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Jours tranquilles à Paris
18 juillet 2020

Nécrologie - Zizi Jeanmaire s’est envolée

Par Rosita Boisseau - Le Monde

Célèbre pour sa chanson « Mon truc en plumes », la danseuse qui a mêlé ballet, cinéma et music-hall est morte à 96 ans.

Quel prénom ! S’appeler Zizi exige d’avoir une tête plus que bien faite et un joyeux culot. C’est Zizi Jeanmaire elle-même, qui s’appelait en réalité Renée, qui s’auto-baptisa ainsi lorsqu’elle était petite. Et ce pseudo lui resta, qu’elle accrocha aux affiches de la danse classique, du music-hall et du cinéma, dans le monde entier. Un trajet unique servi par un talent tout aussi exceptionnel que Raymond Queneau, Boris Vian et Serge Gainsbourg, entre autres, ont célébré.

Zizi Jeanmaire, créatrice de Carmen, dans la chorégraphie de Roland Petit (1924-2011), et de la chanson Mon truc en plumes, est morte le 17 juillet, chez elle, dans sa maison de Tolochenaz, en Suisse, des suites d’une hémorragie cérébrale. Elle avait 96 ans. Née Renée Jeanmaire en 1924, à Paris, elle a 9 ans lorsqu’elle intègre l’école de danse de l’Opéra national de Paris. Elle y croise celui qui deviendra son mari en 1954, Roland Petit, « l’homme de sa vie, son amour, dont elle parlait tous les jours », selon le danseur et ami Luigi Bonino, qui a interprété avec elle nombre de spectacles entre 1975 et 1990. Elle intègre le corps de ballet de la troupe parisienne en 1940 et la quitte quatre ans plus tard. Elle collabore ensuite avec différentes compagnies puis rejoint en 1948 les Ballets de Paris, créés par Petit.

« Carmen, une concrétisation »

Zizi Jeanmaire, c’est d’abord Carmen, ballet époustouflant taillé sur mesure pour elle par Petit en 1949. « J’avais envie qu’il me chorégraphie un ballet pour moi toute seule, nous racontait-elle en 2006. Il fallait que je l’aie et je l’ai eu. Roland venait de voir l’opéra de Carmen à Baden-Baden. Cela a déclenché son désir de le chorégraphier. Je me suis dit que c’était pour moi et je l’ai convaincu… Carmen a été une concrétisation de tout ce que j’avais vécu à l’école de danse, tout ce dont je rêvais. C’est grâce à ce rôle que ma personnalité de danseuse a pu s’exprimer totalement. Je me suis en quelque sorte rencontrée moi-même en l’interprétant. »

Pour incarner ce personnage téméraire, elle accepta, à la demande du chorégraphe, de couper ses cheveux bouclés pour adopter ce casque court et profilé qui allait être le sien toute sa vie. C’est grâce aussi à ce spectacle dans lequel Roland Petit lui-même interprétait Don José que ces deux personnalités fusionnèrent. « Sur scène, il m’a beaucoup inspirée. On vivait une sorte d’osmose et on s’est rencontrés à travers le ballet. Je suis tombée follement amoureuse de lui grâce à Carmen. Il était incroyable en Don José, très persuasif. Parfois, nous étions tellement à fond dans l’action qu’il lui est arrivé de me donner de vraies claques. »

Carmen fit un triomphe, tourna dans le monde entier et reste emblématique d’un classique moderne qui sait rouler des hanches en respectant la verticalité académique. Pendant la tournée aux Etats-Unis, Zizi Jeanmaire commence à prendre des cours de chant et se trouve prête pour endosser le premier rôle dans La Croqueuse de diamants (1950), toujours sous la direction de Petit, sur des chansons de Raymond Queneau.

« Une belle danseuse classique »

Elle s’offre ensuite Hollywood, invitée par le producteur américain Howard Hughes. Elle y tourne le film Hans Christian Andersen (1952), de Charles Vidor. La voilà ensuite sur Broadway, à New York, avec la comédie musicale The Girl in Pink Tights (1954), avant de repartir sur la côte Ouest. Cette veine musicale qui va devenir la sienne, elle la creuse de retour en France à la fin des années 1950. Elle enchaîne en meneuse de revue mais toujours en dansant et sur pointes des productions à l’Alhambra, au Casino de Paris, à Bobino, au Zénith. En 1961, elle chante pour la première fois son tube fracassant Mon truc en plumes, signé par Jean Constantin.

