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Jours tranquilles à Paris
13 juillet 2020

« On ne laisse pas passer un truc pareil »

Reportage - « On ne laisse pas passer un truc pareil » : à Paris, la détermination des militantes féministes contre la nomination de Gérald Darmanin

Un millier de personnes ont manifesté à Paris contre la récente nomination à l’intérieur de Gérald Darmanin, accusé de viol, et celle à la justice d’Eric Dupond-Moretti, très critique envers le mouvement #metoo.

De mémoire de chercheur en sciences politiques, on n’avait rarement vu ça. Des manifestations après la nomination de deux ministres, sans qu’ils n’aient encore eu le temps de prendre la moindre décision. Habituellement, les protestations surviennent contre des choix gouvernementaux. Là, Gérald Darmanin, fraîchement installé à l’intérieur, et Eric Dupond-Moretti à la justice, ont déjà suscité contre eux une première journée de mobilisation nationale ; elle s’est tenue vendredi 10 juillet.

Alice Coffin avait reçu des centaines de messages dès lundi soir. La nouvelle élue Europe Ecologie-Les Verts (EELV) au Conseil de Paris, croisée en bas de l’Hôtel de ville, raconte la sidération, puis la colère, qui ont saisi les associations féministes. Des émoticones « vomi » aux textos « pour de vrai j’ai eu envie de vomir », en passant par l’évocation d’un « traumatisme », « ça a circulé partout, comme une traînée de poudre », explique-t-elle.

Les échanges ne sont plus modérés, le ton est tranché : « Tous disaient la même chose : on va au combat, on ne s’arrêtera pas tant qu’ils resteront en poste », ajoute-t-elle.

Derrière elle, deux grands corbeaux de tissus noirs, sur lesquels les noms de Gérald Darmanin et d’Eric Dupond-Moretti sont inscrits à la peinture blanche, toisent le millier de manifestants présents sur un parvis presque rempli. A même le sol, une jeune femme bricole sa dernière pancarte de carton. Au marqueur noir, elle inscrit : « Un viol toutes les dix minutes en France, c’est ça votre solution ? »

« C’est insupportable cette impunité »

Un peu plus loin, une manifestante porte une affiche « Il y a des guillotines qui se perdent » ; une autre l’aborde : « C’est ma préférée ! » La discussion s’engage : « J’en peux plus, ils se sentent intouchables, ils nous méprisent, c’est insupportable cette impunité. »

Partout, la foule, très jeune, confirme la détermination décrite par Alice Coffin et perçue sur les réseaux sociaux ces derniers jours. « Darmanin démission », « La culture du viol elle est En Marche », « Un complice à la justice, un violeur à l’intérieur » sont scandés plusieurs fois.

A 23 ans, Claire s’est formée au féminisme au lycée, fascinée par la figure d’Emma Watson, l’actrice de la saga Harry Potter qui s’est engagée pour l’égalité femmes-hommes. Selon elle et son amie Alice, elles sont là aujourd’hui pour montrer « qu’on ne ferme pas les yeux, on ne laisse pas passer un truc pareil, on est là pour les victimes ».

A la question d’un mouvement exclusivement féministe, minoritaire et cantonné aux grandes villes françaises, l’étudiante en école de commerce évoque son trajet vers la manifestation. « J’étais dans le métro avec ma pancarte, il y a écrit “Darmanin” dessus. Un contrôleur l’a lue, et m’a dit “Ah, c’est le ministre violeur, courage les filles, on est avec vous.” »

« C’est nous qui allons devenir un obstacle »

Un millier de personnes à Paris, 600 à Bordeaux, 500 à Lyon, 300 à Toulouse, 200 à Lille, et même huit à Cognac en Charente, les manifestations féministes organisées à la va-vite sur Instagram et Whatsapp n’ont pas encore fait réagir les deux ministères concernés.

Mais le risque politique est peut-être là, celui d’une mécanique de l’indignation qui s’enclenche, et s’auto-entretient. Marie, étudiante elle aussi, le précise : « Les SMS existent, il a échangé des faveurs sexuelles contre un service, il ne peut pas juste répondre “non-lieu et présomption d’innocence” tout le temps. »

Cette affaire pourrait devenir un stigmate, de ceux qui poursuivraient le ministre de l’intérieur à chacun de ses déplacements ou de ses prises de parole. Ces manifestations peuvent-elles faire tomber Gérald Darmanin ? « Oui je pense, analyse Alice Coffin. L’Elysée a dit que cette enquête n’était pas un obstacle à sa nomination, alors c’est nous qui allons devenir un obstacle. A chacun de ses pas, il aura désormais sur sa route un obstacle féministe ».

Et l’ancienne activiste de terminer par des considérations géographiques : « Là, on pourrait remonter la rue de Rivoli, elle est piétonne, et on irait le chercher à Beauvau. C’est ça qu’il faut qu’on fasse : aller le chercher. »

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