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Jours tranquilles à Paris
16 juin 2020

Face à la Chine, le spleen des Hongkongais

Florence De Changy

La population perd l’espoir de réussir à préserver ses libertés, tandis que Pékin resserre son étreinte sur la région

HONGKONG - correspondance

En repensant aux douze derniers mois au cours desquels Hongkong a connu le plus large mouvement de protestation politique de son histoire, les mots que choisissent les Hongkongais sont souvent les mêmes : lassitude, fatigue, désespoir, mélancolie, découragement, impasse, « à quoi bon ? ». Ou, plus prosaïquement : « On est foutus »…

« Il y a un an, j’étais très motivée. Sentir que nous étions tellement solidaires, tellement unis, nous pensions vraiment que notre détermination allait gagner », affirme Shirley Hui, mère célibataire qui importe des produits de beauté américains, et qui était dans la rue, le 16 juin 2019, avec son fils de 12 ans. Mais, aujourd’hui, les mêmes Hongkongais ont perdu espoir. « Comme tout le monde, je voudrais plus que jamais que Hongkong reste Hongkong. Mais, quand vous regardez ce qui s’est passé en un an, force est de constater que la situation n’a fait qu’empirer », ajoute Shirley.

Le bilan de cette année de mobilisation magistrale est mitigé. Certes, les manifestants ont obtenu l’abandon formel du projet de loi controversé à l’origine du mouvement, concédé le 4 septembre 2019 par Carrie Lam, la chef de l’exécutif. Mais ils ont payé très cher cette victoire. La punition est tombée fin mai, avec l’annonce que le Parlement chinois allait imposer à Hongkong une loi de sécurité nationale qui semble bien, avant même que l’on en connaisse les détails, vouée à faire taire toute velléité de contestation. On n’affronte pas Pékin impunément…

Pour beaucoup, cette nouvelle loi est l’estocade finale, alors que le mouvement est déjà affaibli. « La voix de la raison me dit qu’il faut faire le dos rond pour le moment. Même si l’on tient à nos libertés, ce n’est pas le bon moment pour se battre contre la Chine. Et nous allons tous beaucoup souffrir économiquement. L’avenir n’est pas très beau à regarder », déclare en soupirant Jeff Lau, assistant chez un gestionnaire de fonds, qui ajoute, en riant : « Mais je suis peut-être influencé par ce que j’entends dire par mon patron, qui est très “bleu” [pro establishment]. »

« Cauchemar »

Par contraste avec le spleen actuel, il y a seulement un an, les Hongkongais étaient tout feu tout flamme. Ils s’étaient découverts unis et portés par leur détermination commune de ne pas laisser passer au Parlement local un projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine. Ils affichaient ainsi leur volonté de résister à l’emprise chinoise. Après une première manifestation en blanc le dimanche 9 juin, qui avait réuni 1 million de personnes (déjà un record historique), c’est une marée humaine de 2 millions de personnes, en noir, cette fois, qui était sortie dans la rue le 16 juin.

Entre ces deux manifestations colossales, plusieurs événements importants avaient fait monter la colère des citoyens. Carrie Lam avait d’abord confirmé, au soir du 9 juin, son intention de faire adopter, coûte que coûte, son projet de loi au Parlement trois jours plus tard. Puis le 12 juin, jour théorique du passage du texte, la police avait eu la main très lourde pour disperser, à grand renfort de gaz lacrymogènes et de nouvelles armes qu’elle maîtrisait mal, les manifestants qui bloquaient l’accès au Parlement ainsi qu’un rassemblement autorisé de plusieurs milliers de personnes, ce qui choqua l’opinion publique. Enfin, le 15 juin, tout près du siège du gouvernement et peu après l’annonce par Carrie Lam du retrait du projet de loi controversé (et non son abandon), un jeune vêtu d’un ciré jaune s’était jeté dans le vide, du parapet d’un immeuble où il avait accroché des slogans politiques, donnant un ton tragique à cette crise et plaçant le défilé du 16 juin sous le signe du deuil.

A l’occasion du premier anniversaire de la mort de Marco Leung Ling-Kit, dont la silhouette est devenue l’un des symboles du mouvement, son père a appelé les jeunes à éviter les confrontations physiques avec la police. « Sauvez votre corps et votre âme pour pouvoir continuer à avancer », leur a-t-il déclaré. La marche du 16 juin portait ainsi en elle tous les éléments de la crise historique qui allait suivre : le désespoir de la jeunesse et la frustration des Hongkongais de ne pas être écoutés par leur gouvernement, l’ambition de résister à une assimilation trop rapide à la Chine et la défiance vis-à-vis d’une police jugée « brutale ». Depuis, cette dernière idée a évolué : les Hongkongais dénoncent désormais un « Etat policier ». « C’est comme un cauchemar dont vous voudriez sortir, mais vous savez qu’il n’y a pas d’autre réalité, déclare Victor Yip, 25 ans.Notre futur, c’est ce cauchemar. »

Mais les dérives violentes du mouvement, au cours des mois, lui ont aussi fait perdre des soutiens. Récemment, le discours de certains manifestants s’est en outre radicalisé avec l’apparition de slogans comme « L’indépendance est la seule issue » ou « Brûlons tous ensemble ». Selon un sondage réalisé par l’université chinoise de Hongkong pour Ming Pao, le journal de référence dans la région, la population est aujourd’hui nettement divisée : 39 % sont favorables à la poursuite du mouvement avec de nouvelles méthodes, 39 % sont contre, et 20 % sont indécis. Ce sondage confirme par ailleurs une corrélation presque parfaite entre âge et engagement : plus les Hongkongais sont jeunes, plus ils soutiennent la mobilisation et plus ils sont radicaux. Ils sont ainsi 72 % des 15-24 ans, contre 20 % des plus de 60 ans, à se dire favorables à la poursuite du mouvement. Pour le professeur Francis Lee, qui a dirigé ce sondage, cette proportion dans le groupe le plus motivé (adolescents et jeunes adultes) montre que la répression a eu son effet.

D’abord pris de court et débordés pendant les premiers mois du mouvement, lequel a brillé par son agilité et sa créativité, le gouvernement et la police sont désormais passés à la vitesse supérieure dans l’anticipation et la répression des manifestations. Le gouvernement local a aussi adopté de nouvelles méthodes de propagande. La radio publique diffuse par exemple à présent des messages de dissuasion avec bruits de sirène et de verre cassé, condamnant la violence des manifestants et rappelant à chacun que Hongkong est une société qui aime l’ordre… Nombre de Hongkongais soupçonnent d’ailleurs la police d’infiltrer les manifestations pour les faire dégénérer et se demandent que penser des annonces alarmistes de la police qui découvre régulièrement du matériel pour explosifs. « C’est fait pour faire peur et pour justifier leurs abus », nous affirme un ancien policier devenu manifestant. Il pense que : « Hongkong a fait un grand pas en avant en un an car elle a pris conscience du danger qui l’attend ».

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