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Jours tranquilles à Paris
30 juin 2020

Décryptages - Qu’est-ce que le « R0 », le taux de reproduction du virus ?

Par Gary Dagorn

EN BONS TERMES – Paramètre très surveillé dans une épidémie, cet indicateur épidémiologique doit être interprété avec prudence.

Alors que l’on s’interroge sur le risque de rebond de l’épidémie de Covid-19, le R0 est l’une des valeurs les plus surveillées en France et à l’étranger. Ce chiffre, qui est l’un des principaux indicateurs utilisés par les épidémiologistes, doit être interprété avec précaution.

Le R0, un indicateur reposant sur trois facteurs

Prononcé « R zéro », le R0, ou nombre de reproduction de base, indique le nombre moyen de nouveaux cas d’une maladie qu’une seule personne infectée et contagieuse va générer en moyenne dans une population sans aucune immunité (on appelle les gens sans immunité des personnes susceptibles).

Le R0 du Covid-19 était estimé début 2020, d’après les données de l’épidémie en Chine, à 3,28 en moyenne, un chiffre calculé d’après douze estimations différentes dans une revue de la littérature publiée dans le Journal of Travel Medicine. Cela signifie qu’en Chine, une personne infectée par le coronavirus SARS-CoV-2 aurait infecté en moyenne 3,28 nouvelles personnes.

Le R0 dépend principalement de trois facteurs :

la durée de la contagiosité après infection ;

la probabilité d’une infection après un contact entre une personne infectée et une personne susceptible ;

la fréquence des contacts humains.

Plus ces trois facteurs sont élevés, plus le R0 sera important. Si celui-ci reste inférieur à 1, l’agent pathogène infectera moins d’une personne en moyenne par cas, et finira par disparaître. En revanche, si le R0 est supérieur à 1, cela signifie que le pathogène réussira à infecter davantage d’hôtes, provoquant une épidémie.

Le Re, un taux « effectif » qui change durant l’épidémie

En parallèle du R0, il existe une variante qu’on appelle le nombre de reproduction effectif, ou Re (ou Rt). Celui-ci désigne le nombre de nouveaux cas qu’une seule personne infectieuse va générer en moyenne à un instant T dans une population composée à la fois de personnes susceptibles et de personnes immunisées.

Alors que le R0 désigne le taux de reproduction au tout début d’une épidémie, le Re est un taux de reproduction qui évolue pendant l’épidémie en fonction des mesures de contrôle (confinement, distanciation physique, mesures d’hygiène…). Ainsi, lorsque la presse évoque un « R0 qui remonte » dans une ou plusieurs régions, c’est un abus de langage, car il s’agit en fait du Re.

Ce taux peut être constamment recalculé afin d’estimer la dynamique de l’épidémie et de projeter son évolution. Le but des autorités sanitaires est de faire baisser au maximum ce taux et de le maintenir en dessous de 1 afin de contrôler l’épidémie, puis de la stopper. En France, ce taux effectif a été largement réduit par les mesures de distanciation physique prises depuis mi-mars, comme en témoignent ces données.

Ce taux de reproduction effectif peut rebondir, parfois artificiellement, sans que la situation épidémique ne connaisse d’évolution. Une campagne de dépistage massive risque de faire croître le nombre de cas détectés sur une période et faire remonter le Re simplement parce que l’on aura une meilleure mesure de l’étendue de l’épidémie. Le taux de reproduction n’est donc pas un indicateur suffisant et doit s’apprécier aux côtés d’autres données.

Un concept épidémiologique relativement moderne

Le concept est créé par les démographes à la fin du XIXe siècle, où il est appelé « taux net de reproduction ». Il désigne alors le taux d’accroissement ou de déclin d’une population.

Ce type de décompte est introduit en médecine par Sir Ronald Ross, médecin britannique et spécialiste du paludisme, qui démontre en 1911, avec un simple modèle, que la progression de la maladie peut être freinée efficacement une fois que la population de moustiques descend sous un seuil critique. Ross est alors l’un des premiers épidémiologistes à proposer un modèle mathématique.

Mais le concept du R0 est plus précisément défini en 1952 par George MacDonald, un médecin britannique lui aussi spécialiste du paludisme, pour décrire la transmission de cette maladie mortelle qui deviendra une priorité pour l’Organisation mondiale de la santé au milieu des années 1950. Plus tard, en 1975, l’Allemand Klaus Dietz et l’Américain Herbert W. Hethcote vont contribuer à élargir la notion de R0 aux maladies contagieuses et à populariser son usage comme une « métrique » précieuse dans la compréhension et l’anticipation des épidémies.

Des valeurs à prendre avec précaution

Il faut cependant bien comprendre que R0 et Re sont des valeurs difficiles à estimer, elles varient dans le temps et sont donc fréquemment réactualisées.

Le taux de reproduction d’une épidémie est estimé grâce à des modèles mathématiques complexes qui tentent de reproduire les comportements humains de façon plus ou moins simplifiée. Les résultats de ces modèles sont très dépendants des nombreux « réglages », c’est-à-dire des valeurs que les chercheurs sont contraints de donner au modèle : pyramide des âges, migrations, fréquence des contacts humains, durée de la contagion, part d’asymptomatiques, etc.

Or, « bon nombre des paramètres ne sont que des suppositions ; les vraies valeurs sont souvent inconnues ou difficiles, voire impossibles, à mesurer directement », rappelle Paul Delamater, géographe spécialiste des questions de santé publique à l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill, dans un article paru dans Emerging Infectious Diseases en janvier 2019.

Le R0 dépend donc de nos connaissances de l’agent pathogène, mais aussi des choix des modélisateurs. Ce qui explique la variété de valeurs pour une seule maladie, voire pour une même épidémie. Le taux de reproduction dépend aussi des époques et des sociétés dans lesquelles l’épidémie se déclare. « Le R0 est fonction du comportement social et de l’organisation humaine autant que des caractéristiques biologiques intrinsèques des agents pathogènes », insiste Paul Delamater.

C’est ainsi que le R0 de l’une des maladies les plus contagieuses et les plus connues de l’homme, la rougeole, a longtemps été estimé entre 12 et 18 sur la base de données acquises lors des épidémies américaines entre 1912 et 1928 et britanniques entre 1944 et 1979. Mais une revue de la littérature publiée en 2017 dans The Lancet a mis en évidence une plus grande variété d’estimations, selon les époques et les pays. Sur les 58 estimations retenues par les auteurs, seules 15 sont comprises entre 12 et 18.

Concernant le SARS-CoV-2, le coronavirus responsable de la maladie Covid-19, les estimations du R0 réalisées début 2020 variaient de 1,4 à 6,49, un intervalle conséquent lui aussi.

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