de travailler et de rester pour une période d’un an renouvelable.

«On se réjouit au moins de savoir que quelqu’un nous tend la main. Et je la prends cette main», réagit Chow, salariée de 48 ans, qui ne sait cependant pas si ni quand elle prendra cette issue de secours. Elle attend de connaître le contenu de la loi et ses modalités d’application. La presse locale évoque déjà la création d’une unité de police spéciale chargée de collecter des renseignements et d’enquêter. «Un projet vraiment létal», selon Chow, mais qui, claironnent les autorités locales, a cependant un large soutien populaire, si l’on en croit les 3 millions de signatures d’une pétition lancée par ces dernières et les treize manifestants qui ont ostensiblement déchiré dimanche leur BNO (dont un périmé) devant le consulat du Royaume-Uni pour dénoncer l’ingérence britannique.

«Chèque en bois»

Pékin a beau assurer que la stabilité reviendra, les projets de départ flottent pesamment dans l’air. En septembre déjà, un sondage de l’Université chinoise de Hongkong révélait que 42 % des habitants souhaitaient émigrer et, en 2019, plus de 120 000 demandes de renouvellement de BNO ont été effectuées. «On attend avant de partir de voir jusqu’à quel point nos libertés d’expression et de rassemblement vont être étouffées par le Parti communiste», explique Lo. «Mais j’ai 49 ans. Qui voudra de moi au Royaume-Uni, où c’est déjà la crise ? L’offre de Johnson est peut-être un chèque en bois», s’interroge celui qui préférerait, quitte à s’exiler, «un train de vie plus doux et moins cher en Asie.»

«Les Hongkongais ont bien compris qu’avec le Brexit et le départ des Européens, ils seront utiles pour pourvoir les postes et louer les maisons. Tout le monde peut bénéficier de cette dynamique», souligne Kelvin Lam, élu local. Mais «la principale question est de savoir si le BNO sera aussi accordé aux enfants des détenteurs». Seules les personnes nées avant la rétrocession, en 1997, ont droit au document. Or «les jeunes auraient dû avoir la priorité car ils sont en première ligne face à la police», rappelle Lo. Ils sont aussi dans le collimateur des autorités. Sur les plus de 9 000 arrestations liées aux manifestations, près de 20 % sont des mineurs et risquent jusqu’à dix ans de prison pour «émeute». «Mon fils de 15 ans continue de manifester, je n’arrive pas à l’en empêcher. Ça va devenir vraiment très risqué, et je partirai peut-être pour le protéger, en espérant que les autorités britanniques lui donneront aussi des papiers», témoigne Dan.

«Visa doré»

Les jeunes avaient constitué le gros de la deuxième vague de migration après l’échec des manifestations pro-démocratie de 2014, la première vague, massive, ayant été déclenchée par la peur du retour dans le giron chinois en 1997, rappelle John Hu, de l’agence d’immigration Migration Consulting. Le seul 1er avril 1996, dernier jour d’inscription pour les BNO, les autorités avaient dû ouvrir un stade pour permettre aux quelque 35 000 candidats de patienter.

Selon John Hu, nous assistons aujourd’hui à une troisième vague, qui touche cette fois toutes les tranches d’âge et s’annonce «historique», même si le «on attend de voir» prédomine. Son agence a ainsi vu son activité multipliée par cinq depuis l’annonce par Pékin, le 21 mai, de la promulgation imminente de la loi anti-subversion. «Le Royaume-Uni n’est pas la destination favorite parmi les pays anglophones, même si les universités sont bonnes», car le niveau de vie élevé et certains types de visas (d’affaires et pour les start-up) sont difficiles à acquérir. A titre d’exemple, il faut débourser au moins 2,23 millions d’euros pour un «visa doré» (permis de séjour accordé contre des investissements locaux) au Royaume-Uni, 500 000 au Portugal. Des prix inabordables dans les deux cas pour de nombreux Hongkongais, dont un sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.

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