« C’était d’abord une belle danseuse classique, rappelle Brigitte Lefèvre, directrice de la danse de l’Opéra national de Paris de 1995 à 2014. Elle dansait remarquablement bien. Je me souviens de l’avoir vu interpréter Carmen dans les années 1960 et c’était incroyable. Il n’y avait qu’elle qui pouvait exécuter ses pas croisés typiques de ce ballet. Elle avait le talent de rendre érotique l’abstraction classique mais sans jamais le montrer, c’était simplement là. »

Le danseur Luigi Bonino ajoute : « Dans Carmen, Roland Petit lui indiquait de travailler les pieds comme des mains, et de lécher le sol, ce qu’elle faisait magnifiquement. Je l’ai vue pour la première fois lorsque j’étais adolescent, dans les années 1960, à la télévision italienne où elle animait l’émission « Studio Uno ». Elle chantait une chanson que je n’ai jamais oubliée et que je lui ai fredonnée lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois en 1975 au Ballet de Marseille. Elle portait à l’époque un pull-over qui s’arrêtait au ras des cuisses, ses jambes étaient sublimes et l’ont toujours été. Pourtant, elle ne les aimait pas. »

« D’une exigence extrême »

Personnalité exceptionnelle, « femme de tempérament mais tendre aussi, toujours en train d’aider les jeunes danseurs » selon Bonino, Zizi Jeanmaire était une travailleuse féroce. « Tous ceux qui ont collaboré avec elle me l’ont dit, raconte l’autrice Ariane Dollfus, actuellement en train d’écrire une biographie de Jeanmaire. Le compositeur Jean-Jacques Debout se rappelait qu’en 1970, pour la première revue mise en scène par Roland Petit au Casino de Paris dont il avait écrit les chansons, elle faisait sa barre le matin, répétait l’après-midi et retournait travailler le chant le soir. »

Un penchant que souligne également Eric Vu-An, directeur du Ballet Nice-Méditerranée depuis 2009, qui a joué et chanté avec elle Java Forever (1988) : « Elle était d’une exigence extrême. Toujours hyperprofessionnelle et ne laissant rien au hasard. Ce qui fait au bout du compte que le spectacle devient une seconde nature où tout est précis et a l’air improvisé. J’admirais son élégance quoi qu’elle fasse, ce métissage entre sa voix gouailleuse et sa sophistication dans sa façon de bouger. »

Juchée sur des chaussons de pointes ou des talons aiguilles, Zizi a séduit et emballé des personnalités de premier plan. Aragon affirmait que « sans elle Paris ne serait pas Paris », Boris Vian écrivit : « Elle a des jambes plus longues que son corps… Elle a des yeux à vider un couvent de trappistes en cinq minutes. Elle a une voix comme on n’en fait qu’à Paris. Cette sirène canaille est aussi une danseuse divine, une vraie force de la nature. » Quant à Serge Gainsbourg, il lui écrivit les chansons de Zizi je t’aime, pour le Casino de Paris, en 1972.

En 2000, elle est à l’affiche du spectacle Zizi Jeanmaire 2000, à l’amphithéâtre de l’Opéra-Bastille. Elle y donnait un tour de chant et y interprétait deux chansons signées par sa fille, Valentine Petit, écrivaine. Zizi confiait alors au Monde : « Je me retrouve à l’Opéra-Bastille, comme quand j’avais 15 ans à Garnier. Inexplicable ambiance de petite ville dans la grande, avec ses codes, ses traditions. La boucle serait-elle bouclée ? J’ai toujours conservé une âme de danseuse ! Quel exutoire pour se libérer ! Paris est ma ville, j’y suis née. J’y ai le souvenir de tant de sensations fortes, car, avec Roland, seule la création a guidé nos vies. »

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