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Jours tranquilles à Paris
29 juillet 2020

Récit - Le parcours rocambolesque du Banksy volé au Bataclan, puis retrouvé en Italie

Par Simon Piel, François Krug

Interpellé dans le cadre de l’enquête sur le vol du pochoir peint en hommage aux victimes des attentats, un entrepreneur de mode de la région lyonnaise est soupçonné d’avoir exfiltré l’œuvre.

Les voleurs ont pris leur temps, se moquant des caméras de surveillance. Cette nuit de janvier 2019 à Grenay, une petite ville de l’Isère, ils dévalisent le Gedimat, un magasin pour bricoleurs et professionnels du bâtiment. Fait divers banal. Un an plus tard, des suspects sont entendus à la gendarmerie d’Heyrieux. Comme le révélera plus tard Le Dauphiné libéré, l’un d’eux se vante d’avoir utilisé une partie du matériel subtilisé pour un autre vol, commis dix jours plus tard. Celui-là a ému la planète entière.

Dans la nuit du 25 au 26 janvier 2019, une camionnette se gare près du Bataclan, à Paris. Trois hommes découpent une porte de sécurité de la salle et l’emportent, avec l’œuvre qui la recouvre : un pochoir de Banksy. La star anonyme du street art avait ainsi rendu hommage aux victimes de l’attentat de 2015, en peignant une jeune femme au bord des larmes. Une œuvre si connue qu’elle paraît invendable.

Dans du plastique noir

L’enquête patine. Elle rebondit finalement dans l’Isère et mène en Italie. Comme l’a révélé Le Journal du dimanche (JDD), elle suit la trace de Mehdi Meftah, 39 ans, un ancien gamin de la banlieue lyonnaise. Signe particulier : il a créé une marque de streetwear de luxe empruntant son logo à Banksy…

Le 10 juin, une quinzaine de carabiniers italiens et trois policiers français débarquent dans un hôtel modeste de Tortoreto, dans les Abruzzes. Un bâtiment sans charme, loin de la plage. Une dizaine de chambres, 50 euros la double l’hiver, 80 au plus fort de la saison estivale. Ils cherchent un paquet laissé par Mehdi Meftah. Le propriétaire, Giacomino P., les conduit non loin de là, à Sant’Omero. Il y possède une maison perdue dans la campagne. Dans les combles, il désigne un panneau ­enveloppé dans du plastique noir.

« LE PROPRIÉTAIRE NE SAVAIT PAS CE QU’IL Y AVAIT DANS CE PAQUET, IL RENDAIT SERVICE À UN CLIENT DEVENU UN AMI. » L’AVOCAT DE L’HÔTELIER ITALIEN QUI DÉTENAIT LE BANKSY

Selon nos informations, Giacomino P. explique aux enquêteurs qu’il connaît Mehdi Meftah depuis quatre ans. Ce client lui a été présenté par une connaissance commune, Raffaele P., qui fait dans l’import-export de voitures entre Lyon et les Abruzzes. A partir de 2016, le Français vient plusieurs fois par an. En famille ou seul, pour les vacances ou pour des affaires qu’il ne détaille pas.

En octobre 2019, il débarque en camionnette avec deux amis, et le panneau emballé. Il évoque une décoration pour la maison qu’il s’aménage à La Seyne-sur-Mer (Var) et demande s’il peut l’y stocker jusqu’à son prochain passage, à Noël. « Le propriétaire ne savait pas ce qu’il y avait dans ce paquet, il rendait service à un client devenu un ami », nous assure son avocat, Angelo Palermo. Le paquet est entreposé dans le garage de l’établissement.

Toujours selon la version de l’hôtelier, Noël passe mais le Français ne revient pas. En janvier dernier, Giacomino P., qui effectue des travaux dans l’hôtel, aurait transféré le paquet à la campagne. Selon nos informations, l’homme est placé peu après sous surveillance par les carabiniers. Pendant des mois, rien ne bouge : l’Italie s’est confinée. A la sortie du confinement, les enquêteurs décident d’intervenir.

Une couronne stylisée

Le 11 juin, le procureur de L’Aquila, chef-lieu des Abruzzes, présente fièrement le Banksy lors d’une conférence de presse. Le 23, plus discrètement, la police judiciaire (PJ) intervient notamment à Toulon, dans la banlieue lyonnaise, et à Flachères, petit village de l’Isère surtout connu pour sa foire aux navets. Selon le parquet de Paris, deux suspects sont mis en examen pour vol en bande organisée et quatre pour recel, dont Mehdi Meftah. Son petit frère est aussi interpellé. Tous sont placés en détention provisoire. L’œuvre devait-elle être récupérée par un acheteur étranger en Italie ? Mystère.

