Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
17 août 2020

La France sommée d’agir face à l’échouage massif de dauphins sur ses côtes

Par Martine Valo - Le Monde

Les corps de nombreux dauphins retrouvés sur la côte atlantique durant l’été portent la trace d’engins de pêche. La Commission européenne a demandé au gouvernement de prendre des mesures adaptées.

Après les hécatombes hivernales de dauphins, voilà que l’été se révèle, lui aussi, meurtrier. Alerté, Sea Shepherd est parti patrouiller au sud de la Bretagne depuis le 1er août à bord de son navire, le Clémentine. « On n’avait jamais connu une saison comme celle-ci, assure Lamya Essemlali, présidente de l’ONG pour la France. Il ne se passe pas un jour sans qu’on nous signale une capture de cétacé par des pêcheurs. Il y a énormément de fileyeurs et de chalutiers actifs dans la zone en ce moment, peut-être parce que le poisson s’est un peu rétabli pendant le confinement. En tout cas, on constate beaucoup d’échouages de dauphins. »

Cette campagne de Sea Shepherd est exceptionnelle : ces dernières années, ses militants surveillaient le golfe de Gascogne l’hiver, lorsque les chalutiers affluent pour la saison du merlu et du cabillaud, entre décembre et avril, générant des dégâts sur les populations de cétacés, qui s’échouent en masse sur les côtes atlantiques.

Exceptionnelle, l’hécatombe en cours met d’autant plus le gouvernement français sous pression que la Commission européenne lui a demandé officiellement de prendre des mesures adaptées, afin de réduire les dégâts prévisibles de l’hiver prochain. Le 2 juillet, Bruxelles a fait savoir que Paris avait trois mois pour fournir une réponse à la hauteur du dossier. Le même jour, à la suite d’une plainte de Sea Shepherd, le tribunal administratif de Paris condamnait l’Etat français pour « carence » dans la gestion de ce dossier.

1 200 dauphins échoués durant l’hiver 2018-2019

Comme l’ont rappelé six associations de défense de la nature, dans un courrier envoyé samedi 15 août au gouvernement, plus de 1 200 dauphins se sont échoués sur les côtes atlantiques françaises durant l’hiver 2018-2019, la majorité portant des traces d’engins de pêche, selon le bilan établi par l’Observatoire Pelagis (université de La Rochelle) avec d’autres partenaires. Or, les experts estiment qu’environ 90 % des animaux tués sombrent au fond de l’océan sans atteindre le littoral : ce sont au total plus de 11 000 dauphins qui ont été tués cette année-là. Le massacre s’est reproduit lors de la saison 2019-2020, malgré la baisse des activités de pêche due au confinement en mars.

« Les captures accessoires de baleines, dauphins et marsouins dans les filets de pêche représentent à l’échelle européenne la menace la plus importante pour leur conservation, écrivent les six associations — France Nature Environnement (FNE), Whale and Dolphin Conservation, Seas at Risk, Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), WWF et ClientEarth —, dans la lettre qu’elles adressent aux ministres de la mer, Annick Girardin, de la transition écologique, Barbara Pompili, et de l’agriculture et de l’alimentation, Julien Denormandie. Il apparaît clairement aujourd’hui que la notion de captures accidentelles qualifiant la mortalité des dauphins par la pêche est inappropriée. » Ce point est important : en France, baleines, rorquals, delphinidés, marsouins, cachalots et autres mammifères marins sont protégés par un arrêté de 2011 (ils le sont aussi par des traités internationaux), qui interdit toute forme de destruction sauf… en cas de « captures accidentelles dans des engins de pêche ».

« Nous écrivons à ces trois ministres pour les alerter, précise Elodie Martinie-Cousty, qui pilote le réseau Océans, mers et littoraux pour FNE. Ils viennent d’être nommés et nous voulons leur éviter de se mettre en danger en ne prenant pas la mesure de la situation : s’ils laissent l’administration de la Direction des pêches marines et de l’aquaculture (DPMA) répondre de façon insuffisante à la Commission européenne, la France risque une grosse amende. »

Prises « accessoires »

En 2019, la fédération FNE s’était jointe à vingt-cinq autres ONG pour se plaindre auprès de la Commission européenne du peu d’empressement de la part de quinze Etats pêcheurs à réduire ces prises dites « accessoires ». Les pêcheurs français ne sont, en effet, pas les seuls à opérer au large des côtes atlantiques. Le message a été entendu. Bruxelles a commandé un rapport au Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM), l’organisme chargé de la conseiller qui regroupe de nombreux scientifiques internationaux.

Les experts ont rendu leur avis, le 26 mai. Comme les ONG, ils préconisent une solution simple pour mettre fin aux hécatombes des dauphins communs dans le golfe de Gascogne et des marsouins en mer Baltique : une fermeture hivernale de la pêche dans les zones concernées. Jusqu’à présent, en effet, la question de l’été ne s’est pas posée, puisque cette saison semblait échapper aux échouages massifs.

Dans cette affaire, Paris n’est pas seulement en première ligne à cause de ses eaux territoriales, mais aussi pour avoir pris la tête du « groupe des Etats membres des eaux occidentales sud visant à réduire les prises accessoires de dauphins dans le Golfe de Gascogne ». C’est à ce titre que Charlina Vitcheva, directrice générale des affaires maritimes et de la pêche à la Commission européenne, la DG Mare, a écrit au début de l’été au directeur de la DPMA, Frédéric Gueudar-Delahaye.

« Les fermetures saisonnières sont inévitables »

Soulignant à son tour que « trop de dauphins ont été retrouvés morts sur les plages portant les marques provenant des filets de pêche », la directrice de la DG Mare insiste sur la nécessité de « prendre des mesures décisives pour réduire de manière draconienne les captures accidentelles de cétacés dans les pêcheries des eaux occidentales sud. » Elle note elle aussi que « dans la période sensible de janvier et de février les fermetures saisonnières sont inévitables ». Les propositions formulées par l’administration française dans un courrier précédent, notamment d’accroître la collecte et le contrôle des données et d’utiliser des pingers, ne lui apparaissent donc « pas encore suffisantes ».

Les pingers sont des répulsifs acoustiques que les pêcheurs français, bretons notamment, ont commencé à installer sur leurs filets. Les ONG estiment que, depuis le temps qu’ils sont testés, ces équipements n’ont pas réduit significativement le nombre de captures. Sea Shepherd a d’ailleurs saisi le Conseil d’Etat, le 21 juin, pour faire annuler le recours à ce dispositif. La DG Mare les recommande, cependant, tout en évoquant quelques autres suggestions susceptibles d’améliorer les propositions de M. Gueudar-Delahaye, en une « nouvelle version [plus] convaincante ».

Entre autres initiatives forcément « immédiates » si l’on veut éviter un nouvel hiver catastrophique, Mme Vitcheva suggère que d’ici là soit instaurée une surveillance obligatoire des campagnes de pêche par des observateurs embarqués – ce que refusent la majorité des pêcheurs français aujourd’hui – ou par le biais d’une installation de vidéosurveillance. Et conclut sur une légère pression : « Si la Commission peut introduire des mesures d’urgence – et nous examinerons cette possibilité si nécessaire –, il est préférable d’élaborer des solutions à long terme au niveau local et régional entre les défenseurs de la conservation du milieu marin, les pêcheurs et les administrations. »

Publicité
Commentaires
Publicité