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Jours tranquilles à Paris
11 juillet 2020

Opinion - Si Facebook était un pays, ce serait la Corée du Nord

facebook

THE GUARDIAN (LONDRES)

Facebook est “hors de contrôle”, écrit dans le Guardian la journaliste britannique qui a révélé le scandale Cambridge Analytica avec ses confrères du New York Times. Entreprise “totalitaire” dirigée par un seul homme, la plateforme est une “menace pour la démocratie”, estime-t-elle dans une tribune alarmiste.

Rien ni personne ne peut arrêter Facebook. Ni les parlements, ni les autorités, ni les organismes de contrôle et de surveillance. Le Congrès [des États-Unis] a échoué. L’UE a échoué. Lorsque la Commission fédérale du commerce [une agence indépendante du gouvernement américain] lui a infligé une amende record de cinq milliards de dollars pour son rôle dans le scandale de Cambridge Analytica, le cours de son action n’a fait qu’augmenter.

C’est sans doute ce qui rend l’instant si passionnant et, peut-être même historique. Si le boycott publicitaire de Facebook par certaines des plus grandes marques du monde - Unilever, Coca-Cola, Starbucks – atteint son objectif, c’est qu’il aura porté un coup à la seule chose que Facebook comprend : son bilan financier. Et si ce boycott échoue, nous entrerons dans une nouvelle ère, et cette étape sera tout aussi historique.

Rappelons qu’il s’agit d’une entreprise qui a facilité la déstabilisation d’une élection américaine par une puissance étrangère [la Russie durant la présidentielle 2016], qui a retransmis en direct un massacre puis l’a diffusé à des millions de personnes dans le monde entier [l’attentat de Christchurch], et qui a contribué au déclenchement d’un génocide.

Et je pèse mes mots. Facebook a contribué au déclenchement d’un génocide. Selon un rapport des Nations unies, l’utilisation de Facebook a joué un “rôle déterminant” dans le déchaînement de haine et de violence à l’encontre des Rohingyas de Birmanie, qui a entraîné la mort de dizaines de milliers de personnes et l’exil des centaines de milliers d’autres.

Je pense souvent à ce rapport. Lorsque je regarde des documentaires montrant des employés de Facebook jouant au ping-pong dans leur espace sécurisé de Menlo Park. Quand j’ai visité la banlieue de la Silicon Valley en début d’année et que je suis passée dans la rue “ordinaire” où Mark Zuckerberg vit sa vie tout à fait ordinaire alors qu’il est le seul maître à bord d’une entreprise unique au monde. J’ai pensé à ce rapport quand j’ai appris que Maria Ressa, la journaliste philippine qui avait tant œuvré pour mettre en garde contre les méfaits de Facebook, a été condamnée à la prison. […]

Facebook est une arme à feu. Une arme qui n’a pas besoin de permis - elle n’est soumise à aucune loi et à aucune surveillance – une arme qui est entre les mains de 2,6 milliards de personnes et dans tous les foyers ou presque, une arme infiltrée par des agents secrets agissant pour le compte d’autres pays, un laboratoire pour des groupes qui vantent les effets purifiants de l’Holocauste et croient que la 5G fera frire notre cerveau dans notre sommeil.

On dit parfois que si Facebook était un pays, il serait plus grand que la Chine. Mais la comparaison n’est pas bonne. Si Facebook était un pays, ce serait un État voyou. Ce serait la Corée du Nord. Et Facebook n’est pas une arme à feu. C’est une bombe nucléaire. Plus qu’une entreprise, c’est un totalitarisme, une dictature, un empire mondial contrôlé par un seul homme. Un homme qui, alors même que les preuves des dégâts causés par Facebook sont indéniables, indiscutables et accablantes, a simplement choisi d’ignorer ses détracteurs à travers le monde.

Presque impossible de vivre sans Facebook

Zuckerberg préfère continuer à déverser une propagande invraisemblable et de plus en plus ridicule alors même qu’il contrôle les principaux canaux de diffusion de l’information. Et comme les Nord-Coréens qui sont à la merci de l’État, il nous est aujourd’hui presque impossible de vivre sans Facebook, WhatsApp et Instagram.

La campagne #StopHateForProfit veut mettre un terme aux torrents de haine déversés sur Facebook. C’est ce qui a motivé six organisations américaines de défense des droits civiques aux États-Unis à faire pression sur les annonceurs afin qu’ils fassent “une pause” de leurs publicités achetées sur le réseau social en juillet. Une campagne précipitée par la décision de Facebook de ne pas retirer un post de Donald Trump menaçant de représailles les manifestants de Black Lives Matter : “Avec les premiers pillages viennent les premiers coups de feu.”

Mais l’ampleur du problème dépasse largement les propos ignobles tenus sur le réseau. Et c’est un problème qui ne concerne pas seulement les États-Unis, même si le rôle que Facebook va jouer dans l’élection américaine [en 2020] sera déterminant (et il est intéressant de noter que les exigences de #StopHateForProfit ne s’étendent pas aux publicités politiques mensongères, alors que c’est une nécessité fondamentale). Les dangers de Facebook s’étendent au monde entier. La menace que Facebook représente pour la démocratie met également en péril notre existence.

Est-ce une coïncidence si les trois pays qui ont le plus mal géré la crise du coronavirus sont dirigés par des populistes qui se sont fait élire en exploitant la capacité de Facebook de répandre des mensonges à grande échelle ? Trump, Bolsonaro et Johnson. La question se pose.

Plus fort que le capitalisme

Et si la démocratie est un concept trop abstrait, pensez au coronavirus. Si un vaccin est disponible, combien de gens voudront se faire vacciner ? Il y a autant d’anti-vax sur Facebook que d’antisémites. […]

Zuckerberg n’est pas Kim Jong-un. Il est beaucoup plus puissant. “Je pense que tous ces annonceurs reviendront bientôt sur la plateforme”, aurait-il déclaré à ses employés la semaine dernière. Et si 500 entreprises ont désormais rejoint le boycott, cela ne représente qu’une baisse de 5 % des bénéfices de l’entreprise, selon le Wall Street Journal. Facebook n’est pas seulement plus grand que la Chine. Il a même pris de vitesse le capitalisme.

Au bout du compte, il n’y a que nous qui pouvons changer les choses, grâce à notre porte-monnaie et aux messages que nous envoyons à ces marques. Parce que le monde doit comprendre que rien, ni personne ne nous viendra en aide. Trump et Zuckerberg ont formé une alliance stratégique tacite. Seuls les États-Unis ont le pouvoir d’enrayer la machine Facebook. Et seul Facebook a le pouvoir d’empêcher Trump de propager ses mensonges.

Nous sommes à un moment charnière de l’histoire et il nous faut agir avant qu’il ne soit trop tard. À condition de ne pas rater le coche.

Carole Cadwalladr

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