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Jours tranquilles à Paris
28 juillet 2020

Gérald Darmanin : les féministes ne lâchent pas l’affaire

Par Virginie Ballet — LIBERATION

Mobilisées contre la nomination de l’élu du Nord, visé par plusieurs actions judiciaires, au ministère de l’Intérieur des associations multiplient les manifestations pour se faire entendre.

Surtout, ne pas relâcher la pression. Près de trois semaines après la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur, la mobilisation féministe contre ce qui est qualifié de «remaniement de la honte» ne faiblit pas, et semble même changer de nature. Le mot d’ordre : obtenir la démission du locataire de la Place Beauvau, alors que la justice a ordonné en juin la reprise des investigations concernant une accusation de viol à son encontre.

La semaine dernière, l’association Pourvoir féministe, think tank tout juste créé et qui se veut un «laboratoire d’idées et d’actions pour repenser le champ politique selon des perspectives féministes», a décidé d’en appeler à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), créée en 2013 pour veiller à la probité des responsables publics. «En tant que ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a autorité sur les services de police, ce qui pose un réel problème de conflits d’intérêts, malgré les lettres de déport du ministre», explique Anaïs Leleux, présidente de Pourvoir féministe.

«Ethique en politique»

Selon elle, plus de 12 000 personnes ont déjà signé en quelques jours le formulaire en ligne destiné à alerter la HATVP. En parallèle, ce tout nouveau think tank, qui se veut apartisan et espère peser en vue de l’élection présidentielle de 2022, a également écrit au parquet de Lille pour tenter de relancer l’enquête pour «abus de faiblesse» classée sans suite en 2018, et relative à des faits datés de 2015. Anaïs Leleux : «Le sens de notre démarche repose sur l’éthique en politique. Nous tentons d’actionner des leviers qui étaient jusque-là de l’ordre de l’impensé dans ce genre de questions.» Interrogé mercredi par Europe 1, l’avocat de Gérald Darmanin, Me Mathias Chichportich, a quant à lui martelé qu’il n’y a «aucune interférence entre les fonctions de M. Darmanin et les investigations à mener». Et d’ajouter : «Lorsqu’on instrumentalise une procédure classée sans suite et une jeune femme qui ne veut plus en entendre parler, ce n’est plus du militantisme, c’est de la politique.» Ce qui n’a pas manqué d’exaspérer Anaïs Leleux : «Quand Macron dit avoir parlé "d’homme à homme" avec son ministre, c’est une manière de dépolitiser nos luttes, de prétendre que c’est une affaire privée. Or, qu’est-ce qui est plus politique qu’un remaniement ?»

Comme beaucoup de militantes, Anaïs Leleux a le sentiment que «la mobilisation citoyenne n’a pas été entendue», et ce, alors que plusieurs manifestations ont eu lieu un peu partout en France ces dernières semaines, de Paris à Bordeaux, en passant par Toulouse ou encore Lille. «C’est ainsi depuis le début du quinquennat», renchérit Léonor Guénoun, membre du mouvement #NousToutes à l’origine d’une vaste mobilisation contre les violences sexistes et sexuelles dans l’Hexagone en novembre dernier. «150 000 personnes sont descendues dans la rue. Pour quelle réponse ? Un tweet du Président… Malgré ce qu’il prétend, ces sujets n’intéressent pas le gouvernement. Maintenir en poste un ministre accusé d’un crime, c’est aussi une manière de minimiser la gravité des violences sexuelles», déplore Léonor Guénoun.

Alors chez #NousToutes non plus, pas de pause estivale : le collectif a mis en ligne un kit pour continuer d’interpeller le gouvernement par courrier ou sur les réseaux sociaux et adresser au Premier ministre ce genre de tweet : «Bonjour @JeanCASTEX, votre ministre de l’Intérieur est visé par une enquête pour viol et a reconnu avoir échangé un service contre un acte sexuel. En matière d’insulte aux femmes victimes (et de conflit d’intérêts), on pouvait difficilement faire mieux non ? cc @Matignon.» Dans une tribune initiée par les jeunes du collectif #NousToutes et parue samedi sur Mediapart, plus de 20 000 personnes de 13 à 25 ans, qui se présentent comme la «génération #MeToo», disent leur ras-le-bol du «climat d’impunité qui règne depuis la nomination de Gérald Darmanin», dressent «le constat d’un décalage béant entre les attentes de la société et l’entêtement du gouvernement à maintenir au pouvoir un homme accusé de viol» et disent ne pas se reconnaître dans «ce pouvoir qui cultive l’entre-soi masculin». Léonor Guénoun : «Il devrait en aller de ces questions comme de l’écologie : il y a urgence. On ne peut plus faire comme si cela n’existait pas. Quant à la présomption d’innocence, sans cesse brandie, il n’est pas question de la remettre en cause. Le problème, c’est le symbole politique et éthique.»

Fissure dans l’impunité

Pour les militantes féministes interrogées, il est grand temps que «la France soit à la hauteur de #MeToo». La démission de Christophe Girard, adjoint à la Culture de la mairie de Paris épinglé pour ses liens avec l’écrivain Gabriel Matzneff, serait-elle une fissure dans l’impunité décriée ? Accusé notamment d’avoir réglé les notes d’hôtel de l’écrivain accusé de pédocriminalité, par l’intermédiaire de la Fondation Yves Saint Laurent dont il fut le secrétaire général, Girard a annoncé jeudi renoncer à ses fonctions à la mairie de Paris, quelques heures après une manif sur le parvis de l’hôtel de ville de la capitale. Dans un communiqué, Girard a déclaré ne pas vouloir se «pourrir la vie plus longtemps» pour «quelque chose qui n’existe pas» et fustigé «les nouveaux maccarthysmes». Depuis, deux élues EE-LV au conseil de Paris, Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu, font l’objet d’une vague de cyberharcèlement en raison de leurs prises de position, au point qu’Alice Coffin a été placée sous protection policière.

Enième illustration du «backlash», ou «guerre froide contre les femmes», théorisé par l’Américaine Susan Faludi, comme le rappelle Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme ! : «On a vu ressurgir les arguments les plus rances, les accusations d’hystérie… Ça ne peut que motiver à continuer de mettre en lumière les mécanismes de pouvoir qui contribuent au silence et à l’impunité des agresseurs.»

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