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Jours tranquilles à Paris
13 juillet 2020

La nomination d'Éric Dupond-Moretti, choc du remaniement

dupond moretti

Les magistrats sont effondrés. Que doit-on en attendre politiquement? En quelques jours, les indices s’accumulent, laissant  à penser que le nouveau Garde des Sceaux s’inscrira sans peine dans les pas de Nicole Belloubet et Christiane Taubira. Enquête.

Il est sonné. Ce juge de la cour d’appel de Paris, qui répond à Sputnik sous couvert d’anonymat, ne se remet toujours pas de la nomination d’Éric Dupond-Moretti à la Justice. Même la déclaration du nouveau ministre lors de la passation de pouvoir ne l’a guère rassuré: «Je serai le Garde des Sceaux du dialogue et j’accepterai la contradiction, dont j’ai toujours été un ardeur défenseur», affirmait-il, comme une main tendue à ses critiques. Mais ces derniers se refusent pour l’heure à la prendre. Plutôt que la contradiction, ce serait plutôt dans la confrontation que l’avocat s’épanouirait, à en croire en tout cas notre interlocuteur qui a «déjà eu affaire à lui».

«Il est exécrable, il passe son temps à faire des remarques», confie le juge à Sputnik avant d’ajouter: «il n’y a pas d’audience sereine avec lui. Les incidents sont systématiques.»

Un Garde des Sceaux mal léché, donc? «Il y a, aux assises, une coutume: à la fin des débats, chaque avocat se rend dans le bureau du président pour lui serrer la main. C’est une habitude vieille de plusieurs siècles. Mais lui ne le fait jamais.» Un tempérament qui en dirait long sur l’esprit de l’intéressé. Éric Dupont-Moretti (EDM) n’a en effet jamais cessé de théoriser son mépris de la magistrature: «j’ai rencontré dans ma vie des juges absolument exceptionnels… mais je n’en ai pas rencontré beaucoup», avait-il déclaré en mars 2015 sur France 3. Pour lui, ce corps est avant tout un «troupeau».

Dupond-Moretti rendra-t-il les juges responsables de leurs décisions?

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Procès pour outrage et rébellion: partie gagnée par Taha Bouhafs contre la police?

L’Union Syndicale des Magistrats (majoritaire dans la profession) dénonçait sa nomination comme une «déclaration de guerre». Un avis qui semble unanime, au point qu’il apparaitrait impossible de trouver un juge, parmi les 8.000 qui disent le droit privé à travers la France, pour défendre ce choix d’Emmanuel Macron. Alors que la profession a vécu trois années terribles, sans la moindre prime exceptionnelle, depuis la vague d’attentats islamistes à la pandémie de Covid-19, en passant par les Gilets jaunes et la grève des avocats, la goutte Dupond-Moretti menacerait de faire déborder le vase de la magistrature. «On se fait remercier par ça? C’est du foutage de gueule!» tempête notre juge.

«Il n’y a jamais eu de justice… la justice, c’est une administration à laquelle on a donné le nom d’une vertu, ça n’est rien d’autre que cela. Moi je ne voudrais pas avoir à faire à la justice», déclarait le nouveau locataire de la place Vendôme en 2014. «Dire qu’il n’y a jamais eu de justice, c’est de la folie de la part d’un ministre de la Justice», rétorque, outré, le magistrat de la cour d’appel: «ça veut dire que nous n’aurions jamais rendu de décision juste?»

Toujours en 2014, Dupond-Moretti citait Nietzsche: «ce qui rend fou, c’est la certitude». Désormais dans l’incertitude, les magistrats craignent le renversement des valeurs judiciaires. Notamment, l’avocat Dupond-Moretti dénonçait régulièrement l’irresponsabilité des juges face aux conséquences de leurs décisions. Une ineptie, selon le juge de la Cour d’appel de Paris: «l’irresponsabilité va avec l’indépendance. En plus, c’est faux de dire que nous sommes irresponsables: le Conseil supérieur de la magistrature et les obligations déontologiques existent». Les sanctions peuvent aller jusqu’à la radiation, toutefois rarissime en pratique. Dans l’affaire Outreau, seule une mutation d’office a été prononcée.

L’avocat des avocats

Bien sûr, le son de cloche diffère chez les avocats. «C’est un coup de l’Élysée qui pourrait s’avérer intéressant», commente Me René Boustany, cofondateur du Cercle Droit & Liberté, un réseau de juristes qui penche à droite. «Il avait encore porté plainte il y a quelques jours [contre le PNF, le parquet national financier, ndlr], ce qu’il n’aurait pas fait s’il était depuis plus longtemps dans les petits papiers de l’Élysée»: preuve donc d’une précipitation de la part du chef de l’État, qui donnerait à cette nomination des allures de vulgaire opération de com’.

Car s’il jouit d’une certaine «aura» au sein du Barreau et des médias, le nouveau Garde des Sceaux n’a que 18 mois devant lui avant l’élection présidentielle. Un délai qui semble bien mince à Me Boustany pour changer grand-chose, même s’il espère que Dupond-Moretti trouvera les ressorts pour apaiser les confrontations entre, d’une part, l’exécutif et les avocats autour de la réforme des retraites, et d’autre part entre les avocats et les magistrats. Cette dernière tension s’est cristallisée autour de l’affaire Nioré, un avocat accusé d’outrage à magistrat pour des propos tenus lors d’une plaidoirie. Mais le nouveau ministre le pourra-t-il?

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