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Jours tranquilles à Paris
2 juillet 2020

Décryptages - La Chine veut éradiquer la mentalité libérale et le manque de patriotisme des Hongkongais

Par Florence de Changy, Hongkong, correspondance

Alors qu’entre en vigueur une loi de sécurité nationale, Pékin cherche à prendre le contrôle des esprits, et cible en particulier la culture, l’éducation et les médias, s’appuyant pour cela sur tous ses relais.

L’exposition-spectacle intitulée « Histoire de la première année » et retraçant les douze derniers mois de manifestations antigouvernementales devait ouvrir, dimanche 28 juin, dans la grande salle municipale de Yau Tong, quartier mi-industriel, mi-résidentiel de Hongkong.

La région administrative spéciale a été secouée depuis juin 2019 par le plus virulent mouvement de contestation politique depuis son retour dans le giron chinois, en 1997. Des artistes plasticiens mais aussi des musiciens devaient participer à l’événement ; des débats entre personnes d’avis opposés étaient prévus, dans une ville qui s’enorgueillissait de sa liberté d’expression face à la Chine continentale.

Mais vendredi, deux jours avant l’ouverture, l’organisateur et conseiller du district, Kung Chu-ki, 29 ans, a reçu un appel du département de l’intérieur lui indiquant que l’exposition-spectacle n’était plus autorisée. « A l’approche de l’adoption de la loi de sécurité nationale, le gouvernement a intimidé la population par tous les moyens possibles, en donnant l’impression que le seul fait de parler des manifestations et de réfléchir à leur sens était déjà interdit… », se désole cet ancien start-upeur qui, depuis sa victoire aux élections de district de novembre 2019, fait de la politique à plein temps.

Ils sont nombreux comme lui à sonner l’alerte face à la campagne mêlant censure et propagande dans laquelle s’est lancé le gouvernement pour tenter de reprendre le contrôle du discours politique. « Outre la violence physique et la violence des institutions, une violence symbolique s’est immiscée dans le discours officiel. Elle consiste à renommer les faits et les choses », observe la professeure de sciences sociales Ching Kwan Lee à l’université des sciences et technologies de Hongkong.

Faire le choix de l’ordre

Alors que manifester en masse mais de manière ordonnée et civique a longtemps été une marque de Hongkong, des flashs télévisés et radiophoniques du gouvernement dénoncent désormais les « émeutes », listant les peines encourues à grand renfort de sirènes et de bruits de casse anxiogènes. La population est incitée à se désolidariser des casseurs et à faire le choix de l’ordre et de la paix sociale.

En parallèle, depuis l’annonce par Pékin de son projet d’imposer une loi de sécurité nationale, d’immenses affiches sur fond bleu horizon sont apparues dans les rues, les couloirs de métro, les Abribus, recouvrant entièrement les célèbres tramways à impériale pour vanter les mérites de ce texte qui crée de nouveaux délits de subversion, de sécession, de terrorisme et de collusion avec des forces étrangères. « Préserver un pays, deux systèmes, rétablir l’ordre », lit-on sur ces publicités. Des spots vidéo soutiennent que, « sans pays, il n’y a pas de famille ».

Pékin cherche à prendre le contrôle des esprits, et cible en particulier la culture, l’éducation et les médias, s’appuyant pour cela sur tous ses relais. « N’importe lequel de nos partenaires chinois ou avec des liens en Chine impose désormais dans nos contrats de collaboration une clause nous interdisant de faire le moindre commentaire politique », affirmait, déjà en 2018, une productrice de films de cinéma.

En décembre 2015, un an après le « mouvement des parapluies », au cours duquel la jeunesse avait occupé les grandes artères de Hongkong pour dénoncer la mainmise de la Chine, le géant du commerce en ligne Alibaba avait racheté le grand quotidien en anglais de la ville, le South China Morning Post, jadis référence internationale sur l’actualité chinoise. Sa couverture des questions sensibles, telles que les droits de l’homme en Chine, a nettement faibli depuis, et les plumes les plus incisives ont disparu.

L’ensemble des médias affirment souffrir d’autocensure alors que RTHK, le service audiovisuel public, a annoncé, le 19 mai, l’interruption de « Headliner », le programme satirique favori des Hongkongais depuis 1989, à la suite d’un épisode de février qui moquait la police locale.

Tentative de lavage de cerveau

Pour le professeur de sociologie Lau Siu-kai, porte-parole d’un groupe de réflexion pro-Pékin, l’Association chinoise des études de Hongkong et Macao, il revient à l’école, aux médias et au gouvernement de corriger les lacunes de la population en matière de sensibilisation à la sécurité nationale.

Le 4 juin, jour de commémoration du massacre de la place Tiananmen, non sans cynisme, les députés hongkongais, majoritairement favorables à Pékin du fait d’un système électoral biaisé par secteurs économiques et non au suffrage universel direct, ont adopté une loi qui punit jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 5 500 euros d’amende le non-respect du drapeau chinois et de l’hymne national. Le texte impose également l’apprentissage de la Marche des volontaires dans l’enseignement primaire et secondaire, alors que l’hymne chinois est régulièrement sifflé lors des matchs de football, parfois remplacé par le nouveau chant des manifestants, Gloire à Hongkong.

L’éducation patriotique des Hongkongais était déjà une priorité en 2012 lorsqu’un nouveau chef de l’exécutif, Leung Chun-ying, à peine désigné, avait fait d’une réforme imposant des cours d’éducation patriotique le premier objectif de son mandat. Il dut y renoncer face à la fronde des professeurs, parents et élèves, menés par Joshua Wong, du haut de ses 15 ans à l’époque, qui y voyait une tentative de lavage de cerveau et allait devenir le visage de l’opposition de la jeunesse hongkongaise à la Chine.

Car les Hongkongais tiennent dur comme fer à leur système éducatif indépendant, qui encourage l’esprit critique. Le 27 avril, l’énoncé du premier contrôle du bac local (DSE) a fait craindre que les censeurs chinois aient déjà infiltré le réseau des examens hongkongais : les élèves devaient citer « deux situations illustrant un dilemme entre liberté de la presse et responsabilité sociale ». Certains s’étaient demandé si, pour avoir une bonne note, il fallait faire passer la responsabilité sociale avant la liberté de la presse.

« On ne va plus oser dire ce que l’on pense »

Quinze jours plus tard, c’est une question piège posée à l’examen d’histoire qui a déclenché les foudres de Pékin car elle semblait insinuer, par sa formulation, que l’occupation japonaise avait été une bonne chose. Ce fut pour les autorités la preuve absolue que l’éducation des Hongkongais devait être sérieusement reprise en main.

Le ministre de l’éducation, Kevin Yeung, a d’ailleurs confirmé que, aussitôt la loi sur la sécurité nationale adoptée, les programmes scolaires seraient ajustés de sorte que les étudiants en comprennent les règles et la signification. « On ne va plus oser dire ce que l’on pense », s’inquiète, dans le quotidien prodémocratie Apple Daily, Solomon Chiang Man-ching, enseignant et élu local, qui redoute des cours « d’éducation rouge ».

Le vieux concept maoïste de « rectification de la pensée », qui a accompagné la construction de la Chine communiste, se heurte cette fois aux aspirations démocratiques et aux idées libérales de la jeunesse hongkongaise. Pour résister, « nous devons contrecarrer la propagande du gouvernement en expliquant bien la réalité politique aux gens qui ne comprennent pas », estime le jeune élu local Kung Chu-ki, conscient qu’une propagande bien orchestrée n’est jamais sans effet.

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