Mehdi Meftah intrigue. Ce fan de street art habite un pavillon avec piscine à La Seyne-sur-Mer, avec sa femme, Lyonnaise elle aussi, épousée à Las Vegas (Nevada). Sur un compte Instagram créé sous pseudo, on le découvre au volant de sa Ferrari blanche, piquant une pointe sur l’autoroute – il possède aussi une Porsche jaune. Ou les pieds sur la table basse, en claquettes Louis Vuitton. Au fond du salon, une statuette d’Alec Monopoly, un célèbre street-artiste ­américain, ­qui a détourné la mascotte du jeu de société.

« IL A DE L’ARGENT ET UN BON NIVEAU DE VIE, MAIS IL L’A ACQUIS HONNÊTEMENT. IL A VOULU CRÉER UNE VRAIE MARQUE DE LUXE AVEC L’ADN DE LA STREET. FRANCHEMENT, POURQUOI IL AURAIT EU BESOIN DE VOLER ÇA ? » UNE PROCHE D’UN DES SUSPECTS

Au registre du commerce, il possède deux sociétés à Toulon. Un snack de tacos et surtout sa marque, BL1.d ­ (prononcer « blindé »). Il a déposé un premier logo dès avril 2018 à l’Institut national de la propriété industrielle : encadrée par deux armes de poing, une couronne stylisée empruntée à la star du street art. « Un clin d’œil à Banksy », expliquera-t-il dans un publi-reportage sur le site français de Forbes. Ce motif, Banksy l’avait lui-même emprunté à Jean-Michel Basquiat.

Depuis, les armes ont disparu du logo, mais les modèles de tee-shirts s’appellent « Colt », « Cartel » ou « Medellin ». La marque, lancée à l’automne 2019, les vend sur son site et dans un magasin de Lyon. Tarifs : de 290 à 615 euros, justifiés par un petit « lingot d’or 18 carats cousu sur l’encolure ». On peut se rabattre sur les casquettes, 85 euros, sans lingot. En janvier 2020, BL1.d a organisé un happening avenue Montaigne, pendant la Fashion Week parisienne. Sur les nez de Mehdi Meftah et de ses amis, des lunettes aux branches en forme de Kalachnikov. La presse grand public n’a pas réagi. BL1.d a plus de succès auprès de rappeurs comme Hornet La Frappe, Lacrim ou Alonzo.

Chez la juge d’instruction, Mehdi Meftah aurait minimisé son rôle et expliqué avoir lui aussi rendu service à un ami. Son avocat, Yves Sauvayre, n’a pas répondu aux sollicitations de M. « Il a de l’argent et un bon niveau de vie, mais il l’a acquis honnêtement, nous assure une proche de Mehdi Meftah. Il a voulu créer une vraie marque de luxe avec l’ADN de la street. Franchement, pourquoi il aurait eu besoin de voler ça ? »

Un retour au Bataclan ?

Le statut du pochoir de Banksy est l’autre mystère de l’affaire. Il apparaît sur la porte du Bataclan dans la nuit du 24 au 25 juin 2018. Passé l’émerveillement, il suscite de vifs débats parmi l’équipe de la salle et chez son propriétaire, le groupe Lagardère. Jules Frutos, à l’époque patron et coactionnaire des lieux, veut rester fidèle à l’esprit du street art et laisser l’œuvre vivre sa vie, avec les risques que cela comporte. D’autres souhaitent l’exposer à l’intérieur. L’état-major de Lagardère, lui, se demande qui est vraiment propriétaire – et donc responsable – de cette peinture. Finalement, l’œuvre reste à sa place. Une plaque de Plexiglas la protège des tags, pas du vol. Jusqu’à la nuit du 25 janvier 2019.

Le pochoir ne passionnera pas davantage les policiers de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels. L’affaire est confiée au service compétent géographiquement, le 2e district de la PJ de Paris. Un de ses enquêteurs prend le dossier à cœur : le 13 novembre 2015, il est intervenu au Bataclan après l’attentat. Et maintenant ? Le 14 juillet, l’Italie a rendu le Banksy en grande pompe à la France. Il a été exposé à l’ambassade à Rome. Selon Le JDD, il se trouve au siège de la PJ à Paris.

Une rumeur relayée par la presse annonce un cadeau à l’Unesco et une exposition de l’œuvre dans son siège parisien. « Ce n’est pas prévu à ce stade », nous répond-on à l’Unesco. « Notre souhait est que cet hommage aux victimes revienne au plus près de là où il était », indique de son côté Jérôme Langlet, patron de Lagardère Live Entertainment, qui gère le Bataclan.

Cette filiale a d’autres soucis. En proie à de graves difficultés financières, Lagardère a dû démentir en juin qu’il cherchait à la vendre. Et donc à se séparer du Bataclan.

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